News - 31.03.2011

La stratégie de Caid Essebsi : des mesures économiques et sociales urgentes et plus de fermeté pour éviter les blocages politiques et relancer l'économie

Cela ne fait à peine 3 semaines, que M. Béji Caid Essebsi est à la tête du gouvernement, et sans pouvoir prétendre au bénéfice de 100 jours de grâce, communément accordés, le voilà rendre compte à la Nation, de son premier bilan, en un rapport d’étape. «Trois semaines, aussi intenses que trois ans», dira-t-il mercredi soir dans une interview en direct accordée aux trois chaines TV tunisiennes, Watanya, Hannibal et Nessma (une première dans notre pays). Face aux caméras dans ce superbe patio du palais du gouvernement à la Kasbah, le premier ministre a tenu, en 90 minutes, à marquer son territoire, mettre en garde contre les blocages et à fournir les explications  aux grandes interrogations politiques, économiques et sociales, n’éludant aucune question posée par le trio Abdelmalk Berrabah, Faouzi Jerad et Sofiane Ben Hmida, allant jusqu’à expliquer, sans trop s’y attarder, le départ de Farhat Rajhi, gardant le cap sur les vraies menaces et les grandes opportunités. 

A-t-il été précis et convaincant ? Maîtrisant parfaitement l’art de la rhétorique, usant de bons exemples faciles à comprendre et multipliant les  belles citations, le Premier Ministre poursuit avec cette troisième rencontre avec la presse, non sans humour et sur un ton percutant, son exercice d’explicitation de l’action gouvernementale et de mobilisation de l’opinion publique. Même s’il n’est pas très précis sur certaines questions et que parfois ses réponses sont à dessein globalisées, il rassure de plus en plus les Tunisiens et renforce son capital de crédibilité.
 
Rappel des principes : respecter les engagements pris par le gouvernement précédent, en signe de continuité de l’Etat, même s’il a une opinion différente. Exemple la dissolution du RCD, le maintien de la date du 24 juillet pour l’élection de la Constituante, etc. Mais, aussi, affirmation de son propre style : exercer son mandat en son âme et conscience sans accepter de le partager avec d’autres, privilégier la stabilisation sécuritaire pour pouvoir restaurer la confiance et relancer l’économie, respecter l’indépendance totale de la justice, à l’égard de tous, comprendre l’opinion publique sans se soumettre à des pressions qui ne sont guères représentatives et encore moins acceptables, éviter le blocage du processus et surtout ne pas décevoir. Pour M. Béji Caïd Essebsi, la stratégie est claire : agir rapidement sur le double levier sécurité et soutien au plus défavorisés pour pouvoir passer au travail de fond de redressement économique, de lutte contre les disparités et le repositionnement du pays. Le tout, dans un climat démocratique, tolérant et solidaire.
 
Dès ce vendredi, un plan de mesures d’urgence en faveur des régions prioritaires et d’incitation à l’investissement sera examiné en Conseil des ministres. Dès son adoption, le ministre des Finances le présentera à la presse et 7 membres du gouvernement iront l’expliquer dans les régions. « Il est vrai, dira BCE, que jusque-là nous n’avons pas été à l’intérieur du pays. Mais nous ne pouvions pas y aller les mains vides, uniquement avec des promesses. Et voilà que nous nous y rendions avec du concret. Et je suis d’autant plus fier que ce plan est à 100% tunisien dans sa conception, comme dans son financement. Le budget de l’Etat pour l’année 2011 a été restructuré pour prioriser les régions concernées et permettre notamment la création de 40 000 emplois, dont la moitié dans le secteur public.» 
 
Un deuxième plan, plus général, encore plus ambitieux et exigeant des financements plus substantiels faisant appel à la coopération internationale est en cours de finalisation. La situation économique est alarmante, avec un tourisme plombé, des entreprises sinistrées, la double peine de la situation en Libye, avec  le ralentissement significatifs des exportations, des transferts de devises et des entrées de visiteurs, le retour de 31000 Tunisiens et l’arrivée de 160 000 réfugiés,  sans omettre une croissance réduite entre 0 et 1%. L’impératif de relance économique exige, selon BCE, une grande compréhension de la part des travailleurs quant au report des revendications légitimes, et un grand courage des investisseurs et chefs d’entreprises. Evidemment, avec à la clé, la paix sociale et la sécurité.
 
Le volet politique est crucial pour M. Essebsi. D’abord, garantir le bon fonctionnement de l’Instance Ben Achour afin qu’elle puisse réunir le consensus nécessaire à la proposition des projets de décrets-lois relatifs aux élections. Jusque-là, il s’est abstenu d’interférer dans le choix de ses membres comme dans les orientations de ses travaux. Mais, il commence à percevoir «des signes inquiétants» tels que la demande de certains d’être associés dans la prise des décisions et les nominations, ou la volonté manifeste de bloquer le processus électoral et de retarder ses échéances, ou encore d’imposer des diktats. BCE rappelle que cette Instance n’est que consultative et qu’en cas de tentative de dérive de la part de certains, il sera amené à prendre les décisions qui s’imposent. L’échéance du 24 juillet sera-t-elle respectée, lui demande-t-on ? "Oui, il faut œuvrer dans ce sens," répond-il, beaucoup plus sur le ton du vœu que de la confirmation effective.
 
Les poursuites engagées, notamment celles contre le président déchu : « Déjà, il y a eu l’expropriation des biens, ce qui est significatif. Je tiens à l’indépendance de la justice, fondement de l’Etat, et qui doit s’exercer en toute sérénité, dans l’équité pour tous. Je sais qu’elle subit certaines pressions, avec ces chants en pleine séance, ces danses sur les tables, voire un mouton égorgé. C’est inadmissible. Les auteurs de ces troubles se trompent d’adresse. Je tiens à une justice qui se prononce au cas par cas, sans condamnation collective. Quant à l’ancien président, il fait l’objet de lourdes accusations et de poursuites très importantes et à large échelle. Personne ne pourra les minimiser. La justice se prononcera et saura faire la part des choses. »
 
Les ex- dirigeants du RCD seront-ils interdits d’activités politiques et empêchés de se présenter aux prochaines élections ? « Déjà, ils se font tout petits et évitent de se montrer. Je ne pense pas qu’ils envisagent de se porter candidats. »
 
Profusion des partis politiques : « Oui, certains auraient du mal à remplir un bus avec leurs adhérents. Les programmes se rassemblent beaucoup, les uns des autres. Les Tunisiens n’arrivent pas les distinguer et encore moins à connaître leurs objectifs et leurs dirigeants. Chaque jour de retard sur l’agenda fixé ne peut qu'entraîner une plus grande confusion».
 
Pourquoi Farhat Rajhi a-t-il été démis de ses fonctions de Ministre de l’Intérieur ? «  Non, il n’a pas été démis. Il s’agit d’un remaniement ministériel partiel qui fait partie de mes attributions que j'entends exercer pleinement. Il a accompli sa mission et il n’y a pas un homme utile pour tout lieu et tout temps. J’ai discuté avec lui et il sera affecté à une haute fonction dont l’annonce exige certaines dispositions particulières préalables.» S’agit-il d'une grande institution de l'Etat, telle que celle en charge des Droits de l'Homme, la Commission qui sera chargée des élections ou d’une ambassade, poste qui nécessite l’introduction d’une demande d’agrément auprès du pays d’accréditation ? Les interviewers ne le demandent pas et BCE ne le précisera pas.
 
Atteinte à l’autorité de l’Etat et dérapages sécuritaires : « Il y a eu d’abord une dégradation totale de l’éthique du pouvoir avec des comportements, au plus haut sommet, fort condamnables, qui ont montré le mauvais exemple suivi en cascades. A cela s’est ajouté la faiblesse des moyens dont disposent les forces armées et celle de la police et ce depuis de nombreuses années. Nous l’avons déjà constaté lors des évènements du 26 janvier 1978, en 1984, etc. Aujourd’hui, nous oeuvrons pour y pallier afin de renforcer la sécurité. C’est une condition impérative pour tout le reste. Ces mouvements de rue, sit-in et autres débrayages, sont compréhensibles mais ne sauraient s’éterniser. Nous devons les traiter avec plus de sérieux. »
 
Interdiction des expressions artistiques et de la musique : «C’est conjoncturel. Certains essayent de profiter d’une faiblesse provisoire, pour imposer un diktat inadmissible. Nous prendrons les fermes mesures nécessaires. »
 
La situation en Libye : « Nous nous sentons pleinement concernés par ce qui se passe dans ce pays, prolongement naturel du nôtre et espérons que les souffrances endurées par le peuple frère s’arrêtent le plus tôt possible. Nous avons entrepris les démarches nécessaires pour demander la libération du journaliste tunisien Lotfi Massoudi et gardons bon espoir. Quant au gel des avoirs libyens en Tunisie, il s’agit de l’application de la résolution de l’ONU. »