News - 20.04.2022

Zaynab Fawaz, une femme de lettres arabe au début du XXe siècle

Zaynab Fawaz, une femme de lettres arabe au début du XXe siècle

Abdelkader Maalej - Dans ce propos nous poursuivons notre série d’articles sur les célèbres femmes de lettres arabes du Proche Orient. La femme dont nous allons parler cette fois-ci et que peu de gens connaissent aujourd’hui s’appelait Zaynab Fawaz. Elle était née à Jbal Al’amil, région chiîte du Liban. Elle fut éduquée par une femme féodale. A un moment de sa vie, elle décida d’aller vivre en Egypte. Installée au Caire, elle s’insèrera rapidement dans le monde intellectuel et commencera à publier des articles dans le journal le Nil  النيل  et d’autres périodiques arabes. Elle était surtout intéressée par les problèmes afférents aux femmes,  surtout l’éducation, l’emploi, le mariage etc. Au cours de années 1890, elle s’était mise à écrire une série de biographies de femmes célèbres dans le monde et particulièrement le monde arabo-islamique. Elle publia ces articles  dans un dictionnaire bibliographique volumineux de 500 pages. Ce ouvrage publié entre 1893 et 1896,  unique en son genre, est intitulé  Addor Almanthour fi tabaquati rabbati alkhoudour (Les perles éparses  des femmes cloitrées). Il servira de source primordiale pour tous ceux et celles qui créeront des magazines féminins ou  qui traiteront de la vie des femmes connues pendant cette  époque et d’autres époques. Ce dictionnaire biographique  inspirera notamment une autre femme peu connue Labiba Hachim à écrire une série de nouvelles. Nous nous proposons de parler de cette femme dans un prochain article.

Zaynab Fawez  publia aussi un roman et une pièce de théâtre qui furent bien accueillis par les lecteurs.

Le texte que nous vous proposons et qui est extrait de ce dictionnaire, raconte l’histoire d’une femme encore vivante au moment où l’auteure écrivait son texte et relate les conditions dans lesquelles vivaient les femmes égyptiennes à la fin du XIXème et à l’orée du XXème siècle. Bonne lecture.

Charafia, fille du capitaine Saîd

Charafia est née en l’an 1260 de l’hégire (1844). De nos jours elle est encore vivante. Son nom évoquait sa fidélité et sa loyauté. On est tenté de croire que son histoire est à la fois drôle et merveilleuse. Cette  histoire m’a été racontée par une dame digne de confiance. J’ai pensé qu’il serait bon pour la postérité de tous âges de connaître les péripéties de cette histoire et de s’en remémorer.

On raconte qu’un homme vivait  dans la région du Boulaq prés du Caire. Il était capitaine et tout le monde l’appelait capitaine Saîd. Il était marié à une femme appelée Makhdouma sœur de R’if Pacha qui était un haut commandant de marine  au gouvernement égyptien. L’épouse lui donna  une fille qu’il appela Charafia qui signifie l’honorable. Mais la fille ne bénéficia de la protection de son père que pendant 8 ans seulement puisqu’il  fut tué lors de la récente guerre de Crimée en 1268 de l’hégire (1521-22 J C).

Cette jeune fille était bigrement douce et gentille de par sa bonne éducation. Sa mère lui avait appris à lire et à écrire et l’avait initiée aux travaux manuels et particulièrement ceux réservés traditionnellement à la femme à l’instar de la broderie. Charafia était devenue très habile et surpassait dans ce domaine toutes les filles de son époque. Elle était  obéissante à sa mère. Celle-ci ne ménageait aucun effort pour prodiguer à sa fille une bonne éducation jusqu’à ce que celle-ci atteignît l’âge de 18 ans.

Dans la ville d’Izmir de l’empire ottoman vivait une femme qui menait une vie moyenne mais qui fut abandonnée par son mari qui quitta sa ville pour aller vivre ailleurs. La femme ne savait pas où était parti son mari qui l’avait laissée avec un jeune garçon. L’enfant était  d’une beauté qui rivalisait avec celle de la lune et qui ressemblait à une belle branche d’arbre. La mère s’évertua à éduquer son fils jusqu’à ce que tout l’argent qu’elle possédait fût épuisé et qu’elle n’eût plus les moyens de subvenir à ses besoins  avec son fils. Entre temps elle apprit que son mari se trouvait en Egypte. Elle décida alors de s’y rendre avec son fils qui avait 13 ans à la recherche de son mari. Le hasard voulut qu’elle rencontrât  Mme Makhdoum. Celle-ci l’accueillit avec toute bienveillance et lui ouvrit et son cœur et sa maison. Elle en informa son frère Ra’if et lui demanda de chercher  le mari mais ce dernier malgré les efforts par lui déployés n’arriva pas à dénicher le mari. N’ayant pu retrouver le mari,  l’enfant fut inscrit  dans une école princière. Ra’if Pacha n’avait pas d’enfants parce qu’il ne s’était pas marié malgré qu’il avait atteint l’âge de 80 ans. Pendant ce temps, Charafia avait 18 ans alors que le garçon Mohamed Kémal n’avait que 13ans. Charafia n’était ni longue ni courte de taille; son corps était dodu et son visage était rond. Ses yeux étaient larges et bien espacés, et ses sourcils arrondis.  Elle était rouquine de couleur. Elle était attirante et aimable. Ses yeux étaient noirs et  charmants. Mohamed Kémal était quant à lui long et de taille mince. Il était de couleur blanche, aux cheveux blonds, aux yeux bleus .Son visage était rond et attrayant; cette allure fit de lui un enfant  généralement  attrayant.

Dès qu’il mit les pieds dans la maison du capitaine Saîd Charafia prit soin de lui et lui prodiguait  tout ce dont il avait besoin nourriture vêtement et toute autre chose qu’il voulait. La mère s’étonnait du comportement de sa fille et des soins qu’elle dispensait  au garçon mais elle s’abstenait d’avoir des doutes quand au  comportement de sa fille, estimant que l’enfant était trop jeune et ne saurait conquérir le cœur d’une jeune fille de 18ans et ne risquait pas de toute façon de tomber amoureux de la fille. Lorsque l’enfant entra à l’école et se trouva loin d’elle, Charafia se mit à réfléchir et commença à préférer la solitude  et rien que la solitude cherchant à faire quelque chose qui puisse être utile au garçon. Elle s’occupait à réparer des habits ou à faire des choses pouvant servir ses besoins. L’enfant ne retournait à la maison que pendant les weekends vendredi soir conformément aux règlements appliqués dans les écoles d’internat en Egypte. Charafia attendait toujours avec impatience le retour de l’enfant en congé chaque semaine.

Pendant ce temps moult jeunes hommes étaient venus demander la main de Charafia. Sa mère voulait la faire marier car elle était sa fille unique et elle souhaitait célébrer joyeusement ses noces avant qu’elle ne quittât ce monde. Chaque fois  qu’un demandeur se manifestait elle essayait de le présenter à sa fille favorablement mais celle ci n’acceptait guère  de répondre aisément au souhait de sa mère.

Elle se mettait toujours à pleurer et à crier en disant qu’elle ne voulait pas qu’on lui parlât de ce sujet. Ce comportement inquiétait la mère qui crut que c’était la mère du garçon qui incitait la fille à se comporter de cette manière. Elle eut avec la mère du garçon   un entretien grossier. Courroucée  elle la  chassa même de sa maison. Charafia devint triste craignant de ne plus voir son aimé lorsqu’il revenait à la maison vendredi soir. Elle ne pouvait plus ni manger ni dormir. Le choc était grand et  l’effet de la surprise la faisait sans cesse penser à son aimé jusqu’à ce qu’arrive vendredi le moment du retour habituel de l’enfant à la maison. Lorsque ce dernier apprit que sa mère avait quitté la maison et s’était rendue à la maison de Ra’if Pacha il devint triste lui qui était également tombé amoureux de la fille depuis sa prime enfance. Son amour pour elle ne cessait de grandir. Mais  considérant qu’il était d’une famille modeste il craignait de ne pas être  à la hauteur de Charafia, une fille noble. Pour cette raison il décida d’avoir un bon niveau d’instruction lui permettant de la mériter. En  peu de temps il termina ses études primaires et avec le soutien de Ra’f Pacha il se fit inscrire à l’école militaire.

Au bout de quelque temps Mme Mkhdouma la mère de la fille décéda et c’était l’oncle de la fille qui prit soin d’elle comme si c’était sa propre fille. Certains jeunes hommes venaient  demander la main de la fille auprès de son oncle qui en informait sa nièce pour avoir son consentement mais celle-ci récusait toujours la demande. L’oncle devenait perplexe et ne comprenait pas pourquoi elle refusait de se marier.
Kémal vivait en ce moment dans la maison de Ra’if Pacha en compagnie de sa mère qui depuis qu’elle avait quitté la maison de Mme Mkhdouma s’était intégrée au foyer de Ra’if Pacha. Elle y resta jusqu’à ce que la fille se joignît  à elle. C’était comme si elles constituaient un même foyer. Le Pacha ne pensait pas que l’arrivée de Charafia pourrait avoir un quelconque rapport avec la présence de l’enfant  dans sa maison car la différence entre eux était bigrement grande pour ce qui était de l’âge et de la richesse. Le Pacha ne connaissait rien de l’origine  de l’enfant, mais de par sa nature et son comportement il trouvait  quelques bons indices qui indiquaient que l’enfant pourrait descendre d’une famille respectable et  être de  souche sociale honorable.

Le refus constant de Charafia de se marier perturba le Pacha qui devenait  de plus en plus angoissé de peur qu’il ne quittât  ce monde avant  d’assister aux noces de l’orpheline Charafia. Il parla de ce sujet à un sien ami le priant de faire intervenir son épouse auprès de  la fille tout comme si elle était sa propre mère capable de découvrir les sentiments de la fille et comprendre les raisons du refus de la fille de se marier. L’ami, lui aussi un Pacha, fit ce que le Pacha lui demanda. La femme  interrogea la fille pourquoi elle refusait de se marier. Celle-ci lui répondit avec clarté qu’elle ne pouvait agir contre sa nature car elle avait un solide et un entier penchant pour Mohamed  Kémal. La femme comprit que la fille n’accepterait jamais d’épouser quelqu’un d’autre que Mohamed Kémal et par voie de conséquence elle n’accepterait pas d’agir  contre les sentiments de Charafia et c’était ce qu’elle avait rapporté à son mari.

Entre temps Mohamed Kémal réussit à atteindre le grade de lieutenant ce qui ne laissa pas de l’encourager à demander la main de Charafia. Il alla rencontrer l’ami du  Pacha et le pria d’entretenir Ra’if Pacha au sujet de Charafia et solliciter sa bénédiction pour faire de lui, l’enfant, son serviteur tant qu’il est en vie lui, le Pacha, qui est un homme de bienfaisance. L’homme alla à la rencontre de Ra’if Pacha et lui demanda d’accepter de marier Charafia à Mohamed Kémal et l’informa que selon les dires de sa femme la fille  était très attachée  à cet enfant et c’était la raison de son refus d’épouser quelqu’un d’autre. Ayant eu connaissance de la position de la fille Ra’if Pacha fut grandement surpris et répondit non cela ne pourrait jamais se produire car le garçon ne convenait pas à Charafia parce qu’il il n’avait pas les moyens de subvenir à ses besoins et que dire si on lui ajoutait ceux d’une épouse à savoir sa dote et tout ce qu’il lui fallait acquérir et surtout un logement décent alors qu’il était d’une origine inconnue.

L’ami lui répondit que pour ce qui était de sa pauvreté sa situation allait certainement s’améliorer et il ne manquerait pas de grimper en grades jusqu’à devenir notre émule et que nous étions nous autres pauvres. Chacun de nous, dit-il, touchait 150 dirhams comme salaire ; nous avons travaillé laborieusement jusqu’à ce que nous ayons atteint le niveau respectable qui est le notre. Le voilà aujourd’hui suivre ce même chemin en travaillant pour atteindre un niveau élevé comme le nôtre. Quant à ce qui est de son origine inconnue tu n’es pas sans savoir que notre origine est également inconnue ; nul de nous ne connait quelle est son origine ni qui il est ni s’il est circassien ni si il est de Maldives  ou de Crémée. Nous avons quitté notre sol national sans savoir  ce qui pourrait nous arriver et nous voilà dans une situation honorable et Dieu merci nous faisons maintenant partie de l’élite  gouvernementale en Egypte. 

L’ami ne relâcha pas prise avec de plus en plus d’arguments jusqu’à ce que le Pacha lâcha du lest. Les années passant il accepta de célébrer les fiançailles et permit qu’on entama la préparation du trousseau et des arrangements nécessaires au mariage. C’était comme si les défunts espoirs de Charafia reprenaient vie. Celle ci reprit du souffle qui la rendait apte à s’engager dans une belle vie.

Malheureusement le sort voulut qu’elle ne jouisse pas de ce bonheur en l’accablant de moult peines et de chocs que même une montagne ne pouvait supporter et qui ferait fondre les plus durs rochers du monde. En effet une semaine avant la fête du mariage le garçon tomba malade et garda le lit ; il ne tarda pas  à rendre son âme à Dieu. Ainsi à la fleur de l’âge le garçon quitta ce monde et fut inhumé sous sol. Seul le puissant est immortel.

Imaginons la situation  dans laquelle se retrouverait Charafia et la tristesse qui allait s’abattre sur elle. Elle entra dans sa chambre baptisée  chambre de la peine ; elle y baissa les rideaux et se mit à pleurer sans cesse jusqu’à ce moment. Son oncle Ra’if Pacha ne mit pas longtemps pour rendre lui aussi son âme à Dieu. Charafia demeura enterrée  dans sa tristesse espérant retrouver son aimée dans l’autre monde. Elle ne trouva pas mieux que de garder sa prison qui se poursuit  depuis 30 ans. Peu de gens sont capables de résister à un tel malheur.

Abdelkader Maalej