News - 18.11.2022

Aïssa Baccouche : Djerba, mon amour

Aïssa Baccouche(*): Djerba, mon amour

Ils sont venus; ils sont tous là. Ils accourent des quatre points cardinaux de la planète vers cette île ensorceleuse(1), Djerba la douce, Djerba la fidèle, Djerba, terre de mes aïeux.

Oui, nous sommes les arrière-enfants des Lotophages qui ont immortalisé Djerba, cette île jardin au fruit doux et parfumé, nichée dans un coin du paradis méditerranéen «Le lotos, écrit notre éminent professeur d’histoire feu Slaheddine Tlatli(2) n’est pas seulement ce fruit de miel qui suscite l’oubli et plongeait dans une heureuse amnésie les compagnons d’Ulysse; il doit sans doute receler de secrètes vertus pour inviter au retour ceux qui en ont mangé».

En relisant Homère, faut-il interroger la botanique ou se contenter de l’allégorie poétique des pommes d’or du jardin des Hespérides(3) ou même la pomme du péché originel?

Ce fruit de l’oubli, n’est-ce pas la pomme douce cultivée naguère dans nos vergers. La légende ne prête-t-elle pas au parfum qu’elle exhale le pouvoir divin de «rendre l’âme à l’âme».

N’est-ce pas précisément cette fragrance qui enveloppe notre mémoire d’un halo de fraîcheur enchanteresse et de bonheur exquis?

Nous sommes des hommes et des femmes unis par les liens solides de l’amitié, de la mémoire et du désir ardent de servir.

Nous nous rassemblons pour perpétuer notre encrage au terroir de nos ancêtres. Nous conjuguons nos efforts avec ceux des amis de l’île pour que renaissent les pommes de réputation ancestrale. Un jardin leur est dédié au milieu des vergers jadis resplendissants de Sadghaiene.

Le jardin des pommes n’est plus une chimère. Par la volonté des hommes et des femmes de Djerba- Mémoire et grâce au concours précieux de leurs amis, les pommiers ainsi qu’une multitude d’arbres fruitiers et de fleurs prennent racine dans le domaine des Ben Ayed.

Les fruits doux - un pléonasme -! Ne tarderont pas à titiller la mémoire des nostalgiques invétérés. Cultiver notre jardin, planter des palmiers le long de certaines artères, et des oliviers dans les écoles, restaurer des mosquées séculaires, initier des réflexions à propos du développement de l’ile, s’ouvrir au large en direction de contrées proches ou lointaines tels que le Sultanat d’Oman ou les îles grecques : tels sont les axes de notre démarche collective dont le crédo est: le bien ne fait pas de bruit; le bruit ne fait pas de bien.

Les paroles s'en vont, les écrits restent. Bien qu’éculé, cet adage n’en reste pas moins valable pour le temps présent et à venir.

Il importe pour nous, contemporains, de léguer à la postérité un témoignage des moments oh! Combien éphémères d’une vie dont la durée est, nécessairement, limitée.

Notre île, creuset de la culture islamo-judéo-chrétienne perpétuée par les disciples d’Ibn Rochd (1126-1198), de Maïmonide (1138-1204) et de Thomas d’Aquin (1225-1274), continuera, quant à elle, par la volonté du Créateur, à transcender le temps et à marquer, de son emprunte exquise et envoûtante, la légende des siècles.

Aïssa Baccouche

* Past président de l’association Djerba Mémoire fondée en 1994 par notre illustre ainé feu Mohamed Ben Smaïl.

1) Un prix sera décerné l’année prochaine à ceux ou celles qui auront mérité de Djerba, ce joyau scintillant dans un écrin d’Azur, par l’ONG Med 21, sur l’instigation du chantre de la Méditerranée Mohamed Aziza alias Chams Nadhir.
Ce prix porte le nom de la magicienne grecque Circé fille d’Hélios dieu du soleil qui a, selon l’odyssée, ensorcelé les compagnons d’Ulysse.

2) Djerba, l’île des Lotophages 1967 CERES

3) Les Hespérides, dans la mythologie grecque, sont les nymphes gardiennes du jardin divin.