Opinions - 19.04.2011

Solidarité Tuniso-franco-italienne ou à chacun ses réalités… et ses intérêts…

Il m’est revenu à l’esprit  l’heureuse journée qu’avait vécue  en ces années 80, la ville de Mazzara dell vallo en Sicile, lorsque plus de vingt  chalutiers italiens regagnèrent l’Italie après un arraisonnement en Tunisie de plusieurs mois  pour activités illégales de pêche  dans les eaux tunisiennes. La libération de ces chalutiers,  qui n'était   assortie d’aucune amende ou saisie à l’encontre des  armateurs ou des capitaines italiens était avant tout l'expression d'un geste éminemment politique.

Le principal artisan de cet accord du côté tunisien était M. Béji Caid Essebsi, alors Ministre des Affaires Etrangères. Dans un élan de relance de la coopération tuniso- italienne,  Iil convenait avec son homologue italien, M. Renato Colombo de transcender les intérêts à court de terme  au profit  de  relations de bon voisinage,d’amitié et de coopération mutuellement profitables alors même que les deux pays connaissaient des problèmes de politique intérieure non négligeables !
Cet épisode me propulsa au fond des remous que suscitèrent ces dernières semaines  les mouvements migratoires des côtes sud méditerranéennes vers l’île de  Lampedusa où une majorité de tunisiens  étaient  accueillie certes dans des conditions visiblement critiques mais par une large majorité de la population avec une certaine solidarité…

Convenons que  la petite île italienne avait  ses contraintes mais  la grande affluence qui  résultait d’une  conjoncture humanitaire à caractère Régional suite à la révolution en Tunisie et aux  soulèvements populaires en Libye  et qui devrait être normalement perçue et comprise  comme faits exceptionnels -  non dirigés contre quiconque - devrait être traitée dans un esprit de solidarité et d’entraide par les pays voisins de la rive  nord méditerranéenne   que seule la profonde croyance en une coopération internationale pouvait engager.
 La Tunisie qui a eu à faire face et  continue à l'afflux de milliers de  réfugiés et de blessés sur son territoire, s’est mobilisée spontanément   comme elle l’a fait parce qu’Elle a  toujours cru  à la solidarité et à la coopération internationale particulièrement dans le cadre du Système des Nations Unies et cela sans attendre le déclenchement apprécié  des  aides  bilatérales et  multilatérales.

Alors même que les tunisiens constituaient l’essentiel des migrants à Lampedusa , il ne devrait échapper à personne que de probables incitations au départ résulteraient de calculs extérieurs à la volonté tunisienne tendant  à  amplifier les problèmes locaux  que la Tunisie s’efforçait  avec toutes ses composantes à maîtriser - certes avec le concours des organismes onusiens spécialisés et des pays amis – qu’émergea ce fameux accord tuniso – italien de  délivrance par les Autorités italiennes de  22000 permis de séjours temporaires  aux tunisiens leur donnant des  perspectives  assorties en fin de parcours par  cette grande concession de solidarité  que la Tunisie avait acceptée le principe de  la  reconduite….

 Solidarité, calculs politiques ou avenir commun différencié vivement recherché  se seraient  ainsi croisés autour de la  solution de la question d’immigration  que  le Secrétaire Général de l’ONU considérait devant le Parlement Européen  comme « la santé du continent européen. »

Si tout un chacun avait  saisi que les tenants et aboutissants de cette acceptation par la Partie Italienne étaient entre autre motivés par des considérations  de  politique intérieure  qu’imposaient d’ailleurs  des courants  reconnus pour leur position xénophobe à l’égard de tous les problèmes d’immigration, cela n’a pas empêché la Tunisie de faire un geste hautement significatif  en direction  non seulement de l’Italie voisine mais de la Politique que l’Union Européenne proclamait depuis quelques semaines. D’ailleurs, la dernière illustration émanait du Président de la Commission Monsieur  BARROSO à l’occasion de sa récente visite à Tunis et pour lequel la Tunisie devra être « l’exemple premier de la nouvelle génération de notre partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée »

Le   Geste tunisien n’a pas été perçu de la même façon à Paris et à Rome qui n’ont pas manqué de s’échanger des déclarations tout à fait en marge de l’importance stratégique qu’auraient dictées  les circonstances et les perspectives de l’émergence d’un Partenariat que ne cessent d’appeler de leurs vœux des dirigeants européens emballés par ce courant de vague démocratique en Afrique du Nord et au Moyen Orient, courant  qu’ils considéraient comme une opportunité historique pour les rapports  euroméditérranéens  en particulier et pour  la stabilité de la Région en général.

Que les  politiques intérieures s’y mêlent de telle question, cela aurait été compréhensible dans le contexte antérieur aux bouleversements déjà survenus et à  venir dans la Région  mais que les orientations et déclarations officielles se démarquent de la réalité en s’exerçant à rechercher des subtilités juridiques pour revenir à la case départ, se  pose véritablement un problème  politique lié à la Nature de la Solidarité que l’Union Européenne préparerait et voudrait instaurer  avec ces futurs partenaires auxquels  Elle annonce et promet à grand fracas  des traitements innovants,substantiels,expression d’une coopération soucieuse du développement, du respect des  droits  de l’homme et de la bonne Gouvernance.

Est venu le temps de s’interroger sur la nature véritable de  ses relations de bon voisinage et  de prospérité partagée européennes que l’on entend fuser de toutes parts pour que ces pays de la rive sud de la Méditerranée en particulier s’interrogent à leur tour sur  leur approche de Solidarité Stratégique que ni les faits ni les prémisses d’un avenir autrement démocratique ne laissent présager…

Que la visite annoncée pour les prochains jours à Tunis du ministère des affaires étrangères puisse consacrer  cette  solidarité véritablement recherchée de part et d’autre ou confirmer – ce que personne ne souhaite -  ce qu’on a vécu longtemps comme un corollaire de la légitime protection d’ intérêts dans leur  acception  classique  à savoir…..à  chacun ses réalités… à chacun ses intérêts…. !       

Salem FOURATI
Ambassadeur de Tunisie à la retraite