Hommage à ... - 03.06.2011

M. Charfi, un héros qui a tout d'un homme

Il y a trois ans qu’il n’est plus là, ’’Si’’ Mohamed ; mais, sa présence se fait partout sentir. En témoigne d’abord cette belle révolution tunisienne qui vient de redonner au peuple sa souveraineté, au citoyen, sa dignité, à l’espoir, ses chances(1).

 Militant de longue date pour la liberté , la démocratie et  les droits de l’homme, il a été, avec des militants convaincus et  déterminés, M. S. Zmerli, entre autres, à l’origine de la fondation de la Ligue Tunisienne  pour la Défense  des Droits de l’Homme; une instance civile qui a eu le mérite d’initier  le pays  à une  culture qui portait dans  son  sein les ferments des temps à venir ; une culture de l’acceptation des différences, des vertus de la tolérance, des exigences de la civilité, qualités éthiques nécessaire tant  au « vivre ensemble », qu’ à l’apprentissage de la démocratie. A cheval sur les  principes,  son  style    est, en règle générale, accommodant ; mais il devient tranchant, lorsqu’il s’agit  des valeurs de la République. Aussi, le malentendu avec  le président déchu a-t-il commencé dès que celui-ci a voulu  toucher à La Ligue, en 1993. Le malentendu  a dégénéré en querelle  qui a fini, comme on le sait, par la démission de « Si » Mohamed, le premier   , à ce que je sache, à le faire pendant tout le règne de Ben Ali. Mais il n’était pas l’unique à l’oser :M.K.Nabli, également déçu, a pris , presque à la même époque , la même décision…

Ministre de l’Education Nationale,  universitaire mondialement reconnu, il s’est consacré à  offrir à la jeunesse tunisienne la nourriture intellectuelle  adéquate, lui permettant de prendre conscience des exigences de la modernité, de la citoyenneté libre et responsable, de l’existence conforme aux réquisits de la dignité humaine. Malgré  les calomnies sans nombre accumulées autour de la réforme Charfi, l’esprit qu’elle a insufflé  à l’école  est encore vivifiant, vigoureux, libérateur. C’est que   «Si» Mohamed  a compris  que, bien  assimilée, l’éducation est une éducation de la volonté, une culture de l’effort. Il ne cessait de le répéter à ses collaborateurs .L’écolier s’en souvient encore : Le premier livre offert aux plus jeunes s’appelle : ‘Je lis’. En terminale, le livre majeur offert aux moins jeunes,  s’appelle : ‘ Je pense’. De l’apprentissage de la lecture, à l’exercice de la pensée ,le progrès est si visible  qu’il  a eu ,contre lui, les tenants attardés d’idées vermoulues  .Aussi ont-ils ,d’un ton d’une acrimonie sans égale ,combattu cette réforme. Mieux : Ce progrès est  si puissant qu’il  a surpris le monde entier ,par ses effets lointains : Un attachement indéfectible  à la liberté, au respect de soi, à  l’exigence  de gagner son pain à la sueur de son front, à ses droits et devoirs de citoyen ; bref ,une volonté à même de déplacer des montagnes et  de faire tomber les régimes les plus autoritaires. Le monde entier en témoigne …

Simple  citoyen,  «Si » Mohamed  a fait son devoir de citoyen : Dire non à tout ce qui compromet l’avenir du pays, à ce qui trahit les valeurs de la République. Cet impératif  est devenu  chez  lui ,à la fois le plus important et le plus urgent ,surtout  à partir du moment  où il est devenu évident que ,substituant aux promesses de la déclaration du 7 novembre 1987, une sorte de prêchi- prêcha  dans laquelle la cécité politique n’a pas moins de part que la vanité, le régime virait subrepticement  vers la dictature et la corruption. Il n’y a eu que « Si »Mohamed  qui a lucidement  conseillé au président déchu de « sortir du pouvoir par la porte  par laquelle il y est entré, sinon il se trouverait un jour évincé par la porte de derrière… ». C’est ici, le peuple tunisien s’en souvient, que l’on voit à plein, combien  Charfi  avait vu juste. A  la honte du Soldat d’abord, du politique ensuite, du citoyen enfin,  Ben Ali, en proie au délire, n’a même pas eu l’occasion de quitter  Carthage par la petite porte. Rejeté par son peuple, il a fui la Tunisie.

Dans la vie d’un homme, ce que l’on choisit définit explicitement celui qui l’a choisi. Or « Si » Mohamed  a choisi d’être  simple, authentique, comme tout homme d’Etat digne de ce statut. Sans trop le vouloir, l’histoire a fait de lui un héros. Un héros qui a tout d’un homme.

Mohamed Ayadi
Ex-secrétaire général du Ministère de l’Education,
de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique

Légende photo: Mohamed Charfi avec Michael Gorbatchev
 

(1) Hommage à Mohamed Charfi : Charfi et les lumières à l'Ecole Normale Supérieure de Tunis, 8, Place aux moutons, le samedi 4 juin à l'amphitéâtre, avec trois interventions : Faouzia Charfi : témoignage sur l'oeuvre de Mohamed Charfi ; Guillaume Métayer : Voltaire et Nietzsche et Abdelaziz Labib : Farah Antoun, Nietzsche et les lumières.