Décès de Mohamed Amouri, un illustre pionnier du tourisme tunisien

L’hôtellerie de luxe, il la connaissait sous tous les coins, et y excellait ! Mohamed Amouri, fondateur de la chaine Hasdrubal Thalassa & Spa Hôtels, vient de décéder à l’âge de 85 ans. Sa passion pour le tourisme, son sens du détail et sa présence discrète du matin au soir au service de ses clients sont à l’origine d’une véritable saga. Envoyé par l’ancêtre de l’ONTT, dès l’aube de l’indépendance, en formation, dans de grandes écoles en France et au Royaume Uni, passé par tous les métiers, de réceptionniste à directeur général, il créera son premier hôtel en 1981 à Port El Kantaoui, un 4**** de haut standing, sous l’enseigne de Hasdrubal. Pionnier dans cette nouvelle zone touristique, il rééditera avec plus de performance son expérience fondatrice à Yasmine Hammamet, puis à Djerba, passant en unités de 5***** de grand luxe. Il y ajoutera une station de Spa contribuant à faire du thermalisme de haut niveau.
Stratège, visionnaire, Mohamed Amouri était aussi attentif au moindre détail, proche des ses équipes, soucieux de réserver à chaque client un accueil et un service personnalisés. Grand amateur d’art, il soutiendra les artistes-peintes et sculpteurs tunisiens et ne manquera pas d’acquérir leurs œuvres mais aussi de les accueillir en résidence dans ses hôtels. Ses enfants, Raouf, Rym et Dora, poursuivront son mécénat, et l’étendront à d’autres formes artistiques, notamment la musique classique.
Retour sur une saga, sous la plume de notre excellent confrère Mohamed Bergaoui, dans son livre devenu référence: "Tourisme Tunisien 1956-2006: Figures de Proue », paru en 2006.
(…) Il n’avait que 17 ans quand son frère aîné décida de l’envoyer à l’étranger poursuivre des études supérieures en hôtellerie. C’était en 1957. La Tunisie faisait alors son entrée dans le cercle des pays indépendants et l’Office du tourisme fraîchement tunisifié publiait dans les journaux des annonces pour recruter de jeunes diplômés dans ce nouveau secteur.
Deux années d’études à l’Ecole Hôtelière de Strasbourg et des stages en Grande Bretagne et en République Fédérale d’Allemagne notamment, lui ont permis d’obtenir un diplôme fort prisé lui permettant d’arracher un premier job: Réceptionniste à l’hôtel « Les Palmiers » à Monastir. Une unité toute neuve dont l’inauguration revêtait, se rappelle–t–il, un caractère national et à laquelle fut invité Bourseau, le puissant président de la Fédération Française de l’hôtellerie.
Dans cet hôtel, se souvient–il non sans nostalgie, on se relayait, on faisait le réceptionniste, l’économe, la caisse, etc.; l’objectif étant de satisfaire la clientèle, ne cessait de nous répéter le directeur de l’hôtel, M. Amedé Richard. « Ce papillonnement d’un service à l’autre, nous avait valu, à mon collègue Skander Ben Aye et moi, de débourser la quasi-totalité de notre paie pour combler le déficit de la caisse et demander à nos parents de l’argent de poche », ajoute–t–il, le sourire aux lèvres.
Une année plus tard, il est affecté à l’hôtel « Le Ribat », à Monastir où tout le monde le prenait pour le directeur de l’hôtel alors qu’il n’en était que le réceptionniste.
Son élégance et ses fréquents changements de costumes finirent par lui causer de sérieux problèmes avec le directeur de l’hôtel, un suisse qui fut soulagé de le voir muté à l’hôtel « Mabrouk » à Sfax, sa ville natale.
Pas pour longtemps puisque quelques mois plus tard, il partait pour Aïn Drahem, où la S.H.T.T., la société– mère, venait de prendre en charge l’hôtel « Les Chênes » avec des villas d’anciens colons situés dans le col des ruines.
De nouvelles charges autrement plus importantes l’attendait.
Il s’agissait de rénover l’hôtel et de réaménager les chalets pour en faire de véritables résidences dont l’une présidentielle qu’on dénommait villa : « Hortensia ».
Pris entre deux feux, celui du gouverneur de la région qui n’était pas au courant des travaux entrepris et lui demandait d’arrêter et son propre Président Directeur Général qui le sommait d’achever au plus vite les travaux engagés, Mohamed Amouri dut quitter précipitamment Aïn Drahem pour éviter d’être emprisonné. Seule l’intervention du ministre de l’intérieur devait mettre fin à ce bras de fer.
De Aïn Drahem, il est muté, en juin 1963, à Monastir pour diriger, cette fois, les hôtels « Esplanade » et « Le Ribat ».
Une situation confortable dans un secteur promis à une belle destinée et où le goût du luxe et du tourisme haut de gamme allait être accentué par l’opération « Palace ». On avait tellement peur de ne pas être à la hauteur qu’on en confia la gestion à la société allemande « Steigenberger » qui, quelques mois plus tard, décevait tout le monde. Déclenchée le 6 avril 1964, l’affaire Steigenberger allait chambarder tous les programmes de Mohamed Amouri qui projetait de se marier 4 jours plus tard. De Monastir, il passa à Djerba pour diriger L’Ulysse Palace repris à la société allemande qui dirigeait l’hôtel d’une manière plutôt cavalière. Aucune comptabilité n’était tenue. Aucun registre n’était à jour. Seuls, les cadres allemands pullulaient, contrastant avec l’absence des tunisiens.
Il prit une pause de moins de 24 heures, le temps de se marier au « Miramar » et revenir tard dans la soirée du 10 avril, à l’Ulysse Palace poursuivre son travail, un travail forcement acharné pour redresser la barre et rattraper le temps perdu.
A cette époque, le tourisme tunisien faisait un bon départ et visait une clientèle fortunée pour laquelle on sacrifiait tout. Les couverts étaient en argent et le service au guéridon. On avançait lentement et la capacité d’un hôtel, qui dépassait rarement les 50 lits, atteignait, avec les palaces, plus de 150 lits. Une prouesse stoppée par la vague de collectivisme que Mohamed Amouri tient pour responsable de la dégradation et de la qualité du service et de celle de la clientèle, et pour cause; n’avait–on pas décidé de fixer un coût plancher du lit qui ne devait en aucun cas dépasser mille dinars?
Ce fût l’opération « Tanit » qui, tout en sonnant le glas du tourisme de haut standing, annonçait l’avènement du tourisme de masse. Pour lui, ce fût la descente aux enfers pour le tourisme tunisien. Il n’était pas d’accord et l’avait prouvé d’une manière on ne peut plus claire. En décidant de réintégrer le siège de la S.H.T.T. en qualité de Directeur d’exploitation. Le socialisme s’immisçait dans sa manière de gérer l’Ulysse Palace et le Tanit dont il est à nouveau le patron après un bref passage au Miramar (1965) auquel on lui adjoint le Tanit, Hammamet (1966). Après trois années à la S.H.T.T., il finit par démissionner pour participer à l’édification, en association avec son frère Omrane de l’hôtel « Les Colombes » et redynamiser « Voyages 2000 », propriété depuis 1962, de ce même frère. Cela ne l’occupa guère. Aussi, cumulait-il ces fonctions avec celle de Directeur de la Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie (F.T.H.) puis de Secrétaire Général de la même Fédération qui eut le mérite de doter la F.T.H. d’un siège social, l’actuel situé au 63, rue d’Iran. Cela ne l’occupa guère. Aussi, prit–il en gestion quelques unités dont notamment « Hammamet Beach », « Shems » à Gabès » ou encore « Dar Hôtel », à Borj Cedria.
Ce n’est qu’en 1978 que germa en lui l’idée de créer sa propre Société hôtelière. Après s’être séparé de son frère, il créa la Société d’Exploitation Touristique -SET- et commença par gérer l’hôtel Karawan, à Sousse, la Médina, à Djerba et le Néapolis, à Nabeul.
Loin de se satisfaire de la masse de travail qu’il abattait quotidiennement, il sentait que quelque chose lui manquait, que quelque part, il n’était pas satisfait, et que gagner de l’argent n’était pas tout. Il lui fallait créer ses propres unités, les concevoir et en suivre l’édification pierre par pierre.
Le lancement du complexe « El Kantaoui » fut, pour lui, une aubaine. On le sollicita pour l’édification d’une unité.
Il ne refusa pas. Sa contribution propre ne s’élevait qu’à 15% du montant global du capital. Une chance. Fin 1981, le premier Hasdrubal naquit. Une unité 4 étoiles d’une capacité de 474 lits et d’un coût de 6 millions de dinars.
Le luxe y était certes et y est toujours mais pas le raffinement et Mohamed Amouri se rattrapa, en 1990, en édifiant le Hasdrubal–Djerba, une unité 5 étoiles d’une capacité de 430 lits pour un coût total de 14 millions de dinars. C’était mieux qu’à Sousse mais moins bien qu’à Hammamet–Yasmine où, naissait en 1999, le 3ème Hasdrubal de la chaîne avec en prime la plus grande suite du monde que le « Guinness Book » n’a pas omis d’enregistrer.
Fait exclusivement de suites s’étendant sur plus de 64 mille mètres carrés, cette unité, compte 430 lits et a coûté la bagatelle de 66 millions de dinars. La prochaine, programmée à Djerba sur le terrain de l’ancienne unité « La Médina » s’étendra sur une superficie de 10 hectares. « Un espace pouvant contenir jusqu’à 1200 lits mais sur lequel je n’édifierai que 400 lits », aime–t–il à dire avec beaucoup de satisfaction.
Comment peut–il en être autrement lorsqu’on sait que d’autres hôteliers sont en train de s’inspirer de ces unités.
Un nivellement par le haut qui lui fait plaisir ?
Comment peut–il en être autrement lorsqu’on sait que le luxueux « Hasdrubal–Yasmine » ne se contente pas d’honorer ses engagements avec les banques mais génère des bénéfices ? Pourquoi ne serait–il pas satisfait, lui le grand aventurier du secteur touristique en ce début du 3ème millénaire, lorsqu’on sait qu’il est sollicité par les banques pour des crédits toujours plus importants pour des projets plus grands, plus risqués et plus luxueux ?
Preuve que le luxe paie. Un luxe qu’il a toujours cultivé. Jeune encore, il engloutissait une bonne partie de sa paie chez Max, jouxtant le Café de Paris, pour porter les costumes les plus chers. Adulte, il se découvrit une passion sans limite pour l’art et acheta les tableaux des plus grands peintres tunisiens si bien qu’il dispose aujourd’hui d’une belle collection d’une valeur inestimable. Son premier tableau est un Hatem Mekki qu’il acheta, en 1972, à 300 dinars. Une petite fortune.
De cette riche collection, ses enfants Raouf, Rym et Dora éditent un beau livre qu’ils dédient à leur père en lui promettant de se consacrer « à conserver et enrichir ce patrimoine artistique ». Aujourd’hui, ce sexagénaire, toujours élégant, courtois et affable, collectionne les hôtels de luxe, les gèrent sous le label « Hasdrubal Thalassa & Spa Hôtels » exception faite du Hasdrubal Thalassa–Hammamet » qui a pu rejoindre la prestigieuse chaîne d’hôtels haut standing « The Leading Hotels of the World ».
Cela aussi, est un luxe que peu d’hôteliers tunisiens peuvent se permettre.
Par Mohamed Bargoui
in– "Tourisme Tunisien 1956-2006 : Figures de Proue – 286 p. Tunis 2006"