Opinions - 31.01.2011

Aux militants de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme

Je voudrais aujourd’hui rendre hommage et remercier tous ceux qui au lendemain de la création de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), controversée par une importante majorité de la classe dirigeante nous ont apporté leur soutien et leur contribution.

Quel réconfort en arrivant dans de nombreuses cités de l’intérieur d’être reçus comme des sauveurs. Cortèges de bienvenue, banderoles, arc de triomphe nous attendaient et nos hôtes nous écoutaient, avides de comprendre, de se mobiliser pour une cause, dans un climat de confiance et de dialogue.

On nous laissait tenir des réunions publiques à la Maison des Ingénieurs à Tunis et dans les locaux de l’UGTT en province, pour débattre de thèmes, la liberté de conscience, la tolérance, les châtiments corporels, la torture, la peine de mort, la question palestinienne. Elles attiraient tous ceux qui brûlaient de s’exprimer pour dire leurs souffrances et leur souhaits.

On nous laissait célébrer l’anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme comme ce fut le cas notamment le 10 décembre1981 avec pour thème « l’amnistie générale ».

On nous laissait créer des sections à travers le pays, tenir nos Congrès et enfin recevoir des aides transparentes de la Commission internationale des Juristes  car nous avons vécu un temps sans local et sans un sou.

Malgré les risques majeurs de la situation, les militants n’ont pas hésité à prendre des responsabilités courageuses, trois faits ont dominé la vie de la LTDH  pendant les années 80 :

  • la création d’une commission d’enquête indépendante après les émeutes du pain en 1984 et dont le rapport a fait autorité tant en Tunisie qu’à l’étranger.
  • le débat sur la Charte de la ligue en 1985, au lendemain du 2ème Congrès,  a mis en évidence la nécessité de réaffirmer notre position à l’égard des dérives xénophobes et racistes. Tout comme il a permis de s’opposer aux conceptions conservatrices, islamistes notamment, dans le domaine des droits de la femme, du combat pour l’égalité et plus généralement de l’interprétation de la Charia et de la sécularisation du droit.
  • en 1987, la LTDH a dénoncé publiquement les cas de torture et de morts suspectes dans les locaux de la police.


Toutes ces actions ponctuées de communiqués étaient rendues publiques par intermittence dans les journaux de la place où nos bulletins trouvaient un certain écho.

Ces activités bien que tolérées dérangeaient. C’est dans ce contexte que notre secrétaire général de l’époque Khémais Chammari a été arrêté. C’est dans ce contexte aussi et à la suite de l’intervention insistante de Marie Claire Mendès France en faveur de la Ligue, qu’au printemps 1987, le Président Bourguiba commanditait paradoxalement une Association tunisienne pour les Droits de l’Homme et les Libertés. De stricte obédience gouvernementale, elle est rapidement tombée en désuétude.

Ainsi notre Ligue, première ONG tunisienne et première organisation des droits humains dans le monde arabe et en Afrique, a établi sa crédibilité par son comportement et ses actions auprès de la société civile et de la Fédération internationale des Droits de l’Homme en accédant à sa vice présidence , puis récemment à la présidence , rôle dont notre pays aurait dû se glorifier.7

Elle a résisté à plusieurs tentatives de mainmise diligentée par le  Président déchu, qui n’a cessé de mener les attaques sournoises, perverses, comme il savait le faire, vis à vis des membres des sections et du comité directeur dont les activités sont totalement gelées depuis 2001. Certains ont connu la destruction de leur instrument de travail, d’autres ont connu la prison pour des motifs fabriqués.’

J’ai souvent proposé à des connaissances un bulletin pour adhérer à notre Ligue et l’aider, j’ai pu constater avec regret et tristesse que je n’étais pas entendu.

Mais ne restons pas sur une note négative car tous les militants sont encore là aujourd’hui en cette période de foi dans notre peuple et dans l’avenir. Je regrette que mes amis Hichem Gribaa et Mohamed Charfi, terrassés par la maladie n’aient pu vivre ces journées d’espoir. Je leur dédie ce message.

Au nom de tous les défenseurs des Droits de l’Homme je salue la révolution de notre peuple qui nous a donné la liberté, la première des revendications de notre Ligue qui vient d’être enfin rétablie dans ses droits et ses activités.

Saadeddine Zmerli