News - 12.04.2022

Innocence - براءة -: J’ai passé une nuit blanche!

Innocence: J’ai passé une nuit blanche !

Par Sihem Bouzgarou - Depuis le début du mois de ramadan et la transmission de la série phare de la chaîne Al Hiwar, Innocence, nous avons assisté à une levée de boucliers soulevée par les thèmes abordés par ladite série. Certains les ont appréciés, d’autres, au contraire, les ont dénoncés! Ce qui a attisé ma curiosité et m’a incitée à visionner les neuf épisodes pour me forger ma propre opinion. Et j’ai donc passé une nuit blanche: j’ai souscrit un abonnement à la plateforme en question et j’ai regardé les neuf épisodes d’affilée. J’ai ri, parfois, j’ai pleuré d’autres fois et j’ai failli être happée par Morphée à maintes reprises, mais j’ai résisté! Bien entendu, je ne dirai rien des techniques cinématographiques, étant donné que ce n’est pas ma spécialité, mais je ferai un tour d’horizon des sujets polémiques évoqués dans cette œuvre. Des sujets qui ont soulevé un tollé, et enflammé la Toile, pourtant il s’agit d’une radiographie mordante des travers de la société tunisienne.

Loin des clichés habituels, de l’image de carte postale véhiculée par quelques films, ou autres séries, Innocence nous montre la face hideuse et cachée de certains phénomènes de société. J’ignore si les Tunisiens ont toujours été tels qu’ils y sont dépeints ou si la pseudo-révolution a fait tomber la feuille de vigne dissimulant les tares d’une société à cheval entre le modernisme et le traditionalisme, tiraillée entre deux pôles: le XXIe siècle et le Moyen-âge.

Je commencerai, d’ailleurs, par le sujet qui a le plus retenu l’attention des téléspectateurs, il s’agit en l’occurrence, du mariage coutumier «orfi». Ces derniers ont poussé des cris d’orfraie, ont convoqué le ban et l’arrière-ban pour dénoncer le producteur, l’accusant de vouloir banaliser la polygamie, en Tunisie. Et pourtant, cette forme d’union (pénalisée par la loi) n’est pas décrite comme un nirvâna, ni une sinécure, ni une partie de plaisir permanent. Baya, la jeune épouse est pratiquement séquestrée par le vieillard libidineux, brimée aussi bien par Zohra, première épouse négligée et frustrée, que par son fils qui lui reproche de s’être immiscée dans le couple de ses parents et de rendre sa mère  malheureuse. En outre, elle n’est pas libre de ses mouvements, n’a pas le droit de quitter « son foyer », comme bon lui semble, ni de fréquenter quiconque. Son cerbère soupçonneux est possessif et jaloux, croit détenir le droit de vie et de mort sur elle, et surtout exerce sur elle une violence physique et morale insoutenable. Quant à son ancienne patronne et première épouse de son geôlier, elle ne rate pas une occasion de la maltraiter, l’insulter, la persécuter. Malgré les bijoux, les beaux vêtements et les cadeaux dont il la couvre, elle ne semble ni heureuse, ni épanouie.

Elle pensait changer de vie, être plus heureuse, devenir respectable (selon ses critiques), mais sa vie a-t-elle réellement changé ? Que nenni, mes amis (du moins, jusque-là) ! Elle était plus heureuse, plus épanouie, plus respectée quand elle était simplement « la bonne » ! D’ailleurs,  son changement de vie s’est limité à l’achat de quelques babioles et une nouvelle chambre à coucher, sans oublier qu’elle est devenue la proie ou  «la chose» de si Ouannes qui l’a battue comme plâtre, dès qu’elle s’est  offert une escapade interdite. Comment donc ce tableau peu idyllique pourrait inciter et encourager des femmes tunisiennes à contracter un mariage coutumier ? Je pense plutôt que, à travers ce scénario, on  cherche à les dissuader et surtout à brosser un tableau sombre et caustique de la situation peu enviable de celles qui acceptent d’être coépouses.

Deuxième thème abordé par le feuilleton et ayant retenu mon attention : la religiosité ostentatoire ! On nous bassine les oreilles de louanges à Dieu (سبحان الله، ماشاءالله), de sempiternels appels à la prière, on veut nous fait croire qu’un jeune garçon de cinq ans accomplit ses prières quotidiennes sans encombre et de gaieté de cœur, sans être houspillé et ni poussé par ses parents. Et surtout qu’il peut exercer une influence sur son compagnon de jeux et réussir, promptement, à le convaincre de l’accompagner dans sa prière. En somme, je dénonce ce prosélytisme, particulièrement, parce que ces paroles moralisatrices, ses réflexions et ses questions religieuses passent par la bouche d’un enfant. Il faut reconnaître que ce n’est pas crédible ! Je ne connais pas le scénariste, ni ses convictions, ni son obédience, mais je trouve qu’il a un peu forcé les traits ! En outre, un enfant de cet âge ne peut pas connaître autant de détails sur le licite et l’illicite au point qu’il rapporte les clichés erronés du commun des mortels tunisien attestant qu’un chien est impur et qu’il faille se purifier avant de s’agenouiller, pour prier ! Il est vrai que son père est un croyant qui accomplissait ses prières avec ferveur et assiduité aux heures convenues, qu’il le réveillait immanquablement, tous les matins, aux aurores, pour répondre à l’appel du muezzin, avec ferveur ! Néanmoins, il n’en est pas moins vrai que l’enfant est encore très jeune pour lui faire assumer et endosser un fardeau si lourd : être le gardien du temple et répandre la bonne parole !

Quoiqu’on veuille nous faire croire, quel que soit le message que le feuilleton cherche à transmettre, l’islam, ou tout autre religion, n’aura bonne presse que le jour où elle est choisie de plein gré, en toute connaissance de cause. Un croyant ne peut être sincère et authentique que lorsqu’il aura choisi délibérément et consciemment « le droit chemin الصراط المستقيم » sa voie, son choix. De plus, l’ostentation ou la pratique ostentatoire des rites de l’islam n’ont jamais été preuve de foi réelle, puisque l’islam a toujours prôné la discrétion, alors à tous ceux qui arborent fièrement leur chapelet, qui ressassent des formules incantatoires toutes prêtes pour impressionner leur auditoire, je dis l’habit ne fait pas le moine.

Sihem Bouzgarou