Opinions - 01.03.2011

Agir pour ne pas « oublier » la Révolution

Un «choc» démocratique doit  répondre au «choc» de la Révolution. Ce choc est indispensable. Il doit intervenir sans délai. On a perdu un temps précieux dans l’installation d’un gouvernement et de gouverneurs acceptables, de commissions pour les réformes et le « nettoyage » des écuries d’Augias (1), celles du « clan » nécessitant d’y déverser les eaux de la Medjerda. Il ne faut donc plus en perdre par de nouvelles fausses manœuvres. Il faut, pour mobiliser l’opinion, ne pas la laisser s’égarer dans des agitations inappropriées, gagner la sympathie des citoyens et répondre à leurs aspirations, être enfin très clair, sinon tous les dangers guettent la Révolution.

Pour cela il faut un objectif et un calendrier.

L’objectif : la démocratie

L’objectif d’abord : changer le système du gouvernement du pays et en établir un qui garantit à notre avenir la liberté dans tous ses aspects et qui empêche toute tentative de retour au pouvoir personnel, à la dictature et à toutes sortes de dérives criminelles. Il s’agit donc d’établir une nouvelle constitution qui codifie les principaux changements à opérer dans ce domaine. La Révolution a rendu caduque la Constitution actuelle manipulée plus d’une fois pour l’adapter aux obsessions de la dictature. Elle est à abolir, étant contraire à l’idéal de la Révolution. Il faut le dire clairement. En outre cette constitution est inapplicable et n’offre qu’une seule issue, le retour au système ancien, ce qui serait la plus haute trahison de la Révolution, de son esprit et de son importance. N’a-t-on pas dit qu’elle est encore plus importante que celle de l’indépendance ?

L’établissement de la nouvelle constitution a pour objectif de réfléchir et de choisir le meilleur système d’organisation des pouvoirs publics qui respecte l’esprit de la Révolution et nos aspirations à la liberté. On doit éviter la précipitation dans ce domaine. Ce travail ne peut se faire en quelques semaines par des techniciens. Ceux-ci peuvent aider les responsables politiques agréés par le vote populaire mais non se substituer à eux. Il faut donc élire un Parlement ayant la double fonction constitutionnelle et législative. Cette Assemblée prendra le temps nécessaire pour étudier tous les projets établis par le Gouvernement, émanant de l’assemblée, les partis politiques et les organismes de la société civile pour mieux percevoir et juger les arguments en faveur de tel ou tel ordre constitutionnel. Vouloir attendre que la Commission dite des réformes politiques et le Gouvernement fassent ce travail, c’est, il faut le dire, renvoyer à une date incertaine son examen par l’Assemblée constituante et décevoir l’opinion qui ne fait qu’attendre et qui pourrait considérer une telle démarche comme un moyen de « noyer le poisson » c'est-à-dire la Révolution. Une fois la constituante élue, il n’y plus de doute et elle pourra faire son travail sans précipitation.

Cette assemblée assurera également sa fonction politique et législative. Elle devra désigner un gouvernement responsable devant le Parlement. Ce gouvernement, émanant ainsi d’une volonté populaire exprimée par l’élection de l’Assemblée, aura la légitimité et le crédit nécessaires pour discuter d’une nouvelle constitution. On supprimera ainsi le « provisoire » et le « transitoire » qui ne peut que décevoir et nourrir toutes sortes de malentendus et de troubles. Personne ne  prendra au sérieux le « provisoire » et le « transitoire » et attendra le « durable » pour se prononcer. Le gouvernement ainsi désigné aura la légitimité et la compétence nécessaires pour travailler dans la durée et s’attaquer à tous les problèmes concernant aussi bien la restauration des libertés publiques que le développement économique et social du pays. On ne voit pas comment un gouvernement transitoire, préoccupé surtout par le rétablissement de la sécurité dans le pays et ayant à faire face à de nombreuses et diverses revendications, pourrait dans la sérénité « légiférer » par décret pour résoudre tous les problèmes du présent et de l’avenir.  Qu’il s’occupe sérieusement du présent et qu’il laisse aux représentants du peuple et au gouvernement qu’ils désigneront le soin de prendre en charge l’avenir du pays.

L’objectif est donc clair : élection d’une Assemblée Constituante et législative et constitution d’un gouvernement représentatif et crédible. On parviendra à se doter d’un système viable concernant l’organisation des pouvoirs publics. Dans l’intervalle on aura dissout la « chambre des députés » actuelle déjà vidée de ses pouvoirs avec la loi récente sur la légifération par décret-loi ainsi que la « Chambre des Conseillers » introduite par le Ben Ali pour récompenser sa clientèle politique et limiter les pouvoirs de la chambre élue. Il est de notoriété publique que tous les élus de ces vingt-trois années étaient des « mal élus » et ont été plutôt désignés par le « sultan suprême ». La dissolution de ces organismes s’impose, aussi bien celle des deux Assemblées que celle des municipalités. Et si on veut économiser notre temps et nos peines, on peut aussi organiser des élections municipales pour achever le nettoyage et repartir nets et propres.

On entend dire qui va prononcer ces abolitions et ces dissolutions : abolition de la constitution actuelle, dissolution de la chambre des députés et de la chambre des Conseillers et peut être des Conseils municipaux. Si le gouvernement transitoire ne se sent pas le courage ou ne se reconnaît pas la compétence pour le faire, il pourra constituer et réunir un « Conseil de la Révolution » qui l’aidera dans cette tâche. Ce conseil est réclamé dès le début. Chercher à l’éviter n’est pas une bonne politique ni le signe d’une franche coopération avec l’opinion. Il servira au moins à savoir ce que chacun pense devant une tâche aussi vitale pour le pays. Le Conseil n’est pas un « contrôleur du gouvernement. Il est son « Consultant » et soutien auprès de la population.

L’abolition de la constitution actuelle s’impose d’elle-même et c’est pourquoi elle est préconisée de partout. Ceux qui préconisent le contraire s’empêtrent dans les contradictions qu’elle contient. Cette constitution est devenue aujourd’hui inapplicable et elle est conçue pour verrouiller toutes les issues pouvant aboutir à la suppression du pouvoir personnel.

Le Calendrier

Il faut établir un calendrier et l’annoncer. Le Gouvernement doit s’y atteler sans retard. On peut l’aider par nos suggestions. Je présente les miennes et tout un chacun doit en faire autant pour éviter de parler dans le vide. Ce calendrier aura le mérite de fixer les étapes à parcourir pour parfaire l’installation définitive de la démocratie dans le pays. Le temps nécessaire pour y parvenir ne doit être ni trop réduit ni trop long, ni précipitation ni « Moumatala» qui peut donner lieu au doute et au soupçon. On peut le concevoir comme suit.

La révolution a abouti le jour historique du 14 janvier 2011. Décidemment le mois de Janvier est plein d’évènements : janvier 1974, janvier 1978, janvier 1980, janvier 1984 tous éprouvants ou tragiques, celui de 2011 est le premier à consacrer le triomphe du peuple souverain.

Les principales étapes à parcourir pour aboutir à une démocratie pourraient être,selon M.Moalla,les suivantes :

1. Fin Mars

  • Réforme loi Electorale : parlement et municipalités

2. Fin Avril

  • Elections Assemblée Constituante et législative, la préparation matérielle des élections pouvant commencer tout de suite.
  • Désignation d’un nouveau gouvernement
  • Election du Président du Parlement qui assurera les fonctions de Chef d’Etat intérimaire en attendant l’adoption de la constitution.

3. Octobre

  • Adoption de la Constitution après 6 mois de délibérations soit mai-juin-juillet-août-Septembre et octobre.

4. A partir de fin octobre

  • Application des dispositions de la nouvelle constitution dont notamment l’élection du Président de la République soit par le Parlement soit par le suffrage universel direct, indirect ou aménagé suivant l’hypothèse retenue par la nouvelle constitution.


Ces délais mettent en évidence les tâches principales du gouvernement transitoire s’ajoutant à la mise en ordre du pays, le reste, pour le principal, restera du ressort du gouvernement qui va émaner des élections. Pour appliquer ce calendrier, il n’y a plus de temps à perdre. Le gouvernement et les Commissions Consultatives doivent s’y mettre pleinement pour mettre fin aux hésitations et aux faux fuyants. Il faut accélérer le rythme et ne plus se complaire dans la bureaucratie et le décorum et attaquer les quelques problèmes qu’il y a lieu de résoudre et qui ne sont guère insurmontables.

Il s’agit principalement de l’étude et de la réforme de la loi électorale concernant le Parlement et les municipalités ce qui n’est pas très compliquée. Il faut principalement choisir le mode de scrutin : le scrutin majoritaire intégral ne convient plus à la situation actuelle risquant d’éliminer des courants d’opinion qui réclament une juste représentation. Il faut introduire une dose de proportionnalité qui ne met pas obstacle à l’émergence d’une majorité de gouvernement mais donne une image convenable de l’état des convictions et des opinions dans le pays. 

On doit également se prononcer sur la nature du scrutin : scrutin de liste ou scrutin uninominal. Les deux ont leurs qualités et leurs défauts. Le premier accorde l’importance aux individualités, le second privilégie les partis politiques. On peut adopter ce dernier pour les élections législatives et constitutionnelles où les partis constituent l’ossature de la vie politique et le scrutin uninominal à deux tours pour les élections municipales où la compétition des compétences est plus importante que celles des partis politiques.

L’un des obstacles que l’on risque en revanche de rencontrer dans cette construction de la démocratie concerne ce qu’on pourrait appeler une « over dose », une sorte de prolifération des partis politiques, prolifération pouvant mettre obstacle à l’émergence d’une majorité de gouvernement. On peut résoudre le problème de deux façons : en introduisant dans la loi électorale une clause qui existe dans les pays démocratiques et qui n’accorde de sièges au Parlement qu’aux partis politiques ayant obtenu un nombre significatif de suffrages, généralement au moins 5% mais qu’on pourrait augmenter dans notre cas pour discipliner les partis et éviter l’éparpillement. Par ailleurs, et en second lieu on peut inciter les partis qui ont des programmes similaires de créer un parti suffisamment étoffé pour créer autour de lui, et surtout pas seul, une majorité de gouvernement. J’en vois au moins trois qui pourraient fusionner sans difficultés, leurs proclamations politiques étant quasiment identiques : démocratie, justice sociale, développement régional, statut personnel et rôle de la femme etc. Le problème est de calmer les ambitions pour la « présidence » et de privilégier l’intérêt du pays surtout que l’ancien parti du pouvoir, sous diverses appellations, depuis l’Indépendance, n’est plus là pour constituer le pôle de rassemblement.

On a plus de temps à perdre. L’immobilisme, l’hésitation ne sont plus acceptables. L’opinion n’admettra pas qu’on lui confisque SA Révolution. Elle est déjà soupçonneuse. On n’a pas le droit de la décevoir.

Mansour Moalla

*cf. La Presse du 27 février

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(1)Augias, Roi d’Elide région de la Grèce antique, avec comme principale ville Olympie où l’on célébrait les jeux Olympiques, nettoya ses immenses écuries grâce à Héraclès (le Hercule Grec) qui y a fait passer le fleuve Alphée, un fleuve du Péloponnèse divinisé par les Grecs et qui passe près d’Olympie.