News - 17.07.2022

La guerre en Ukraine et le malaise de l’ONU

La guerre en Ukraine et le malaise de l’ONU

Par Mohamed Ibrahim Hsairi - Suite à ce que Moscou appelle «une opération militaire spéciale en Ukraine», et que ses antagonistes occidentaux appellent «une invasion de l’Ukraine par l’armée russe», les Etats-Unis et leurs alliés ont soumis la Russie à de lourdes sanctions sans précédent et en tous genres.
Concurremment, ils ont mis en branle tout le système des Nations unies en vue de «condamner l’agression russe et d’isoler la Russie».
De mon point de vue, les positions et parfois les mesures prises à l’encontre de Moscou par l’ONU et ses institutions ainsi que ses partenaires ont, pour le moins, besoin d’être examinées.

Pour ce faire, commençons, avant toute chose, par passer en revue les plus importantes de ces positions et mesures qui se sont succédé, sans interruption, depuis le déclenchement de la guerre dans la nuit du 23 au 24 février 2022 à ce jour :  Au niveau du Conseil de sécurité :

Immédiatement saisi de l’intervention militaire russe en Ukraine, le Conseil de sécurité, en tant qu’organe principal chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales, s’est réuni le 25 février 2022 pour discuter d’un projet de résolution déposé par les Etats-Unis et l’Albanie et coparrainé par 81 Etats membres.

Bien qu’il ait bénéficié du soutien de onze Etats et de seulement l’abstention de trois autres (Chine, Inde et Emirats arabes unis), ce projet de résolution qui «déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine» et demande «le retrait immédiat, complet et sans conditions de toutes les forces militaires russes du territoire ukrainien» a été rejeté suite au veto russe.

Face à ce blocage du Conseil de sécurité, la France et les États-Unis ont aussitôt annoncé le dépôt d’un nouveau projet de résolution pour porter la question devant l’Assemblée générale, et ce en activant le mécanisme de «L’union pour le maintien de la paix».

C’est ainsi que l’Assemblée générale, réunie en une session extraordinaire, a adopté, le 2 mars 2022,  une résolution qui a «réaffirmé l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine - y compris les territoires sécessionnistes -, déploré l’agression commise par la Russie, exigé que celle-ci cesse immédiatement d’employer la force militaire contre l’Ukraine, qu’elle retire sans délai ses forces militaires du territoire ukrainien, et qu’elle revienne sur la reconnaissance d’indépendance des territoires de Donetsk et Luhansk».

Cette résolution qui a été approuvée par 141 voix pour, 5 contre (la Russie elle-même, la Biélorussie, la Corée du Nord, la Syrie et l’Erythrée) et 35 abstentions a, par ailleurs ouvert la voie à d’éventuelles mesures complémentaires à venir, embargo généralisé ou boycott, par exemple.
Resté saisi de la situation en Ukraine, le Conseil de sécurité s’est, par la suite, réuni à plusieurs reprises pour débattre de différentes questions (à titre d’exemple : les risques nucléaires après les tirs qui ont provoqué un incendie dans une dépendance de la centrale nucléaire de Zaporijia, et l’existence, selon la Russie, de programmes biologiques militaires en Ukraine soutenus par les États-Unis…) et surtout des conséquences humanitaires du conflit pour la population ukrainienne et, au-delà, pour le monde.

A ce titre, le Conseil a entendu les dirigeants du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha), du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), du Programme alimentaire mondial (PAM) et d’ONU-Femmes... 

De surcroît, nombre d’appels ont été lancés pour «l’éjection» pure et simple de la Russie du Conseil de sécurité. Mais faute de pouvoir le faire, l’Assemblée générale de l’ONU s’est contentée d’adopter, le 26 avril 2022, une résolution qui demande aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité de justifier leurs recours au veto.

Au niveau de l’Assemblée générale de l’ONU :

Tout d’abord, il faut noter que dès le 25 février 2022, le secrétaire général de l’ONU a nommé le Soudanais Amin Awad au poste de coordonnateur des Nations unies pour la crise en Ukraine.

Quant à l’Assemblée générale, elle a adopté deux importantes résolutions : la première en date du 2 mars 2022 qui a déploré «l’agression» commise par la Russie contre l’Ukraine (141 voix pour, 5 contre et 35 abstentions), et la seconde en date du 24 mars 2022 qui a porté sur les conséquences humanitaires de la guerre et qui a exigé «un arrêt immédiat» des hostilités par la Russie contre l’Ukraine (140 voix pour, 5 contre et 38 abstentions).

En outre, le secrétaire général de l’ONU s’est rendu en Russie et en Ukraine où il s’est, respectivement, entretenu, le mardi 26 avril 2022, avec le président russe, Vladimir Poutine, et le jeudi 28 avril 2022 avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Dans une déclaration adoptée le 6 mai 2022, le Conseil de sécurité a apporté son ferme soutien aux efforts déployés par le secrétaire général pour parvenir à une solution pacifique en Ukraine.

De son côté, le secrétaire général s’est félicité du fait que pour la première fois, le Conseil de sécurité parle d’une seule voix pour la paix en Ukraine.

Au niveau des organes de l’ONU:

La cour pénale internationale : son procureur a ouvert une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité le 28 février 2022.

La Cour internationale de justice a ordonné le 16 mars 2022 à la Russie de suspendre immédiatement ses opérations militaires en Ukraine.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté le 4 mars 2022 une résolution appelant au retrait «rapide et vérifiable» des troupes russes et des groupes armés soutenus par la Russie de la totalité du territoire de l’Ukraine.

De même, il a approuvé une résolution en faveur de l’établissement d’une commission d’enquête internationale indépendante qui a pour mandat «d’enquêter sur toutes les allégations de violations du droit international humanitaire et de crimes connexes dans le contexte de l’agression contre l’Ukraine par la Fédération de Russie».

A cet effet, l’ONU a nommé, le 30 mars 2022, trois experts des droits de l’homme parmi lesquels l’ancien magistrat norvégien Erik Mose qui a présidé le Tribunal pénal international pour le Rwanda et qui a été désigné pour conduire cette mission d’enquête des Nations unies sur l’Ukraine.

En outre, l’Assemblée générale a adopté le 7 avril 2022 une résolution qui a suspendu la Russie du Conseil des droits de l’homme suite à l’accusation de son armée d’atrocités, vite considérées par l’ONU comme pouvant constituer des crimes de guerre.

Il est à signaler, à ce propos, que le 5 avril 2022, les États-Unis ont confirmé au Conseil de sécurité leur intention de demander à l’Assemblée générale de suspendre la Fédération de Russie du Conseil des droits de l’homme, conformément aux termes de la résolution établissant son organe subsidiaire.

Il est également à signaler que le Conseil des droits de l’homme a approuvé le 12 mai 2022, lors d’une session extraordinaire sur l’Ukraine, une résolution demandant l’ouverture d’une enquête sur les atrocités reprochées aux troupes d’occupation russes.

Par ailleurs, une commission internationale des Nations unies est arrivée le 11 juin 2022 en Ukraine pour «enquêter sur les crimes liés à l’agression russe». Le résultat du travail de cette commission, qui va collaborer avec la commission déjà créée en Ukraine pour répertorier les preuves de crimes de guerre, sera présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations unies et fera l’objet d’un rapport à l’Assemblée générale des Nations unies lors de sa 77e session dont l’ouverture est prévue en septembre 2022.

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a dénoncé le 11 mars 2022 l’utilisation en Ukraine de bombes à sous-munitions russes qui ont tué des civils.

Et Michelle Bachelet, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a averti, à la même occasion, le Conseil de sécurité que les attaques directes contre des civils et des biens de caractère civil sont interdites par le droit international et peuvent constituer des crimes de guerre
Le 4 avril 2022, elle s’est dite «horrifiée» par les images des corps gisant dans la ville ukrainienne de Boutcha, découverts après le retrait des troupes russes, évoquant de «possibles crimes de guerre et atteintes graves au droit international».

Sur un autre plan, il faut noter que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme a fait part de sa préoccupation en raison de la condamnation à mort, par les autorités séparatistes prorusses, des deux Britanniques Aiden Aslin et Shaun Pinner et du Marocain Brahim Saadoun par la justice des autorités séparatistes de Donetsk.

Le Bureau de coordination des affaires humanitaires (Ocha)  a averti le mardi 5 avril 2022 que la situation humanitaire est devenue effroyable dans les régions les plus durement touchées par le conflit en Ukraine.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a estimé que plus de 6,9 millions de personne ont fui l’Ukraine et plus de 8 millions d’Ukrainiens sont déplacés à l’intérieur du pays. Il s’agit de la plus grande crise de réfugiés en Europe de ce siècle et du mouvement de population forcé le plus rapide depuis la Seconde Guerre mondiale.

L’Unesco : sa directrice générale a condamné le meurtre du journaliste français Frédéric Leclerc-Imhoff, survenu le 30 mai 2022, alors qu’il couvrait pour la chaîne de télévision BFMTV une opération d’évacuation de civils près de la ville ukrainienne de Sievierodonetsk.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a condamné fermement les actes de violence contre les centres de santé, qui sont des violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme.

En outre, elle a livré plusieurs centaines de tonnes de fournitures médicales et d’articles de première nécessité dans les zones les plus durement touchées du pays.

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a averti que les perturbations subies par la production et les filières d’approvisionnement et d’acheminement des céréales et des graines oléagineuses, et les restrictions imposées aux exportations de la Russie, auront des répercussions sensibles sur la sécurité alimentaire. 

A l’instar du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, la FAO semble faire endosser la responsabilité des conséquences de la guerre qui continuent de s’aggraver dans le monde à la Russie et ce en raison du blocage des ports ukrainiens par la flotte russe de la mer Noire qui paralyse les exportations de céréales, notamment de blé.

Toutefois, et au moment où le chef de l’Etat sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, a appelé au déminage du port ukrainien d’Odessa pour permettre les exportations de céréales et a dit avoir reçu l’assurance du président Vladimir Poutine qu’il a rencontré, le jeudi 9 juin 2022, que la Russie n’attaquerait pas, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a demandé, le même jour, dans un discours, en visioconférence, lors d’une réunion ministérielle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (Ocde), l’exclusion de la Russie de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), sur fond d’accusations de Kiev de blocage et de vol des céréales ukrainiennes par Moscou.

Le Conseil économique et social: au terme de six tours de vote infructueux à bulletins secrets, l’Assemblée générale des Nations unies s’est séparée, le vendredi 10 juin 2022, sans élire la Russie, candidate à un siège à ce Conseil.

Le Fonds international de développement agricole (Fida) a averti que la guerre en Ukraine met en péril les approvisionnements mondiaux de céréales et la sécurité alimentaire.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) prévoit d’atteindre 4,5 millions de personnes touchées par le conflit par le biais de transferts en espèces et de distributions de nourriture en nature.

Le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud) a averti que l’Ukraine pourrait sombrer dans la pauvreté.

L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) : Moscou a officialisé vendredi 10 juin 2022 son retrait de cette organisation dont elle a été suspendue le 27 avril en raison de son attaque de l’Ukraine, que l’organisation jugeait contraire à ses «valeurs».

L’Unicef a averti que chaque seconde qui passe, un enfant ukrainien devient un réfugié.

L’Agence internationale de l’énergie atomique (Aiea) suit de près l’évolution de la situation. «Les opérations militaires autour des sites nucléaires et d’autres infrastructures civiles critiques sont non seulement inacceptables mais aussi hautement irresponsables et contraires au droit humanitaire international», a déclaré Rosemary DiCarlo, la cheffe des affaires politiques de l’ONU, devant les quinze membres du Conseil de sécurité.

Les partenaires humanitaires des Nations unies : l’ONU a intensifié ses opérations humanitaires à l’intérieur et autour de l’Ukraine, en collaboration avec ses partenaires humains pour la protection des civils.

Ainsi les deux parties ont pu apporter à plus de 7,8 millions de personnes une aide humanitaire et une protection depuis le début de la guerre.

Par ailleurs et à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, les experts des droits de l’homme de l’ONU et de la Commission africaine des droits de l’homme, de la Commission interaméricaine des droits de l’homme et le Représentant sur la liberté des médias de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Osce) ont insisté sur l’importance de la liberté d’expression et d’information dans le cadre de la guerre en Ukraine. Dans un communiqué commun, ils ont rappelé que «c’est précisément en temps de guerre et de conflit armé que le droit à la liberté d’expression et au libre accès à l’information doit être vigoureusement défendu, car il est essentiel à la promotion d’une paix durable, à la compréhension de la nature du conflit et à la reddition des comptes».

Le Comité international olympique (CIO) : à la suite de l’invasion russe en Ukraine, le CIO a recommandé, fin février 2022, aux fédérations internationales de bannir les Russes et Biélorusses de leurs compétitions. Cette demande a été suivie par la plupart des instances concernées.

L’ONG Amnesty International a accusé, le lundi 13 juin 2022, la Russie de crimes de guerre en Ukraine et affirmé que des centaines de civils ont péri dans des attaques incessantes sur Kharkiv, dont beaucoup ont été menées avec des bombes à fragmentation.

En examinant de près ce bilan des positions et des mesures qui ont marqué la conduite de l’ONU, de ses institutions et de ses partenaires humanitaires et autres vis-à-vis de la guerre en Ukraine, force est de constater que le système onusien a pris fait et cause pour la position des Etats-Unis et de leurs alliés qui, dès le déclenchement de la guerre, n’ont pas caché leur volonté d’ostraciser la Russie et de «l’exiler de la communauté internationale».
Cette conduite de l’ONU qui contraste foncièrement avec son comportement vis-à-vis des innombrables guerres menées, souvent en dehors de la légalité internationale, par les Etats-Unis aux quatre coins du monde, semble être le reliquat du monde unipolaire qui a été mis en place par les Américains après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique.

De l’avis de nombre d’observateurs et d’analystes, elle fait montre d’un véritable malaise du système des Nations unies.

D’ailleurs, quelques deux cents anciens cadres de l’Organisation ont adressé, fin avril 2022, une lettre ouverte au secrétaire général António Guterres pour signaler que  la guerre russo-ukrainienne fait courir à l’ONU un «défi existentiel»,  et pour le presser de sortir de sa «torpeur» et de ne lésiner sur aucun effort pour rétablir la paix en Ukraine, car, ont-ils tenu à souligner, «c’est la raison d’être de l’ONU qui est de nouveau mise à l’épreuve dans cette affaire. Nous sommes horrifiés par l’alternative, l’ONU devenant de moins en moins pertinente et, finalement, succombant au sort de son prédécesseur, la Société des Nations, avec les pertes humaines et la destruction matérielle qui l’accompagnent».

En effet, la tendance de l’ONU à suivre, parfois aveuglément, cette impulsion à l’exclusion de la Russie est non seulement imprudente mais également contre-productive, car elle met en jeu sa crédibilité, et par conséquent réduit sa marge de manœuvre.

Devant, théoriquement, constituer un tournant vers un nouvel ordre mondial où le droit international est respecté par tous les pays du monde, l’ONU a impérativement besoin de se débarrasser de toute forme d’impartialité pour pouvoir jouer pleinement le rôle constructif qui est le sien dans la recherche sincère de la paix en Ukraine et partout ailleurs. 

«Si la loi n’est pas au-dessus de nous, il n’y a rien en dessous de nous sauf l’abîme», a dit Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI).

Telle doit être, désormais, la devise et le mot d’ordre des Nations unies et de tout son système.

Mohamed Ibrahim Hsairi