Opinions - 20.02.2011

Comment améliorer notre système fiscal?

La Tunisie libre et démocrate se doit d’avoir un système fiscal moderne. Toute réforme fiscale visant la modernisation de notre système fiscal doit intégrer l’impératif de lutter efficacement contre la fraude fiscale. En effet, la lutte contre  est le seul garant de la pérennité de notre système déclaratif. 

A cet effet, le premier axe de lutte contre la fraude consiste en la diminution de la pression fiscale (taux d’imposition directs et taux de cotisation sociale). La réduction de l’impôt sur les bénéfices permettra aux entreprises d’alléger leur charge fiscale, d’être plus compétitives et de réinvestir les économies d’impôts dans des projets créateurs d’emplois. La diminution du taux d’impôt sur les sociétés doit s’accompagner d’une baisse du minimum d’impôt, puisque le mécanisme actuel de dégrèvement physique et financier instauré par le code d’incitations aux investissements, qui permet de réduire l’impôt, présente l’inconvénient majeur d’être subordonné, dans la majeure partie des cas, au paiement du minimum d’impôt de 20%. 

Il demeure entendu qu’il convient en parallèle d’encadrer les avantages fiscaux liés à l’investissement financier (notamment afin de lutter contre la création de sociétés éligibles aux dégrèvements fiscaux sans que ces sociétés ne réalisent l’investissement). Aussi, une diminution de l’IRPP pour les salariés aura certainement un effet positif sur le pouvoir d’achat desdits salariés permettant ainsi plus d’équité entre contribuables. L’instauration de régimes fiscaux attractifs pour certains contribuables (artistes, sportifs....) les incitera à accomplir leur obligation fiscale d’une manière spontanée, sachant qu’actuellement, ils échappent à toute imposition. Pour la diminution des impôts indirects, les assiettes méritent d’être revues afin d’en exclure les taxes (ex. l’assiette de la TVA comprend d’autres impôts indirects).

Ensuite, l’administration fiscale doit absolument remettre en cause les critères de sélection de la mise en vérification  des dossiers fiscaux. A ce sujet, nous avons  longtemps constaté que le contrôle fiscal cible les groupes de sociétés qui sont généralement transparents. Ne serait-il pas plus judicieux d’axer le contrôle fiscal vers les secteurs connus par la prédominance de la fraude (tels que les faux forfaitaires) et de mettre en place une sélection mécanisée des dossiers à contrôler (par exemple, en se basant sur les distorsions de marge observées dans les déclarations annuelles).

A propos des faux forfaitaires, la généralisation de la TVA peut constituer la meilleure  réponse efficace. En effet, la suppression pure et simple du système des exonérations en matière de TVA et son remplacement par un régime d’imposition à taux d’équilibre permettra de généraliser la TVA à toute l’économie et d’éviter toute rupture dans la chaîne des déductions. Elle permettra un rehaussement de la masse imposable en matière d’impôts directs puisqu’il n’y aura plus de TVA rémanente. Cette dernière qui était incorporée aux coûts et passée en charges grevant le résultat fiscal, deviendra une taxe neutre après la suppression des exonérations.  Grâce à la généralisation de la TVA, les faux forfaitaires qui se cachent derrière le régime des exonérations pourront être facilement détectés et déclassés vers le régime réel ce qui permettra une imposition plus juste et plus équitable des revenus réalisés par de tels contribuables.

La généralisation de la TVA permettra l’adhésion des forfaitaires dans le système de transparence et permettra aussi d’orienter ces contribuables  vers une bonne gestion fiscale basée sur les avantages fiscaux accordées aux investisseurs. En outre, cette généralisation de la TVA et par conséquent le fait que le régime du forfait d’impôt soit réservé aux seuls véritables forfaitaires protégera les entreprises transparentes de la concurrence déloyale et du secteur informel et les incitera à se développer davantage et à s’introduire dans le marché financier.  Elle permettra de développer le marché des services liés à l’entreprise (comptabilité, conseil, formation, etc.) et épargnera aux entreprises transparentes le risque imputable à la confusion entre régime suspensif et régime d’exonérations. En effet, beaucoup d’entreprises se trouvent actuellement traumatisées par des redressements qui les privent du droit à déduction de la TVA sur les affaires réalisées avec certains organismes publics (l’ANPE, l’ARRU, l’Agence Nationale de Gestion des Déchets etc.) parce que les services de contrôle fiscal assimilent de telles affaires à un chiffre d’affaires exonéré.

Aussi, la lutte contre la fraude fiscale implique la remise en cause les dispositions de l’article 23 de la loi de finances pour l’année 2009 qui ont prévu l’exonération du montant d’impôt exigible suite à une vérification fiscale approfondie de la pénalité de retard prévue par l’article 82 du CDPF et ce dans la limite du crédit d’impôt confirmé par l’administration fiscale ou par les tribunaux en vertu de jugements ayant acquis la force de la chose jugée et relatifs à la même vérification. En effet et à cause de ces dispositions, le coût de la fraude fiscale est devenu inférieur au coût de la dette bancaire. Autrement dit, le contribuable disposant d’un crédit chronique d’impôt ne devra pas être tenté de frauder étant donné qu’il n’aura pas à payer des pénalités de retard en cas de contrôle fiscal. La réponse à donner à l’accumulation des crédits d’impôt ne devra pas prendre la forme d’une réduction des pénalités de retard, mais consistera plutôt à trouver les vrais remèdes au problème. Il pourrait s’agir de la révision des mécanismes de retenue à la source et d’avances ou de l’institution d’un mécanisme de compensation entre les différents impôts pour permettre aux entreprises d’absorber rapidement les crédits d'impôt en évitant le recours a l’endettement qui finance ces crédits.

Par ailleurs, toute réforme doit permettre de renforcer les garanties et droits des entreprises qui adhèrent volontairement dans une stratégie de transparence fiscale. A ce propos, il faut revoir le délai butoir de restitution fixé par l’article 28 du CDPF à 3 ans ; délai au delà duquel, les impôts deviennent reportables et non restituables. Cette mesure est non seulement néfaste pour l’équilibre financier des entreprises, mais fragilise la confiance de celles ci dans tout le système fiscal.  Il faut aussi sécuriser les contribuables dont la comptabilité est régulière et sincère en leur épargnant toute reconstitution extracomptable des bases imposables. En effet, une comptabilité régulière ne peut pas cohabiter avec une fraude fiscale. Le recours à l’extracomptable devrait être réservé aux seuls cas où la comptabilité serait absente ou serait rejetée.

L’adhésion volontaire des contribuables au système fiscal suppose la simplification de la norme fiscale. En effet, la complexité est un facteur favorable à la fraude parce que d’une part, une règle fiscale simple ne se prête pas à la fraude et que d’autre part, la complexité  rend plus difficile les modalités d'exercice du contrôle fiscal. Cette simplification suppose aussi la clarification de certaines dispositions et la limitation du recours à la doctrine administrative pour l’interprétation des textes. La simplification implique également la révision de certains régimes qui ont démontré leurs limites  afin de  les dynamiser  (ex. le système de la détaxe en matière de la TVA ou encore le système de stock option).

En guise de conclusion, la réussite de toute réforme fiscale suppose que le contribuable consente à l’impôt et qu’il soit convaincu de la bonne utilisation des ressources fiscales. Elle repose aussi sur l’association entre les secteurs publique et privé et sur l’implication de toutes les compétences  professionnelles privées.
 

Rejeb Elloumi,

Vice-Président de la Compagnie des Comptables de Tunisie