Opinions - 02.05.2011

Si la Tunisie s'effondre, l'Europe s'écroulera

Dans une tribune publiée lundi par le quotidien économique et financier parisien Les Echos, sur son site électronique, Jamel Dridi (pseudo JDEMPLOI), consultant sur les questions d’emploi/RH/ Recrutement, met en garde l’Europe contre un manque de soutien à la Tunisie, ce qui risque d’accélérer l’effondrement du pays et l’écroulement du continent.

Pourquoi l’Europe a–t-elle intérêt à ce que la Tunisie ne s’effondre pas ? Non pas parce qu’elle est généreuse (et elle l’est) mais parce qu’il en va de ses intérêts sécuritaires, économiques et politiques ! En un seul mot, il en va de sa pérennité.

Il faut d'abord rétablir quelques vérités au sujet de la générosité européenne. L’Europe refuse de s’engager sérieusement financièrement dans l’accompagnement de la Tunisie vers la transition démocratique. Ce mutisme européen constitue une erreur fondamentale. Certains avançant même que l’Europe n’a jamais aidé financièrement l’Afrique et encore moins la Tunisie. Pourtant, pour être honnête, il faut souligner que ces critiques ne sont pas totalement vraies. On ne peut passer sous silence l’aide passée de l’Europe en direction du continent africain.

Effectivement, il faut être plus nuancé ; si ces critiques sont compréhensibles, elles ne sont pas totalement justes. Sans rentrer dans les détails, il faut souligner que l’Union Européenne, durant les trente dernières années, a beaucoup aidé financièrement les pays du Maghreb et par conséquent la Tunisie. Des centaines de millions d’euros ont été alloués à des domaines aussi divers que l’Education, la construction de voies de communication, l’assainissement des eaux…..

Mais pourquoi ces critiques sont-elles alors compréhensibles? Pour deux raisons. :

  • Tout d’abord, l’Europe a certes alloué des fonds mais le contrôle qui en a été fait fut si faible qu’une grande partie a été détournée pour enrichir quelques personnes. Preuve en est que sur le terrain, les bénéficiaires légitimes n’ont jamais vu l’utilisation concrète des sommes prêtées ou données par l’Union européenne.
  • La deuxième raison explique dans une certaine mesure cette absence de contrôle. Ceux qui auraient dû être contrôlés dans l’utilisation des fonds, les dirigeants corrompus, garantissaient ce qui était le plus important aux yeux de l’Europe, à savoir empêcher l’immigration clandestine d’atteindre l’Europe et circonscrire la menace islamiste. Pourtant, la première ne s’est jamais réellement arrêtée et la menace islamiste (le plus souvent exagérée) a surtout permis d’étouffer toute velléité démocratique des forces d’opposition diverses (presse, syndicats et partis politiques).

Pourquoi l'Europe doit-elle aider la Tunisie ?

Un petit retour en arrière s’impose. Le 5 mai 1947, Georges Marshall,  homme d’Etat américain, lance le programme de relèvement de l’Europe (European recovery program) plus connu sous le nom de « plan Marshall ».

Pourquoi les américains se sont-ils lancés dans ce  coûteux programme ? Eux qui avaient déjà dépensé, avant ce plan, pendant les deux années qui ont suivi 1945, l’équivalent de 15 milliards de dollars  pour maintenir plusieurs pays européens à flot et surtout l’Allemagne, elle qui remboursait une dette de guerre énorme à l’URSS.

Les Etats-Unis ont donc été sans conteste généreux mais avaient-ils simplement un objectif philanthropique ? Bien évidemment non et c’est là ou le parallèle avec la Tunisie doit être fait car les Etats-Unis ont évité pour eux ce que l’Europe semblait ignorer pour elle.

Le soutien économique pour contrecarrer tout idéologie populiste et hostile aux intérêt de l’Europe

Avec ce plan, les américains voulaient éviter que les régimes européens ne s’effondrent, que les peuples se révoltent parce qu’ils ont faim, et que l’idéologie totalitaire communiste, récupère la mise.

Les européens doivent bien réfléchir avant de laisser la Tunisie seule face à son destin. Ils doivent la soutenir économiquement dans le cadre d’un vaste plan d’aide. Le phénomène est connu, le lit de tous les extrémismes est la pauvreté. L’histoire, pas si ancienne que cela de l’Europe, en est un bon exemple. Les régimes fascistes européens ont été concomitants à des périodes de crise.

Les tunisiens sont éduqués, instruits et possèdent une ouverture d’esprit reconnue mais, sans aide, comme tout naufragés en détresse, ils se raccrocheront à tout radeau, fusse t-il extrémiste, pour ne pas se noyer.

Contrôler l’utilisation de l’argent

Les Etats-Unis voulaient arrêter la charité à fonds perdus donnée aux européens mais qui ne leur profitait pas toujours car détournée. Ils voulaient investir dans des grands projets à long terme permettant la remise à flot de l’économie européenne. Ils voulaient rendre autonomes les Etats européens. Pour cela, ils ont conditionné le versement des aides au respect de règles de contrôle strictes quant à leur réalisation. En ces temps de crise, le problème des européens est que vue l’état de leurs finances, ils sont réticents à dépenser,  à fortiori  s’ils ne sont pas sur de la bonne destination des fonds. Comme dans le cadre du plan Marshall, ils peuvent aisément prévoir des mécanismes de contrôle qui conditionneraient strictement les aides versées au respect d’objectifs précis. Mais venons-en au point essentiel.

Le risque de la fin de l’aventure européenne
 
Avec le plan Marshall, les Etats-Unis voulaient assurer la sécurité en Europe gage pour eux d’un développement du commerce pour écouler leurs marchandises, films et produits divers. En effet, la faiblesse de l’Europe impactait directement leur économie et par conséquent leur stabilité sociale intérieure.

C’est sans doute le point le plus important pour l’Europe. L’effondrement de la Tunisie, ne constituera sans doute pas une grande perte pour l’écoulement des marchandises européennes contrairement à ce qui s’est passé à la fin de la seconde guerre mondiale. Le risque est plutôt inverse.

En effet, la stabilité économique et sociale européenne sera impactée car d’importants flux migratoires se dirigeront vers l’Europe si la Tunisie s’effondre. l’Etat tunisien s’affaiblira sans doute rapidement en raison du tarissement des ses moyens financiers pour fonctionner et maintenir ses organes de sécurité (police, armée, douanes).

A quelques heures de bateaux de l’Europe, la Tunisie, comme la Somalie , serait le point de départ de tout ce dont ne veut pas l’Europe. En tous cas, ce qui est sur, c’est qu’elle sera le point de départ de tous les clandestins du Maghreb et de l’Afrique dans sa direction.

Bien évidemment, comme vous le savez, tout cela n’est pas qu’un scénario de fiction destiné à faire peur car il a déjà commencé à se réaliser. Ainsi, ce ne seront donc pas quelques centaines d’immigrants auxquels il faudra faire honteusement la chasse en plein Paris mais des milliers. Quelle seront les réactions dans le Monde face à ces comportements hostiles aux immigrés clandestins ; quelle image l’Europe donnera-t-elle ?

Et même si, retrouvant ses esprits, l’Europe les accueillaient dignement, en aurait elle les moyens quant il s’agira de milliers d’immigrants arrivant chaque jour sans que l’on sache quand le flot s’arrêtera. Bref, face à ces risques sécuritaires, économiques et sociaux, l’Europe résistera-t-elle ou commencera-t-elle à se déliter comme elle commence d’ailleurs déjà à le faire avec la remise  en question des accords de Schengen suite à  l’arrivée des quelques centaines d’immigrants tunisiens ?

Est-il réellement dans l’intérêt de l’Union européenne de ne pas aider la Tunisie avec un plan de relance digne de ce nom ? Qu’est-ce qui lui coûterait le plus cher ; agir préventivement aujourd’hui en soutenant la Tunisie ? Ou s’abstenir et faire face demain aux extraordinaires conséquences qui en découleraient ?
A part aider la Tunisie, quelles solutions l’Europe serait-elle tentée de mettre en place pour faire face à ce problème tunisien ?

Bien évidemment, il y a une solution connue de tous et qui a fonctionné pendant des décennies. A savoir, s’accommoder d’un président-dictateur (gardien de prison à l’échelle d’un pays), brimant son peuple et les libertés fondamentales sans qu’on ne le critique trop fort, à condition qu’il empêche tous les pauvres de son pays d’immigrer. Cette solution a de moins en moins de chances d’être envisageable. Le fait est que la Révolution tunisienne est passée par là et que les peuples sont, ces temps-ci, très en forme pour licencier sans préavis leur tortionnaire en chef. Surtout qu’il serait désormais mal vu pour un dirigeant européen, comme ce fut le cas dans le passé, d’aller « tapoter » sur le dos d’un dictateur en le louant comme si de rien n’était.

La seconde solution, celle que semble privilégier actuellement l’Europe, est de se retrancher dans une forteresse en investissant dans des solutions sécuritaires qui ne marchent pas et qui n’ont comme seule conséquence que d’enrichir les entreprises qui proposent ce type de solutions. Voilà d’ailleurs en réalité où se trouvent les dépenses à fond perdu pour l’Europe !. Dans combien de bateaux, avions, moyens humains faudra t-il investir pour contrôler les milliers de km carrés de la Méditerranée ? Et pour quel résultat d’ailleurs ?

En fait, la meilleure solution, encore une fois, est d’aider les tunisiens à vivre dignement dans leur pays. Si des jeunes affrontent une mer méditerranée déchaînée dans des barques fragiles, ce n’est pas pour s’offrir des sensations  mais parce qu’ils risquent de mourir de faim chez eux. Si l’on investit massivement en Tunisie, tout en contrôlant, encore une fois l’argent investi, la Tunisie ne s’effondrera pas, se développera économiquement et l’on diminuera le flot d’immigrants. L’immigration existera toujours mais dans proportions raisonnables et surtout gérables.

Pour paraphraser Victor Hugo, l’histoire tunisienne est en marche et rien ne pourra l’arrêter. Mettre ses deux mains devant ses yeux pour se cacher cette réalité n’y changera rien. Faire face en gesticulant de manière populiste parce que des élections sont proches non plus. Ne pas aider la Tunisie, c’est non seulement rater ce grand rendez-vous de l’Histoire mais c’est surtout s’exposer à des risques sécuritaires et  économiques réels.

L’Europe n’y résisterait pas.

Accompagner la Tunisie vers la Démocratie, la soutenir financièrement, c’est non seulement renforcer ses liens avec un pays déjà ami, conforter sa zone d’influence, mais c’est surtout, comme aux échecs, s’assurer à l’avance d’une fin de partie gagnante.

Le temps presse. Il faut agir rapidement et mettre sur pied un plan « Marshall » pour la Tunisie. Un plan gagnant/gagnant.

JDEMPLOI