News - 08.12.2022

Mieux que le lait, la bsissa est un excellent produit traditionnel aux multiples bienfaits

Mieux que le lait, la bsissa est un excellent produit traditionnel  aux multiples bienfaits

Par Ridha Bergaoui - En Tunisie, il y a une cinquantaine d’années, le lait était très peu consommé. Pour le petit déjeuner, on buvait du café noir, on mangeait les restes du diner, on prenait de la bsissa et on faisait des tartines avec de la confiture maison. En hiver on consommait une tasse de sorgho (drôo) bien chaude et parfois du lablabi.

Doucement le lait s’est introduit dans nos foyers, s’est imposé comme aliment stratégique, indispensable pour la santé aussi bien des petits que des grands. Le Tunisien est devenu un gros consommateur de lait frais dont il ne peut plus s’en passer.

La pénurie actuelle pose un sérieux problème à de nombreuses familles qui perdent temps et énergie pour se procurer une brique de lait à donner en petit déjeuner aux enfants. Pourtant le lait présente de nombreux défauts et peut être avantageusement remplacé par la bsissa traditionnelle.

Le lait de plus en plus mis en cause

L’élevage surtout intensif des bovins est à l’origine d’une importante production de méthane entérique, connu comme puissant gaz à effet de serre, responsable en partie du réchauffement climatique. Les produits d’origine animale ont une très forte empreinte carbone et coutent très chers. Une consommation importante des viandes nuit à la santé et peut conduire à des problèmes d’obésité, tension artérielle, pathologies cardio-vasculaires…

De plus en plus dans le monde, la consommation des produits d’origine animale connait une baisse sensible et le nombre de végétariens, végétaliens et végans ne cesse d’augmenter. Pour le lait de nombreuses personnes tolèrent mal le lait. La digestion du lactose est difficile et la consommation du lait peut entrainer des problèmes digestifs plus ou moins graves.

Dans le commerce, on trouve plusieurs types de lait. Le plus consommé est le lait stérilisé UHT (longue conservation), demi-écrémé, moins riche en calories que le lait complet. Le lait complètement écrémé (0% matière grasse) est pauvre en calories et conseillé pour les personnes suivant un régime amaigrissant.

La composition du lait dépend de plusieurs facteurs dont la race, le stade et le niveau de production, l’alimentation… Le lait UHT demi-écrémé commercialisé est composé essentiellement d’eau (90%), du lactose (5%), des protéines (3%) et des lipides 1,5%. Il comprend également quelques vitamines A et B et des minéraux (surtout du potassium, du sodium, du calcium et du phosphore). 100 grammes de ce lait demi-écrémé apportent 46 Calories.

Le lait a été longtemps présenté comme un produit riche en calcium et vitamine D, un aliment indispensable pour une bonne santé osseuse. Il serait intéressant surtout pour les jeunes en croissance, les femmes enceinte, les personnes fragiles et pour combattre l’ostéoporose.

En réalité cette richesse est relative, la teneur en calcium est surtout élevée dans les fromages beaucoup moins riches en eau que le lait et la teneur en vit D est très faible surtout dans les laits écrémés et demi-écrémé. Pour y remédier, certains industriels ajoutent dans le lait certaines vitamines de synthèse.

Le lait n’est pas du tout indispensable, de nombreux aliments sont beaucoup plus intéressants et plus riches en calcium ou en vitamine D. L’essentiel c’est d’avoir une alimentation diversifiée pour éviter tout excès ou carence.

Notre lait est souvent de qualité médiocre

En Tunisie, le lait est généralement d’une qualité médiocre sur tout en l’absence d’une politique d’encouragement et de paiement du lait à la qualité. En raison d’une part des mauvaises conditions d’élevage, d’une mauvaise maitrise de l’hygiène et de la conduite technique de l’élevage et d’autre part des fortes températures qui favorisent la multiplication microbienne, la qualité du lait aussi bien du point de vue composition chimique que bactériologique laisse beaucoup à désirer. La charge microbienne du lait produit est élevée ce qui conduit, surtout en été, à une acidification du lait qui devient impropre à la consommation et refusé par les centres de collecte ou les centrales laitières.

La brucellose et la tuberculose existent encore et de nombreuses vaches sont infectées et leur lait suspect. C’est pour cette raison qu’il faut absolument éviter de boire du lait cru et se méfier des préparations artisanales peu sures. Les mammites sont fréquentes dans nos élevages. Pour soigner les vaches, les éleveurs utilisent des médicaments et des antibiotiques qui se retrouvent dans le lait. Celui-ci, impropre à la consommation, est malheureusement écoulé dans les circuits de commercialisation.

Fraudes et adultération du lait

Pour augmenter le volume du lait, l’ajout de l’eau, ou mouillage, est une pratique très ancienne et très fréquente. Par ailleurs, certains, soit pour masquer le retrait d’un ou plusieurs composants du lait (essentiellement la matière grasse) soit pour bloquer la multiplication des germes, surtout en période chaude de l’année, utilisent divers produits chimiques parfois toxiques et nuisibles à la santé du consommateur. C’est ainsi qu’on a pu détecter du formol, du bicarbonate, sodium carbonate, ammonium sulfate, urée, de l’eau de Javel et bien d’autres additifs dangereux.

Malgré la présence de contrôles à la réception du lait au niveau des centres de collecte et des centrales laitières, la fraude et les adultérations du lait sont fréquentes. En cas de détection, le lait est juste refusé. Il est généralement écoulé ailleurs ou vendu chez les crémiers de quartier.

Au mois de février 2022, un centre de collecte de lait de la région de Tunis a été fermé en raison d’infractions sanitaires et la présence de grandes quantités de phosphate de sodium et de phosphate disodique utilisés pour ralentir les fermentations microbiennes et éviter la dégradation de la qualité du lait.

« Le lait local ne pourrait pas être importé en France et autres pays européens, car il n’est pas conforme aux normes en vigueur » affirmait le président du Groupement professionnel de l’agriculture de la CONECT lors d’une interview le 30 septembre dernier. 

Pour produire du lait UHT, les centrales laitières sont obligées d’augmenter la température et la durée de stérilisation du lait ce qui entraine sa caramélisation, l’apparition d’une coloration et d’un gout particuliers et la détérioration de sa valeur nutritionnelle.

Comment remplacer le lait

Soit pour des raisons d’intolérance au lactose soit en raison du développement de la tendance du végétarisme, plusieurs industriels proposent des substituts au lait. Le lait végétal est de plus en plus fabriqué, commercialisé et consommé.

Il est possible d’extraire à partir des végétaux un produit qui ressemble au lait et d’une composition proche. Le lait de soja est le plus connu et le plus ancien. Il est même possible de le coaguler pour en faire un substitut au fromage appelé tofu.

De nombreuses céréales peuvent également être utilisées pour produire du lait végétal. On trouve de nombreuses céréales : avoine, orge, riz, blé… Des fruits secs, comme les amandes, les noix et les noisettes, permettent d’obtenir des produits gourmands et agréables. Ces laits peuvent être fabriqués à la maison comme ils peuvent être fabriqués à grande échelle au niveau industriel. De nombreuses présentations de lait végétal existent surtout dans les magasins et rayons diététiques.

Certes le lait est un aliment intéressant mais pas indispensable. On peut s’en passer et différentes possibilités de le remplacer existent. En Tunisie, la bsissa est l’une de ces possibilités importantes qui a l’avantage d’être un produit traditionnel, très populaire et qui fait partie du patrimoine culinaire national. D’ailleurs, dans le cadre du mois du patrimoine culinaire et le festival des produits du terroir, une foire spéciale dédiée à la bsissa est organisée régulièrement à Lamta (gouvernorat de Monastir). Un concours est même organisé pour récompenser la meilleure bsissa désignée par un jury de dégustateurs.

La bsissa tunisienne

Très ancienne et connue dans toute la Tunisie et même les pays du Maghreb, la bsissa est une préparation traditionnelle très populaire. La recette précise dépend du pays et de la région. Elle est généralement préparée à base de blé ou d’orge auquel on peut ajouter d’autres graines (lentilles, lin, pois-chiche, graines de sésame, fenugrec), des épices (coriandre, cumin, marjolaine, anis, fenouil), de la peau séchée ou le zeste d’orange. On grille le tout à feu doux puis on moud le mélange.

La bsissa se consomme soit sous forme diluée (1 à 3 cuillerées à soupe dans un verre d’eau) ou sous forme de pâte en y ajoutant un peu d’huile d’olive. Traditionnellement la bsissa à base de blé est consommée sous forme solide additionnée d’huile d’olive. Celle à base d’orge est plutôt diluée à l’eau et bue. On peut la consommer avec ou sans sucre ajouté. Certains la consomment avec du miel, des dattes, des figues ou des fruits secs divers.

Facile à transporter et à conserver, la bsissa est rassasiante et très nutritive. Elle était recommandée lors des longs voyages et le pèlerinage. Elle est souvent consommée durant le mois de Ramadan et permet de supporter facilement la faim durant la journée. C’est un excellent coupe-faim en attendant le repas principal. La bsissa représente un excellent petit déjeuner, aussi bien pour les jeunes que les plus âgés, pour commencer la journée. Elle est recommandée pour les femmes qui accouchent ou qui allaitent et qui ont besoin de plats riches et nutritifs. Dans certaines régions, la bsissa est un plat festif qu’on distribue aux invités lors des mariages et autres fêtes. Additionnée de glaçons, la bsissa représente en été une excellente boisson rafraichissante.

La bsissa est un produit reconnu très nutritif qui possède des vertus santé certaines. Riche en protéines, fibres, sucres lents, minéraux (dont le phosphore, le calcium, le magnésium et le fer) et vitamines, la bsissa est une excellente préparation. Les épices apportent des propriétés, des senteurs et des gouts divers qui stimulent l’appétit et favorisent la bonne digestion.

Grace à sa richesse en sucres lents, la bsissa convient (sans ajout de sucre) aux diabétiques. Pauvre en lipides, elle convient également à ceux qui souffrent de pathologies cardiovasculaires. Elle est parfaite, tonifiante et booste pour les travailleurs tant physiques qu’intellectuels. Ses fibres favorisent le transit digestif et permettent une excellente santé digestive.

Face à la détérioration du pouvoir d’achat, l’envolée des prix des aliments, la bsissa est une excellente alternative au lait et permet de préparer facilement et d’une façon économique, un petit déjeuner nutritif rassasiant et sain beaucoup plus intéressant que le lait.

Ridha Bergaoui