News - 13.07.2022

Riadh Zghal : Difficile de participer à ce plébiscite… pardon référendum !

Riadh Zghal : Difficile de participer à ce plébiscite… pardon référendum !

Après qu’une majorité de nos concitoyens ont applaudi à l’initiative du 25 juillet 2021, on s’attendait à une nouvelle politique de sortie des crises économique, politique et sociale, sans rupture du processus de transition démocratique. On avait souhaité que le Président œuvre au rassemblement des forces politiques démocratiques et des agents économiques pour élaborer une stratégie nationale de croissance économique parallèlement à l’avancée dans le processus de transition démocratique vers plus de liberté et d’équité.

Des élections parlementaires auraient été moins porteuses de risques néfastes si le rassemblement de ces forces était réalisé, si une vision stratégique était élaborée et avait ainsi fourni un repère clair pour le choix parmi les candidats des partis. Il est triste qu’aujourd’hui on navigue à vue et dans l’incertitude quant à l’avenir aussi bien proche que lointain. Entre temps le désespoir s’amplifie, le clivage social se creuse, la pauvreté et la dégradation de l’environnement gagnent du terrain. On aurait souhaité qu’un nouveau parlement bicaméral élu démocratiquement, se pencherait sur la révision de la constitution actuellement en vigueur afin d’en extraire ce qui, à travers le vécu de l’expérience, s’est avéré toxique.

Au lieu de cela, nous voilà avec un texte soumis à « l’avis » d’une population dont plusieurs catégories ne peuvent en saisir les tenants et les aboutissants, ou ne l’auront pas lu, constituant ainsi autant de proies aux manipulations des campagnes d’explication d’un texte suffisamment flou pour permettre d’avancer autant d’arguments pour que d’arguments contre !    

C’est que ce projet de constitution soulève des réserves et des interrogations.

1. Un préambule inquiétant

Il se fonde davantage sur des décrets présidentiels plutôt que sur le texte fondateur de la constitution encore en vigueur.

Il renferme une lecture partiale et sélective de l’histoire du pays éludant curieusement sa lutte pour l’Indépendance entre autres révoltes populaires pour la liberté, l’équité et la dignité.

Il se réfère à une consultation électronique qui a attiré une très faible proportion du corps électoral pour affirmer que ce projet est établi au nom du peuple tunisien !

On ne peut surestimer l’effet d’une constitution sur les conditions de vie du citoyen et perdre de vue que la dissémination du bien-être au plus grand nombre est surtout une affaire de stratégie, de bonne gouvernance grâce à la présence d’une masse critique de compétences à tous les niveaux.

2. Des concepts flous, annonciateurs d’arbitraire et d’autoritarisme

Que faut-il entendre par « la réalisation des objectifs visés par l’Islam pur » ? L’Islam n’a-t-il pas fait l’objet de tant de lectures différentes anciennes et nouvelles dont celles des dawaech ? Quelle lecture de ces objectifs sera privilégiée par les gouvernants successifs ?

Qu’est-que la protection du « عرض », de la chasteté par l’Etat ? Cela va-t-il ouvrir la voie à l’impunité des « crimes d’honneur » à l’encontre des femmes comme dans certains pays musulmans ?

La version corrigée de l’article 5 ajoute « dans les conditions d’un régime démocratique » cela changerait-il quoique ce soit si l’on sait l’incompatibilité de la démocratie avec certaines lectures de « l’Islam pur » ?

« Enraciner les générations dans leur identité arabo-musulmane » lit-on dans ce projet, quelle implication pour les Tunisiens d’autres religions ? ou d’autres identités culturelles non moins tunisiennes comme l’identité Amazigh ?

Comment traduire dans les faits l’article 46 qui stipule que « l’emploi est un droit pour tout citoyen et citoyenne » alors que chômage et fuite des compétences rongent le pays sans solution en perspective ?

L’article 61 prévoit la révocation des députés selon une loi à venir, n’est-ce pas là un facteur supplémentaire d’instabilité institutionnelle et un outil rêvé pour les règlements de compte entre adversaires, au moment où le pays, au bord du gouffre, a plutôt besoin de stabilité ?

3.    Les possibles abus de pouvoir d’un président

A supposer que gouverner de manière autoritaire n’est pas dans les intentions de l’auteur de ce projet de constitution, peut-on penser que les Tunisiens, seront protégés contre les abus de ceux qui viendront après lui, si ce projet de constitution leur permet d’exercer un pouvoir exorbitant puisqu’on y lit :

Article 68 : Les projets de loi soumis au parlement par le président sont prioritaires

Le président peut gouverner par décret à plus d’une occasion : Articles 70, 73, 79, 116

Seul le Président peut user de référendum : article 97

Seul le président définit la politique générale de l’Etat et ses choix fondamentaux, les deux chambres du parlement en sont seulement informées sans avoir droit au chapitre.

Curieusement, ce projet stipule que, lorsque le parlement adresse une seconde motion de censure au gouvernement, le président a la latitude d’accepter la démission du gouvernement, ou de dissoudre les deux chambres parlementaires ou l’une d’elles ! Il cumule ainsi le pouvoir de décider du sort et du gouvernement et du parlement (article 116).

Ce que sera la nouvelle constitution « entrera en vigueur dès la publication des résultats définitifs du référendum par l’ISIE », comme si seule la domination des réponses par « oui » était envisageable car rien n’est prévu en cas de la domination du « non » ! Et qu’adviendrait-il si la majorité du corps électoral s’abstenait ?

Riadh Zghal