News - 17.05.2011

21 économistes de renommée internationale dont le Prix Nobel Joseph Stiglitz lancent un appel au G8 pour le soutien d'un plan tunisien

Vingt-et-un économistes de renommée mondiale, dont Joseph Stiglitz (Prix Nobel d’économie 2001), de 7 pays, ont lancé mardi à partir de Tunis un appel aux dirigeants du G8 qui se réuniront dans quelques jours à Deauville, afin de «soutenir la transition en Tunisie et plus précisément à soutenir une feuille de route qui serait élaborée et conduite par la Tunisie ; feuille de route qui identifierait clairement les acteurs impliqués et les montants à mobiliser.»

Trois parmi eux, Joseph Stiglitz, Jean-Louis Reiffers et Olivier Pastré ont été reçus mardi par le Premier ministre, M. Béji Caïd Essebsi, à la Kasbah, à quelques heures avant son départ en France et d’autres se sont joint à cet entretien par visioconférence à partir de différentes capitales européennes. Dans leur adresse au G8, ils ont appelé particulièrement à :

  • Une aide immédiate pour les subventions alimentaires et énergétiques ainsi que pour un plan de recyclage à l’intention des diplômés chômeurs.
  • Un plan du G8 doté de 20 à 30 milliards de dollars sur 5 à 10 ans afin d'investir massivement dans le désenclavement de l'intérieur du pays. Le développement des transports, des infrastructures technologiques, des pôles technologiques et industriels  sont, en effet, des priorités absolues afin d’être en mesure de créer le tissu de PME dont les zones déshéritées ont tant besoin.
  • Rétablir, grâce à ce plan, la confiance indispensable au rebond : développer un cadre concurrentiel pour les industries et les services, mettre l'accent sur les petites entreprises, optimiser l’intermédiation financière notamment au travers d’une restructuration du système financier (capitalisation des banques, traitement spécifique pour les prêts non performants,  microfinance, fonds d'investissement, fonds d’amorçage,...).
  • Une déclaration claire sur les modalités de mobilisation et de coordination entre les différentes institutions financières (FMI, Banque mondiale, BERD, BEI, BAD et BID) afin qu’elles puissent  contribuer de manière optimale à la croissance et à la restructuration de l'économie tunisienne.
  • La création d'une institution financière spécifique à la région car la Tunisie et l'Egypte seront probablement suivies par plusieurs autres pays. Ce serait là un symbole politique fort pour la région et une garantie de coordination optimale des efforts de la communauté internationale.
  • Un engagement, à titre individuel, des pays européens participant au sommet d’appuyer l'obtention pour la Tunisie du statut de partenaire associé de l’Union Européenne avec un plein accès aux fonds structurels européens.
  • La création de mécanismes garantissant un meilleur accès au savoir et favorisant les échanges entre jeunes tout autour de la Méditerranée et au-delà.

Les signataires de l’appel considèrent que : « La Tunisie est le leader de la transition démocratique arabe. Sa population a atteint un haut niveau d’éducation. Le statut, exceptionnel pour le monde arabe, qu’y a acquis la femme est un grand facteur d’espoir. Sa petite taille en fait un parfait laboratoire de la démocratie. Elle nous offre l'occasion unique de prouver que la démocratie peut suivre un développement harmonieux dans la région. Le coût d'un tel laboratoire, le coût du Plan que nous préconisons, n’est que de 2 à 3% du coût de la réunification allemande et inférieur au coût d'un à deux mois de la guerre en Irak.

L'essentiel est d'agir immédiatement, sans attendre, il sera alors trop tard!

Répondant aux questions de la presse tunisienne à l’issue de leur entretien avec le Premier ministre, en présence de M. Mustapha Kamel Nabli, Stiglitz, Reiffers et Pastré ont souligné tout l’intérêt que suscite dans le monde la transition démocratique de la Tunisie et la nécessité de la soutenir immédiatement en mobilisant les 25 milliards de dollars recherchés pour cinq ans. Tout en soulignant l’ampleur du soutien déjà annoncé par la Banque mondiale, la BAD et d’autres institutions, ils ont appelé l’Europe et les Etats-Unis, particulièrement, à ouvrir leurs marchés aux produits et services tunisiens et contribuer activement aux différents projets initiés en Tunisie. Au-delà du statut de pays avancé, l’Europe, estiment-ils, doit aller plus loin en proposant un accord d’association, englobant l’ensemble, sauf les institutions, à l’instar de ce qui a été pratiqué avec la Suisse, la Norvège etc.

Par ailleurs, un réexamen de la dette publique tunisienne dans le sens d’un allègement significatif a été prôné tout comme une plus grande implication de la société civile et du secteur privé au service de la Tunisie.
Pour relativiser la modestie des 25 milliards à mobiliser, l’un des économistes a relever que ce montant ne représente que la moitié de l’ardoise laissée par Madoff et cinq fois celle dec Kerviel. Lors de la chute du Mur de Berlin, l’intégration de l’Allemagne de l’Est avait bénéficié de 700 milliards de dollars et la relance de la Pologne pas moins de 70 milliards de dollars, a-t-il rappelé.



Texte intégral de l’appel

Le peuple tunisien a fait preuve d’une maturité exceptionnelle. Prenant de cours tous les analystes et toutes les prédictions, il a remarquablement demandé et obtenu la fin d'un régime autocratique. Avec sa révolution non-violente, le peuple tunisien a lancé un profond mouvement démocratique dans le monde arabe qui pourrait bien remodeler complètement l'avenir de la zone MENA, mais aussi ceux de la zone méditerranéenne et de l'Union européenne. La dynamique actuelle apparaîtra à l'avenir au moins aussi importante que la chute du mur de Berlin. Il est essentiel que les pays membres du G8 saisissent toute l’importance de cet événement et fassent le nécessaire pour que la Tunisie puisse être et demeurer l’exemple et la en matière de changement social, économique et démocratique pour l’ensemble de la région et au delà.

Pour parachever sa révolution, le peuple tunisien s’est engagé aujourd'hui avec détermination dans la construction d’un État démocratique fondé sur des institutions pérennes. La transition démocratique est en marche. Le vote pour une Assemblée constituante est prévu le 24 Juillet. L'introduction de la parité dans la loi électorale est un signal particulièrement fort.

De nombreux pays de la région ont toute leur attention focalisée sur la Tunisie et un échec de sa transition démocratique serait une victoire pour toutes les dictatures de la région et une sévère défaite pour la démocratie.

Nous avons la responsabilité collective de faire en sorte que cette transition réussisse et de prouver que la coopération économique est la meilleure barrière contre les extrémismes.

Le risque auquel nous avons à faire face aujourd’hui, est celui d’une mauvaise coordination des actions ; le risque que le reste du monde attende que la Tunisie ait achevé sa transition pour l’aider, alors que la Tunisie a besoin de cette aide pour réussir cette transition. Sur le plan économique, les transitions démocratiques engendrent souvent une courbe en J: une perte de croissance, avant une reprise. La Tunisie a besoin d'assistance internationale afin d'éviter la phase de décroissance initiale que son économie et sa société ne peuvent pas se permettre. La Révolution n’a certes pas de prix, mais elle a un coût. La croissance économique pour 2011 devrait passer en dessous de 1% et les émeutes ont déjà coûté 2 milliards de dollars à l'économie, ce qui équivaut à 4% du PIB. Le tourisme est fortement affecté et pourrait conduire à une augmentation du chômage. Le climat d'instabilité a amené les agences internationales de notation à dégrader la Tunisie. Les besoins immédiats sont nombreux en termes d'assistance budgétaire, d'assistance technique, d’aide humanitaire et sanitaire pour les réfugiés de Libye ainsi qu’en termes de soutien international pour le maintien du subventionnement des denrées alimentaires et de l’énergie.

Dans le moyen et le long terme, le niveau d'éducation élevé de la population tunisienne est son principal atout pour devenir l'une des démocraties les plus dynamiques de toute la région. L’instauration de la démocratie devrait permettre une meilleure redistribution des richesses entre les régions et dans la société.

Les prochains mois seront sans nul doute semés d'embûches. ? Une transition réussie vers la démocratie après de longues années d'un régime autocratique est une tâche lourde et difficile. Construire l'État de droit tout en préservant les acquis nécessite  concertation et doigté.

Mais, nous, économistes, savons que les investissements se jugent sur le long terme. Nous avons la ferme conviction que la mise en place d’institutions démocratiques sera un facteur déterminant de l'amélioration de l'attractivité et des performances économiques sur les moyen et long termes.

La révolution a suscité appui, sympathie et respect. Il nous faut désormais aller plus loin.

Il est de la responsabilité de la communauté internationale d’éviter que la Tunisie n’entre dans un cercle vicieux : pauvreté et augmentation du chômage entraînant une augmentation du populisme et de l'extrémisme qui, à leur tour, conduisent à l'isolationnisme et de là, à l’accroissement de la pauvreté et du chômage. Au niveau international, la conséquence en serait la propagation des extrémismes ainsi que la multiplication des vagues de migrations fuyant ces extrémismes.

Le G20 a déclaré en Février 2011 "Nous nous tenons prêts à apporter notre soutien à l'Egypte et à la Tunisie le moment venu par des réponses coordonnées avec les institutions internationales et les banques régionales de développement, pour accompagner les réformes que ces pays adoptent au bénéfice de la population toute entière et leurs efforts de stabilisation économique.".

Il s'agissait là d'une première étape. Nous appelons aujourd'hui les dirigeants du G8 qui se réuniront dans quelques jours à Deauville, à soutenir la transition en Tunisie et plus précisément à soutenir une feuille de route qui serait élaborée et conduite par la Tunisie ; feuille de route qui identifierait clairement les acteurs impliqués et les montants à mobiliser.

Plus précisément, nous appelons à:

  • Une aide immédiate pour les subventions alimentaires et énergétiques ainsi que pour un plan de recyclage à l’intention des diplômés chômeurs.
  • Un plan du G8 doté de 20 à 30 milliards de dollars sur 5 à 10 ans afin d'investir massivement dans le désenclavement de l'intérieur du pays. Le développement des transports, des infrastructures technologiques, des pôles technologiques et industriels  sont, en effet, des priorités absolues afin d’être en mesure de créer le tissu de PME dont les zones déshéritées ont tant besoin.
  • Rétablir, grâce à ce plan, la confiance indispensable au rebond : développer un cadre concurrentiel pour les industries et les services, mettre l'accent sur les petites entreprises, optimiser l’intermédiation financière notamment au travers d’une restructuration du système financier (capitalisation des banques, traitement spécifique pour les prêts non performants,  microfinance, fonds d'investissement, fonds d’amorçage,...).
  • Une déclaration claire sur les modalités de mobilisation et de coordination entre les différentes institutions financières (FMI, Banque mondiale, BERD, BEI, BAD et BID) afin qu’elles puissent  contribuer de manière optimale à la croissance et à la restructuration de l'économie tunisienne.
  • La création d'une institution financière spécifique à la région car la Tunisie et l'Egypte seront probablement suivies par plusieurs autres pays. Ce serait là un symbole politique fort pour la région et une garantie de coordination optimale des efforts de la communauté internationale.
  • Un engagement, à titre individuel, des pays européens participant au sommet d’appuyer l'obtention pour la Tunisie du statut de partenaire associé de l’Union Européenne avec un plein accès aux fonds structurels européens.
  • La création de mécanismes garantissant un meilleur accès au savoir et favorisant les échanges entre jeunes tout autour de la Méditerranée et au-delà.

La Tunisie est le leader de la transition démocratique arabe. Sa population a atteint un haut niveau d’éducation. Le statut, exceptionnel pour le monde arabe, qu’y a acquis la femme est un grand facteur d’espoir. Sa petite taille en fait un parfait laboratoire de la démocratie. Elle nous offre l'occasion unique de prouver que la démocratie peut suivre un développement harmonieux dans la région. Le coût d'un tel laboratoire, le coût du Plan que nous préconisons, n’est que de 2 à 3% du coût de la réunification allemande et inférieur au coût d'un à deux mois de la guerre en Irak.

Signataires :

  • Philippe Aghion (Harvard University)
  • Jacques Attali (Economiste et écrivain)
  • Christian de Boissieu (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
  • François Bourguignon (Paris School of Economics)
  • Daniel Cohen (Ecole normale supérieure)
  • Jean-Paul Fitoussi (Sciences-Po, Paris)
  • Eijri Hattori (Tokyo University)
  • Rainer Klump (Centre of European Integration and International Economics, Frankfurt)
  • Toshio Koike (Tokyo University)
  • Wolfgang Koenig (Goethe Universtät, Frankfurt)
  • Jean-Hervé Lorenzi (Université Paris-Dauphine et Cercle des économistes)
  • Stefano Micossi (College of Europe)
  • El Mouhoud Mouhoud ( Université Paris Dauphine)
  • Olivier Pastré (IMBank and Université Paris 8)
  • Richard Portes (London School of Economics)
  • Jean-Louis Reiffers (Université du Sud)
  • Hélène Rey (London Business School)
  • Nouriel Roubini (New-York University)
  • Joseph Stiglitz (Columbia University)
  • Motoyuki Suzuki (Professeur émérite Tokyo University)
  • Klaus F. Zimmermann (Bonn University and IZA)