News - 09.11.2025

De Chenini à Douiret, au cœur de la Tunisie berbère de Cyrine Ben Ghachem

De Chenini à Douiret, au cœur de la Tunisie berbère de Cyrine Ben Ghachem

Entre un miracle de survie et un risque de péril, deux merveilleux villages berbères de la région des monts de Tataouine suscitent une vive interrogation sur un patrimoine si riche, porteur de fortes symboliques. Les ksour de Chenini et Douiret, proches géographiquement, mais singuliers l’un par rapport à l’autre, recèlent des trésors de messages inspirants pour concevoir de nouveaux modes de vie à la recherche de durabilité. Il a fallu qu’une chercheuse universitaire, Cyrine Ben Ghachem, leur consacre dix ans d’études documentaires et de terrain, pour qu’une partie de leurs mystères nous soit révélé. Dans un beau-livre intitulé De Chenini à Tataouine, au cœur de la Tunisie berbère, qui vient de paraître aux éditions Nirvana, elle retrace l’histoire, la culture et l’architecture de chacun de ces deux villages, et livre un regard passionné sur leur vécu au fil des siècles.Tiré de sa thèse de doctorat, sous la direction du Pr Abdelhamid Larguèche, l’ouvrage, abondamment illustré, restitue la trajectoire, souligne la richesse culturelle et restitue l’organisation matérielle. Comment redonner vie à ces espaces de sens et de mémoire? Cyrine Ben Ghachem s’emploie à dessiner des voies d’une nouvelle présence au-delà des représentations touristiques et de démarches désuètes de développement local. L’historienne se fait militante pour plaider en faveur d’une prise de conscience collective pour l’exploration du monde berbère, sa préservation et ses interactions. Plus qu’une inscription sur la liste des sites universels protégés par l’Unesco, il s’agit de lui redonner vie.Le livre de Cyrine Ben Ghachem est instructif. On plonge dans cet univers non pas avec le regard furtif d’un touriste à la recherche d’émotions passagères, mais la conscience d’un passionné féru d’histoire et d’ethnographie. A la base, Chenini et Douiret avaient été édifiés en greniers, sur des hauteurs, par des agriculteurs soucieux de protéger leurs récoltes. Des légendes reprises par des générations successives racontent les origines. La mémoire transmise grâce à l’oralité permet de conserver une identité forte. Chaque chant, chaque plat, chaque motif d’artisanat, et chaque pierre posée proviennent d’un art aux multiples expressions.

Cyrine Ben Ghachem promène une plume de chercheuse tenue par la rigueur, mais aussi trempée dans un ressenti poétisé. Ses textes se déroulent fluidement, les illustrations interrogent l’imaginaire pour deviner la vie qui y régnait.

De Chenini à Douiret, au cœur de la Tunisie berbère 
de Cyrine Ben Ghachem
Editions Nirvana, 2025, 192 pages

Bonnes feuilles

Chenini

Ce village suspendu entre ciel et terre, où le murmure du vent raconte l'histoire millénaire des Berbères, est un sanctuaire de pierre et de silence. Niché au cœur des montagnes du Sud- Est tunisien et sculpté à même la roche, il semble avoir été modelé par le souffle du désert, les maisons troglodytiques sont blotties dans les flancs escarpés comme autant de nids secrets. Ici, le temps s'étire, effleurant chaque pierre, chaque chemin, comme s'il s'était arrêté pour contempler la majesté des lieux. Les ruines d'anciens greniers, les ksour, veillent comme des gardiens silencieux sur ce paysage immuable, témoins des jours où les caravanes traversaient ces terres brûlées pour commercer des épices, des étoffes, et des rêves venus d'ailleurs. À Chenini, la terre porte en elle la mémoire des générations qui ont bravé la rudesse du désert pour bâtir une vie en harmonie avec les éléments. Le sable et la pierre se mêlent à la lumière dorée du soleil, créant une palette infinie de couleurs qui vibrent au rythme des ombres mouvantes. Les habitants, descendants des premiers bâtisseurs, continuent de préserver ce fragile équilibre, ancrés dans une spiritualité profonde où chaque geste, chaque regard vers l'horizon porte un écho des anciens.

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Douiret

Douiret, village fantôme accroché aux flancs des montagnes du sud tunisien, se dévoile tel un mirage figé dans le temps. Ses habitations troglodytiques en ruine, autrefois abris contre la chaleur suffocante du désert, se dressent encore fièrement, comme des vestiges d'une époque révolue où la vie s'animait autour des oliveraies et des marchés. Ici, le silence règne, seulement interrompu par le souffle discret du vent, portant avec lui les murmures d'ancêtres oubliés.

Contrairement à d'autres villages berbères, Douiret n'est pas seulement une curiosité architecturale; c'est une rencontre avec la fragilité humaine face à l'immensité des éléments. Les pierres sombres, façonnées par le passage du temps et des saisons, racontent les épreuves d'une communauté autrefois prospère, qui a dû apprendre à survivre dans un environnement où la terre est aussi austère que belle.

L'ombre des palmiers centenaires semblent protéger ces lieux, comme des sentinelles bienveillantes veillant sur les derniers souvenirs de ce qui fut autrefois un bastion vivant.

Douiret offre aux voyageurs un chemin de solitude, une invitation à se perdre dans des ruelles désertées où chaque tournant semble révéler un secret enfoui. L'érosion du temps a effacé les voix des habitants, mais dans le calme de l'aube ou sous les étoiles éclatantes de la nuit, une sérénité rare émane de ces ruines, comme une prière silencieuse adressée au ciel.

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Un souffle de vie

Chenini, Douiret et tant d'autres villages ne sont pas de simples vestiges. Ils sont des foyers de mémoire, des leçons de persévérance, des appels à l'humilité et à la beauté. Tant qu'il y aura des habitants pour résister, des institutions pour agir et des visiteurs attentifs pour écouter et témoigner, le Sud-Est tunisien continuera de respirer et de parler, fidèle à lui-même et à ceux qui le portent.

Les pages de ce livre sont une main dans le vent: écoutez le souffle des pierres, le murmure des ruelles, la voix des anciens et le rire des enfants. Laissez ce monde entrer en vous. Que vos yeux deviennent attentifs, vos mémoires fidèles, vos cœurs des refuges pour ces lieux fragiles et vivants. Portez-les avec respect, partagez-les dans vos gestes et vos paroles. Chaque émotion ressentie, chaque récit transmis, chaque pensée consacrée à ces ksour devient un souffle de vie, une résistance silencieuse mais profonde.

Tant qu'il y aura des mains pour écrire, des regards pour voir, et des cœurs pour accueillir, le Sud-Est tunisien continuera de vibrer, de respirer, et de nous parler, fidèle à lui-même et à ceux qui, depuis des siècles, le font vivre.