Opinions - 06.06.2011

Ne reculons pas devant le intégristes

Ce dimanche matin, à l'occasion de la commémoration du troisième anniversaire du décès du professeur Mohamed  Charfi, j'ai assisté à des conférences consacrées à la pensée de si Mohamed et son combat pour la démocratie et les libertés. L'une des conférences concernait la perception des droits des femmes pendant cette période de transition que traverse actuellement la Tunisie. L'exposé était clair et très riche, la conférencière est partie de deux constats à savoir que les gens nous disent que les femmes tunisiennes ont conquis tous leurs droits et que ce n'est pas le moment de parler des droits  des femmes. Elle a montré, avec brio, tout au long de son exposé que les femmes tunisiennes n'ont pas eu tous leurs droits comme on le prétend mais que des inégalités persistent entre les deux sexes, notamment au niveau de la famille où l’homme reste,  le chef de famille, au niveau de l’héritage où la femme n’hérite que de la moitié de l'homme, du mariage des tunisiennes avec des étrangers qui demeure soumis à des dispositions restrictives auxquels les hommes échappent totalement et du code de la nationalité où les dispositions sont discriminatoires envers les femmes ainsi que leur application. Elle a aussi montré que les droits des femmes constituent un facteur fondamental dans l'édification de la démocratie dans le pays car nous ne pouvons pas construire une démocratie politique en occultant la démocratie au sein de la famille par le maintien des textes qui consacrent les discriminations et les inégalités vis à vis des femmes. Elle a conclu que devant les enjeux politiques actuels et notamment la montée des intégristes, il ne faut pas toucher au premier article de la constitution tunisienne relatif à l'identité arabo-musulmane comme l'a toujours conseillé M. Mohamed Charfi. 

Suite à ce brillant exposé, j'étais frappée par l'intervention d'un philosophe tunisien où il défendait la thèse,  partant de cet article, qu'il eut été plus judicieux de ne pas manifester le 27 janvier pour réclamer la laïcité et la séparation de l'Etat et de la Religion en Tunisie. A l'en croire,  on a fourni un alibi à la mouvance intégriste pour dénigrer les démocrates et les désigner à la vindicte publique comme des ennemis de l'islam  qu'il faut combattre. Il explique que la plupart de tunisiens ne comprennent pas le concept de laïcité l'assimilant souvent à un système hostile à l'islam qui ne leur permet pas de pratiquer sereinement leurs croyances religieuses.

A ma grande surprise, l'oratrice, qui défendait les droits  des femmes dans son intervention, s'est alignée sur  cette position considérant que la manifestation du 27 janvier était une erreur !! Cette position m'a poussée à sortir tout d'un coup de mon silence pour dénoncer ces propos  avec lesquels je n'étais pas du tout d'accord  et ce pour les raisons suivantes:

- Premièrement, nous devons faire la différence entre un programme politique d'une part et la liberté d’expression et le droit de manifester pacifiquement sur la place publique, d'autre part. Je rappelle que  la manifestation du 27 janvier a été  organisée par la société civile et a vu la participation des femmes et des hommes de tout âge. Elle relevait, donc, de l'exercice d'un droit, celui de la liberté d'expression dont les Tunisiens et les Tunisiennes ont payé cher la facture, parfois au prix de leur vie, pour pouvoir en user. De ce fait,  je ne vois pas comment qualifier cette manifestation de "faute politique"?!!  

- Deuxièmement, il est à mon sens, dangereux de jouer le jeu des intégristes et de leur laisser le monopole de la teneur du débat public. Je pense que nous ne devons jamais essayer de leur plaire en s'engouffrant dans leur logique irrationnelle et violente de peur de leur laisser l'avantage d'exploiter le champ de la religion à leur seul profit.  Ce risque bien qu'il soit  réel ne doit pas nous pousser à délaisser notre démarche rationnelle et tomber dans le piège du populisme. Il est de notre devoir, nous intellectuels laïcs, qui avions été formés dans les écoles et les universités tunisiennes qui sont laïques et qui nous ont appris à être rationnels et à réfléchir dans tous les domaines de la vie, d'engager le débat sur la laïcité, sur la danger pour notre pays de confondre l'Etat avec la religion,  la politique avec la religion, comme cela été le cas avant le 14 janvier s'agissant de la confusion entre parti unique et Etat et qui a conduit à l'installation de la dictature dont nous avons souffert pendant plusieurs décennies.  Il est de notre devoir de trouver la pédagogie appropriée pour démystifier ces concepts et leur donner le contenu exact et rassurant quant à la pratique des croyances et la place de la religion dans la définition de notre identité sans exclusivité aucune. Nous serons peut être appelés à plaider la laïcité sous autre appellations mais sans perdre le fond de la question à savoir la nécessité de la séparation de la politique du religieux et de disposer de lois positives qui régissent notre vie.

- Troisièmement, il est important d'oublier les réflexes d'autocensure et d'accepter de faire l'effort qu'il faut pour convaincre. Nous devons aller partout pour parler, expliquer et échanger les points de vue. A mon avis, nous sous-estimons la capacité de compréhension de nos concitoyens. Les gens ne demandent qu’à comprendre et à s'instruire à propos des fondements de la citoyenneté que le discours religieux ne tient jamais et auquel il ne croit point. 

- Quatrièmement, je crois fermement que quoi que nous  fassions, les intégristes nous traiteront de "koffar"(mécréants) car ils n'acceptent aucune différence et n'ont qu'une idée fixe : imposer leur projet de société par la violence au mépris des pertes en vie humaines et  d'actes de viol que cette méthode peut engendrer.  L'exemple algérien qui est encore vivant dans nos mémoires est édifiant.

- Cinquièmement,  je voudrais rappeler les penseurs musulmans qui ont été exécutés soit par les régimes qui étaient aux ordres des intégristes comme fut le cas en 1985 du docteur Mahmoud Mohamed Taha, le penseur soudanais  éclairé qui avait été exécuté sur la place publique par Jaafar Nimeiry ou par les frères musulmans comme fut le cas du penseur égyptien, Faraj Fouda  dans les années 90. Sans compter les penseurs musulmans qui ont été acculés à fuir leur pays pour échapper aux menaces de mort décrétées à leur encontre sans que les gouvernements de leur pays punissent leurs auteurs comme fut le cas du penseur égyptien Hamed Naser Abouzaid qui a dit que la notion d'eljezia n'est plus d'actualité.

Pour toutes ces raisons, je demande à mes concitoyens et mes concitoyennes de faire l'effort difficile mais juste d'aller au contact du peuple et de lui parler simplement mais sincèrement du projet moderne de notre société que nous voulons non seulement préserver mais le faire évoluer et je suis persuadée que nous arriverons à réaliser cet objectif qui nous est si cher et si important pour nous-mêmes et pour l'avenir de nos enfants.

Mariem Tangour
Membre du collectif  "Lam Echamel"
Membre de l'association "Egalité et Parité"