Opinions - 08.07.2025

Abdellaziz Ben-Jebria: Qu’est-ce qui fait vomir intensément une femme enceinte?

Abdellaziz Ben-Jebria : Qu’est-ce qui fait vomir intensément une femme enceinte ?

Annonçons tout de suite, et sans suspense, que le coupable est bel et bien une hormone fœtale, la GDF-15 (Growth Differentiation Factor-15), secrétée par le fœtus dans le placenta de la mère enceinte, qui est à l’origine de ces misérables, désagréables et pitoyables moments de vomissements-nauséabonds que certaines femmes enceintes endurent pendant les trois premiers mois de leurs grossesses. Mais grâce à une collaboration scientifique de plusieurs chercheurs anglo-américains, à Cambridge et en Californie, cette récente découverte1 semble ouvrir une voie prometteuse d’une potentielle thérapie préventive qui pourrait apaiser voire même endiguer les souffrances insupportables pendant cette période de grossesse.

Rappelons d’abord que les nausées et vomissements touchent environ 75 % des femmes au début de leurs grossesses. Ces symptômes restent cependant peu sévères et s’estompent graduellement au fil du temps. Et bien que désagréables, déplaisants, et incommodants quotidiennement, ils sont considérés comme des signes habituels de la grossesse.

Mais quand ces nausées écœurantes et ces vomissements évacuants se manifestent d’une manière intensément sévère, chez certaines femmes enceintes, ils sont souvent affaiblissants voire même invalidants, dans près de 4% des grossesses. Dans ce cas, il s’agit de l'hyperémèse gravidique (HG), (en gréco-latin, hyperemesis gravidarum), qui est une maladie hormonale dont les causes précises sont encore méconnues mais probablement multifactorielles. Il est probable que l’HG est d’origine génétique ; mais elle peut être due aussi à une grossesse à un jeune âge, comme elle serait possiblement le résultat d’une grossesse multiple qui peut être détectée ou écartée dans le cas contraire par une échographie. L’hyperémèse gravidique est donc diagnostiquée chez la femme enceinte lorsqu’elle lui provoque de très graves nausées, avec des vomissements tellement intenses qu’elle serait incapable de manger et/ou de boire normalement, induisant ainsi déshydratation et sous-nutrition qui s’accompagnent fréquemment d’une perte de poids et d’un déséquilibre électrolytique qui nécessitent une hospitalisation.

En outre, l'hyperémèse gravidique peut, à court terme, mettre en danger la vie de la mère et de son fœtus ; ce qui justifie souvent une hospitalisation urgente, pour apaiser les manifestations, soulager les symptômes et remédier au déséquilibre électrolytique dû à la déshydratation. D’ailleurs, l’hyperémèse gravidique est la principale cause d’hospitalisation durant le premier trimestre de grossesse. Mais, cette HG peut aussi causer, à long terme, d’autres risques et séquelles sanitaires aussi bien pour la mère que pour l’enfant. Plusieurs études ont même constatées des taux élevés de dépression, d’anxiété, de trouble de stress post-traumatique, et dans certains cas de pensées suicidaires.

On savait déjà qu’en dehors de la grossesse, l’hormone protéique GDF-15 est produite de manière omniprésente en réponse à divers stress cellulaires. Son récepteur est exprimé uniquement dans le cerveau postérieur où son activation entraîne des nausées, des vomissements et des réponses aversives. On savait aussi que la présence de taux élevés de GDF15 dans le sang maternel lors d'une grossesse humaine normale a été signalée pour la première fois en 2000 par des chercheurs scientifiques australiens(2) qui ont été les premiers à décrire l'hormone en question.

Mais, ce qu’on ignore jusqu’à cette récente découverte(1), qui met en exergue un ensemble de preuves impliquant l’hormone fœtale GDF-15 dans l’induction de ces troubles, est qu’aucune avancée significative n'a été réalisée permettant de comprendre les mécanismes régissant la pathogénèse moléculaire des nausées et vomissements de la grossesse ou de l'hyperémèse gravidique.

On a donc découvert récemment que la GDF15 est l'un des peptides qui est plus abondamment sécrétés dans l'ARNm placentaire (ARN messager du fœtus) que dans tous les autres tissus examinés. Comparées aux femmes présentant de faibles niveaux de nausées et de vomissements, les concentrations de GDF15 dans la circulation maternelle se sont avérées plus élevées chez les femmes souffrant de vomissements pendant leurs grossesses. Et sur la base des données recueillies par des chercheurs, on a constaté que:

1. La gravité des nausées et vomissements de la grossesse est le résultat non seulement de l’interaction du GDF-15, dérivé du fœtus, mais elle aussi corrélée à la quantité de cette protéine présente dans le placenta.

2. La sévérité des nausées et vomissements, pendant la grossesse, est intimement liée à la sensibilité de la mère aux effets de la protéine GDF15 qui est essentiellement déterminée par son exposition antérieure à cette hormone.

3. Le risque d’hyperémèse gravidique est accentué lorsque les taux de GDF-15 sont faibles hors grossesse, chez certaines femmes porteuses de variants génétiques qui les prédisposent à développer la maladie d’HG.

4. À l’inverse, la prévalence de nausées et vomissements est nettement plus faible lorsque les taux de GDF-15 sont naturellement très élevés avant la grossesse, comme ceux observés dans la thalassémie (une sorte d’anémie).

Ceci étant prouvé, les chercheurs démontrent aussi que leurs résultats concernant le GDF-15 n’ont rien à voir avec les actions anorexigènes (produits vomitifs et substances supprimant l’appétit) ou émétiques (produits destinés à provoquer le vomissement).

Alors, une des pistes thérapeutiques suggérées de prévention et de protection contre l'hyperémèse gravidique, pendant la grossesse, et qui est susceptible de fonctionner, serait celle de la désensibilisation. Etant prouvé que les femmes enceintes les plus astreintes aux nausées et vomissements de l’HG sont celles qui présentent de faibles taux de GDF-15, en dehors de la période de grossesse, il est donc envisagé de les exposer à la protéine en question bien avant leurs grossesses ; ce qui pourrait estomper les douleurs ressenties pendant la grossesse, en habituant leur organisme à des concentrations plus élevées de cette hormone fœtale.

Il s’agit en effet d’une procédure stratégique d’adaptation par une exposition prolongée au GDF-15, avant la grossesse, qui pourrait aboutir à des effets de protection et de prévention des manifestations des symptômes propres à l'hyperémèse gravidique. Autrement dit, le fait de développer la tolérance d'une femme à cette hormone, avant la grossesse, pourrait être la clé de la prévention de cette UG.

Une autre alternative pour les patientes souffrant de ces nausées et vomissements consisterait à la conception et le développement d’une thérapeutique médicamenteuse qui bloquerait les actions de l'hormone GDF-15 dans le cerveau, en supposant ou en espérant que les essais cliniques démontreraient l’absence des effets secondaires qui ne pourraient pas nuire à la mère et à la grossesse.

Abdellaziz Ben-Jebria

1) Fejzo H. et coll. GDF15 linked to maternal risk of nausea and vomiting during pregnancy. Nature, volume 625, pages760–767 (2024).

2) Moore, A. G. et coll. The transforming growth factor-ss superfamily cytokine macrophage inhibitory cytokine-1 is present in high concentrations in the serum of pregnant women. J. Clin. Endocrinol. Metab. 85, 4781–4788 (2000).