Blogs - 10.12.2010

Avez-vous entendu parler du "phénomène Tanguy"?

Je ne sais si vous avez entendu parler du phénomène Tanguy, du nom d'un film français qui évoque sur le mode ironique, l'histoire d'un jeune homme qui, à 28 ans, et malgré une bonne situation, vit encore chez ses parents. Ces derniers vont déployer des trésors d'imagination pour l'inciter à quitter le domicile familial. Ce prénom désigne depuis (avec une connotation péjorative) les jeunes ayant atteint l'âge adulte qui vivent chez leurs parents. même si le phénomène prend de  l'ampleur, crise oblige, les "Tanguy"sont souvent pointés du doigt, moqués tout comme les familles nombreuses. Au Japon et au Canada, on les appelle les "célibataires parasites".

Ce n'est pas le cas dans notre pays où nos enfants comme nos parents sont choyés, entourés de tous les égards. C'est une qualité qui n'est pourtant pas dépourvue d'effets pervers. Le Tunisien qui vit chez ses parents, qui ne contribue pas généralement aux dépenses familiales, qui s'en remet à tout propos à ses parents pour trouver un job, obtenir de l'argent de poche, acheter une voiture ou, de moins en moins, prendre femme finit, souvent, par développer une mentalité d'assisté. 

Par contre, le(la) jeune français(e) ou allemand(e) qui s'émancipera de l'autorité parentale dès l'âge de 16 ou 17 ans, s'installera loin du domicile parental, vivra en concubinage dès l'âge de 20, 22 ans et sera obligé(e) de trouver un emploi, seule alternative à la déchéance sociale. Le chômage, malgré les indemnités et le RMI (revenu minimum d'insertion) y est vécu comme un véritable drame. Les différentes chaînes de télévision françaises nous  montrent souvent des SDF, vivant dans des conditions infrahumaines, malgré des revenus dépassant ceux d'un cadre tunisien :800 euros, soit 1500 dinars par mois. Mais compte tenu du coût de la vie, cette somme est insuffisante pour garantir des conditions de vie décentes.

Pourtant, malgré les difficultés existentielles, la montée du chômage, les candidats à l'émigration dans ces pays, malgré la possibilité de se déplacer dans l'espace Schengen avec une simple carte d'identité, d'obtenir plus facilement des visas pour le Canada, les Etats Unis ou l'Australie ne dépassent pas les 10%. Rien à voir, en tout cas avec les 44% des jeunes tunisiens,  près d'un jeune tunisien sur deux !,  qui veulent émigrer devançant les jeunes algériens (32%) et les Marocains (36%) selon une enquête réalisée par un institut de sondage international auprès d'échantillons représentatifs de la jeunesse maghrébine. l'effet-repoussoir du chômage ne suffit pas à expliquer cet engouement pour l'étranger d'autant plus que la solidarité familiale a permis de réduire au minimum, les retombées financières et psychologiques de ce phénomène (sévissant, faut-il le rappeler à l'état endémique dans le monde entier) et partant  de maintenir la cohésion sociale.

Ce sont-là des vérités qui ne doivent pas échapper aujourd'hui à des sujets surinformés sur tout ce qui se passe dans le monde grâce à l'internet. En définitive, choisir dans ces conditions l'exil, prendre le risque pour quelques uns, de voyager à bord de vieux rafiots qui menacent de faire eau à tout moment, c'est tomber de Charybde en Scylla. Une attitude suicidaire prise souvent sur un coup de tête et sans réfléchir sur ses conséquences probables. Elle ne peut-être que le fait de jeunes, qui ayant toujours vécu dans le cocon familial, n'ayant pas l'habitude d'être confrontés à des difficultés  se trouvent  souvent désemparés, désarmés comme si le ciel allait leur tomber dessus. Dès lors l'émigration devient la panacée.

Dans les années 70, débarquant à Paris pour la première fois, pour entamer des études de journalisme, je me suis trouvé confronté à des difficultés énormes pour trouver un logement. Après avoir fait le tour d'une dizaine d'agences de journalisme, j'ai contacté le CROUS (centre régional des oeuvres universitaires et scolaires). La préposée au service du logement, une dame d'un certain âge consulta son fichier. Aucun logement n'était disponible. Constatant ma grande déception, elle me demanda mon âge :

  • 24 ans
  • Ah, le bel âge. Vous n'avez pas le droit d'être malheureux à cet âge-là.

Une semaine après je m'installais à la résidence Monsigny à quelques encablures de l'avenue de l'opéra et à deux stations de métro de l'école où je m'étais inscrit.

Tous ces jeunes désespérés de n'avoir pas décroché  un emploi et qui doivent pour beaucoup avoir le même âge que moi, il y a quelques décennies, n'ont pas le droit d'être malheureux. L'essentiel est de ne pas s'abandonner au désespoir :"il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour perséverer".

Hédi Béhi