Opinions - 21.06.2011

Massacre à la brique souk de Jara GABES

Voici 4 ans, j'ouvrais ma maison d'hôte, Dar Ali Bey, plutôt gîte de charme dans son concept, dans ce que je considére comme la plus belle maison à architecture ottomane de Gabès, bâtisse en lisière du souk de Jara, anciennement marché aux esclaves, souk qui a été l'objet d'une réabilitation de la part des Ministères du Tourisme et de la Culture il y a peu de temps.  Le RDC de la maison, passage marchand a également bénéficié de cette réabilitation, ainsi que toute la ruelle de part et d'autre de la maison.

  L'an dernier, un voisin ayant acheté le terrain contigu ( un ancien souk en ruine) a commencé à construire après avoir déblayé dans une journée toutes les pierres antiques du souk. Il a tout d'abord construit un bloc arrivant tout au bord de mes fenêtres du premier étage.  Jusque là, j'ai toléré, tout en sachant qu'il n'a jamais demandé de permis de construire. Je passe sur les désagrements pour mes résidents, bruits et poussiére, et aux premiers dommages pour la maison ( poutres jetées sur le toit de la salle de bain etc....)
 
En décembre dernier, avant la révolution donc, il a redemarré ses travaux pour monter encore . J'ai vu disparaitre l'oasis qui était visible depuis toujours de cette façade sur laquelle la maison a 3 fenêtres. J'ai alerté la municipalité qui a fait cesser les travaux au moins à 3 reprises.... Ils reprenaient la nuit, avec les nuisances que vous imaginez pour mes voyageurs.
 
Aprés la révolution, la maison a monté, monté, jusqu'à dépasser Dar Ali bey , les fenestrons d'une chambres ont été murés, la climatisation sabotée ....
Mais là, nous sommes arrivés au bout du tolérable, la fenêtre de la cuisine a tout bonnement été murée de briques.

Je ne suis que locataire de la maison, même si mon projet a généré la création d'un fonds de commerce. Le propriétaire avait négocié par écrit le respect d'une distance de 4 m par rapport aux ouvertures présentes depuis plus de 150 ans .... ce sont des voisins et les familles sont alliées depuis des générations.
 
Ces derniers jours, donc, je ne sais plus quoi faire : impossible de prendre des réservations dans les mois qui viennent, avec une cuisine aveugle, un chauffe eau sans aération, tout mon projet devient inexploitable, et les coups sur les murs la nuit sont subis de façon imprévisible par mes résidents .
 
Je ne défends plus vraiment mon projet, je peux aisemment le déplacer, mon mari possède un immeuble magnifique avec des appartements que je peux exploiter en meublés ...... mais J'AIME Gabes, j'y vis depuis 28 ans , j'ai également une formation en techniques de l'archéologie , et je mesure parfaitement l'étendue des dégâts ..... dès que ces gens auront mis l'enduit sur leur maison, tout le monde va oublier qu'il y avait là une Entité, une maison à 4 façades, survivance d'une architecture protégée ....

Je possède une peinture à l'huile datant de 1918  signée d'un orientaliste répertorié ( Eugène Bonetto ), représentant la maison et son passage marchand ( sabatte) . De même, les cartes postales anciennes représentant le souk montrent parfaitement la maison au début du XXème siècle . J'ai le souvenir qu'un responsable du patrimoine, intéressé par la réabilitation de la maison il y a 4 ans, m'avait dit qu'elle est protegée et devait même être classée ;
 
Gabes a subi tant de dommages dans le passé qu'il est vraiment honteux de laisser massacrer un des derniers vestiges de son histoire. Je pense que vous avez bien saisi mes préoccupations qui ne sont nullement marchandes, quoique l'hébergement alternatif a le vent en poupe et représente un espoir pour la ville, laissée en marge du tourisme en général.

Isabelle CHINE