News - 24.12.2010

Mohamed Bennani, le dernier des Mohicans?

Mohamed Bennani, le dernier des Mohicans ?

Au 11 bis, boulevard Bab Ménara, à la lisière de la médina de Tunis, une vieille demeure typiquement tunisienne avec portail, skifa ouvrant sur un patio et tout autour de grandes pièces. C'est le berceau d'une vieille famille beldie, les Bennani,  où se sont succédé depuis son acquisition en 1873, quatre générations. En 1995, le hasard a voulu que Mohamed Bennani reçoive en héritage la maison familiale et la bibliothèque qu'elle abritait, un heureux hasard, car Si Mohamed est un grand bibliophile, doublé d'un relieur. Il venait de débarquer de Bruxelles où il travaillait à la représentation de la Ligue Arabe, en charge des relations avec l'Union Européenne. Amateur de livres anciens, il fut amené tout naturellement à s'intéresser à la reliure et la restauration des vieux bouquins.

C'est ainsi que naquit Beit El Bannani. L'unique bibliothèque privée tunisienne fonctionnant à plein temps ouverte aux chercheurs, étudiants et autres éditeurs, dans la tradition des vieilles bibliothèques familiales de Tunis et de province (Les Lazzam de Bizerte, les Ennouri de Sfax, et les Saied de Béja etc.) en vogue jusqu'aux années 40 du siècle dernier qui  accueillaient des centaines d'étudiants de la Grande -Mosquée et de ses sections régionales. Plus de 25000  ouvrages et manuscrits dédiés pour l'essentiel à la Tunisie dont 6000 répertoriés mis gratuitement à la disposition du public.  M. Bennani nous en montre quelques pépites dont il est particulièrement fier : «Les premières explorations scientifiques  de la Tunisie» réalisées par des explorateurs et scientifiques français à la fin du XIXème siècle. «Un m3 de livres» acquis dans une librairie orientaliste à Paris, des ouvrages manuscrits rares de Ben Dhiaf, Ibn Khaldoun, du poète et parolier tunisien, Mahmoud Bourguiba, sans oublier la photothèque et la reliure (service payant).  La bibliothèque reçoit une moyenne de trois visiteurs par jour : des chercheurs, en majorité des Tunisiens, mais une bonne proportion d'étrangers. leur champ d'investigation, l'histoire de la Tunisie, ses grands hommes, ses traditions. La maison a même reçu un jour la visite d'une esthéticienne venue se renseigner sur les vieilles recettes d'épilation.

Bibliophile, relieur, Si Mohamed est aussi généalogiste. Une passion que lui a transmise son père, notaire. Pas besoin d'aller chez les Mormons pour connaître ses origines. Non sans fierté, il nous raconte l'histoire de cette dame française d'ascendance tunisienne venue se renseigner sur ses origines. A peine a t-elle prononcé le nom de son grand père que notre bibliophile touche-à-tout s'est mis à égréner les noms de tous les membres de la famille tunisienne de la visiteuse à la grande surprise de cette dernière.

Malheureusement, Beit El Bennani reste un cas unique en Tunisie. Certes, quelques descendants des anciennes «dynasties savantes» tunisiennes ont conservé les bibliothèques que leur ont léguées leurs parents, mais la plupart s'en sont débarrassées qui, en les offrant à la bibliothèque nationale ou à des institutions universitaires, qui en les vendant en totalité ou en pièces détachées à des bibliothèques ou des collectionneurs étrangers, le plus légalement du monde, et plus rarement tunisiens, faute d'une législation appropriée comme c'est le cas pour les pièces archéologiques.

Peu lucrative,  à la limite d'un mécénat,  l'activité  de  Mohamed Bennani qui a démarré il y a quinze ans n'a pas suscité des vocations. et ce n'est pas l'engouement des jeunes pour l'internet qui va inverser la tendance. Conscient de la gravité de la situation, il espère créer une fondation, mais là aussi le vide juridique semble être un obstacle insurmontable. Qui sauvera ce véritable chef-d'oeuvre en péril, qu'est Beit El Bennani ? Bien malin qui le dira ? On pourra se consoler en se disant  que Si Mohamed n' a que 59 ans, toujours aussi combatif, aussi passionné, et que le pire n'est jamais sûr.

H.B