Success Story - 24.06.2011

Mustapha Kamel Nabli: De Téboulba à la Californie, puis retour

Mes premiers souvenirs d’enfance sont ceux de la terre, des champs, des oliviers et des cultures maraîchères. J’ai été élevé dans des conditions difficiles, au sein d’une famille modeste. Benjamin de 9 frères et sœurs, j’ai perdu mon père à l’âge de 5 ans. Il était petit cultivateur, et pour toute richesse, il possédait un petit lopin de terre et s’adonnait à quelques activités connexes. Par la suite, c’était ma pauvre mère qui devait prendre tout en charge, y compris cultiver la terre par elle-même pour nous nourrir.

Cette situation, qui était en fait celle de beaucoup d’autres familles tunisiennes, m’avait éveillé sur l’importance du double rôle de la femme dans la société et qui, souvent, devait travailler pour élever ses enfants, subvenir à leurs besoins et leur permettre de réussir dans la vie.

Ma mère, bien qu’analphabète, était convaincue que seul le savoir pouvait nous offrir une issue de secours. A ses yeux, l’unique motif de satisfaction était qu’on excelle dans nos études et qu’on y aille le plus loin possible. C’est-à-dire, sans jamais s’arrêter dans cette ambition à accomplir et cette quête continue du savoir.

A l’âge de 5 ans et demi, j’étais déjà à l’école et à 11 ans et demi, j’ai quitté ma famille pour la première fois, pour aller en 1959, poursuivre mes études secondaires au Lycée de Sousse, en tant qu’interne. Déjà, je devais me prendre moi-même en charge. Pour toujours. Je me sentais en fait responsable non seulement de moi-même, mais aussi de  ma famille et surtout de ma mère.

Etudier, réussir, sans jamais s’arrêter

Les six années passées au lycée étaient aussi laborieuses que merveilleuses. Dès la troisième année, j’étais orienté vers la section économique et grâce à nos enseignants, on apprenait non seulement les matières fondamentales, mais on découvrait aussi la vie. Je garde un souvenir particulier de Si Othman Khalfallah (Arabe), Si Bouraroui (Philo), Si…. (Education religieuse), et MM. Baldizone (Histoire Géo), etc.

Bachelier en 1965, je montais à Tunis pour m’inscrire à la faculté de Droit et des Sciences Economiques de Tunis, explorant pour la première fois la capitale et le monde universitaire. Parallèlement, j’étais admis au cycle moyen de l’ENA, ce qui m’offrait une opportunité supplémentaire et d’ailleurs améliorait ma bourse qui était de 30 D augmentée, avec l’ENA de 12 D. A l’époque, et surtout pour ma condition, c’était déjà une somme non-négligeable dont je pouvais envoyer une partie à ma famille.

Pour professeurs, j’avais notamment eu, ici et là, Si Chedly Ayari, Tijani Harcha, Sadok Bahroun, Moncef Belhaj Amor et d’autres pionniers. Je découvrais surtout l’économie moderne promue en Amérique du Nord et innovante par rapport à la française, par les notions de planification, ce qui me séduisait déjà beaucoup.

Aussi, et grâce à l’ENA, j’ai pu, dans le cadre des stages, réaliser mon premier voyage à l’étranger, en l’occurrence la Belgique. J’en garde à ce jour un souvenir vivace, surtout la traversée de la Méditerranée par bateau, même si, avec un billet de 3ème classe, nous étions admis au fond de la cale, sans même une transat pour dormir, l’arrivée à Marseille pour prendre le train de la Gare Saint-Charles et rejoindre la nuit, debout dans un train bondé, Paris, puis Bruxelles.

A la découverte des Etats-Unis

Licence et diplôme de l’ENA obtenus, je devais me fixer sur ma carrière. Deux choix se présentaient à moi, les Affaires Etrangères, où j’étais affecté par l’ENA ou la STEG (Services Informatique), admis sur concours, avec dès le début un salaire de 120 D et la promesse d’une belle situation.

Ma famille et moi voyons alors le bout du tunnel. Mais en fait, nourri par l’ambition qu’a toujours suscitée en moi ma mère, je voulais aller encore plus de l’avant surtout que, séduit par l’économie moderne, j’étais tenté par des études encore plus poussées aux Etats-Unis. La décision n’était pas facile à prendre, mais la tentation de l’Amérique était grande.

C’est ainsi que j’ai pu décrocher une bourse et partir, début janvier 1970, avec quatre autres camarades aux Etats-Unis, pour rejoindre l’université du Minnesota.

L’arrivée à New York puis à Minneapolis, au Nord, par un grand froid glacial et la neige que je voyais pour la première fois sont inoubliables. Tout était différent de chez nous : le climat, la langue, la culture et le système universitaire, en plus de l’éloignement. En six mois, il fallait perfectionner notre anglais et réussir les concours d’entrée aux grandes universités. La chance est au rendez-vous : j’étais admis à Princeton, Yale, UCLA, et d’autres. Evidemment, après mon baptême du feu glacial au Nord, j’aspirais au soleil californien et mon choix s’est naturellement porté sur l’Université de Californie à Los Angeles. En 4 ans, j’ai pu décrocher mon mastère puis, mon PhD et surtout m’investir dans la recherche en nouant des amitiés solides qui, par la suite, me seront bien enrichissantes tout au long de ma carrière.

Revenir en Tunisie, sans rompre les amarres

Faut-il rester aux Etats-Unis où de nombreuses offres aussi alléchantes les unes que les autres m’étaient faites, avec le confort des grands moyens mis à la disposition des chercheurs, ou, plutôt, rentrer au pays, participer au renforcement de l’université et contribuer à l’ancrage des nouvelles approches économiques modernes ?

En fait, j’étais surtout mû par le sentiment de devoir rendre, ne serait-ce qu’un tant soit peu, ce que la Tunisie m’a donné.

Depuis mon enfance, toute ma scolarité a été prise en charge par la communauté nationale et je me dois aujourd’hui de me mettre à son service. Même si je savais qu’en rentrant à Tunis, je ne bénéficierai pas du même environnement scientifique et devais faire face à l’esprit universitaire de l’école française. Mais, la motivation de participer au changement du système me stimulait. Avec nombre de collègues, nous nous y sommes attelés et parvenus, non sans peine, à le faire.

En fait, je n’ai jamais rompu avec mes contacts universitaires à l’étranger et je m’arrangeais pour me rendre, dès que possible, un peu partout en Amérique du Nord et en Europe, notamment, pour participer à des colloques et séminaires et y consacrer mes séjours sabbatiques de recherches.

A Tunis, le fait de me sentir utile m’exaltait et j’ai participé, aux côtés de feu Mohamed Charfi, à la création du Centre d’Etudes et de Recherches dont il sera directeur, au sein de la Faculté, se chargeant lui des aspects juridiques et me confiant le secteur économique. L’enthousiasme des équipes formées a permis de réaliser un travail de fond assez remarquable.

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