News - 09.03.2022

Tunisie: Un discours politique en lecture libre

Tunisie: Un discours politique en lecture libre

Par Mondher Rezgui. Chercheur en Sciences Politiques. Tunis le 09/03/2022 - Le discours du président de la république tunisienne en date du 13 décembre 2021 revêt une importance capitale. En effet il est hautement révélateur de la nature de la période que traverse la Tunisie autant dans sa motivation profonde que dans son mode de gestion et encore plus dans ses perspectives futures.

C’est cette motivation profonde qui renvoie aux raisons qui avaient rendu la déclaration de «l’état d’exception constitutionnelle» («une responsabilité et un devoir pour la préservation de la patrie et également pour la cessation du vol des ressources du peuple»)(1).

Quant au mode de gestion, il a tendance à faire de «l’état d’exception constitutionnelle» une voie de transition vers une réforme fondamentale de l’Etat.

Pour ce qui relève des perspectives futures il va sans dire qu’elles soient nécessairement censées être meilleures, encore faut-il qu’elles soient systématiquement partagées et mobilisatrices pour tous à l’avance.

Cette importance singulière justifie par conséquent d’entreprendre la présente lecture analytique de ce discours politique. Ainsi, on s’appliquera à observer toutes les mesures de la précision et de l’objectivité qui assurent à cet exercice un aboutissement traduisant au mieux et le plus fidèlement possible, par la forme et par le fond, les idées que l’émetteur du discours projette de transmettre et vise à faire adopter par son auditoire.

A cette fin on procèdera en premier lieu à exposer les éléments de forme (I) avant de passer en deuxième lieu à traiter les éléments de fond (II) et conclure en dernier lieu par la présentation de notre vision schématique du message tel qu’on considère être véhiculé par ce discours (III).

I- Les éléments de forme

A ce niveau, la présente lecture s’attachera à examiner trois éléments essentiels qui permettent de cerner l’objet de cette analyse dans son aspect purement formel qui, objectivement, n’est pas sans effet sur le contenu.  Il s’agira de la contextualisation (A), de la structure (B) et des figures de style (C).

A-Contextualisation du discours

Il s’agit d’un discours du Chef de l’Etat, adressé au «grand peuple de Tunisie»(2), annoncé à l’avance et livré le 13 décembre 2021 au soir, transmis en direct par la chaine nationale de télévision, après le journal de 20h00, soit à une heure de grande écoute.

Ce discours d’une durée de 39 minutes dans son ensemble(3), est transmis à partir du palais présidentiel de Carthage. Le cadre est sobre, le moment est solennel, le ton est grave et déterminé.

Le pays est sous «l’état d’exception constitutionnelle» depuis le 25 juillet 2021 (soit 4 mois 18 jours). C’est une situation qui ne fait pas l’unanimité notamment au niveau de sa gestion et de sa planification même avec la mise en place d’un nouveau gouvernement(4) (absence jusqu’à cette date d’un plan de sortie de cet «état»).

B-Structure du discours ou «dispositio»(5)

Il importe de souligner de prime abord l’importance du plan selon lequel la matière du discours est organisée et transmise. C’est cette organisation qui, avec le contenu, conditionne et mesure l’impact recherché sur l’auditoire.

Le discours objet de cette analyse présente une structure assez complexe appliquant un type d’enchainement thématique et historique très singulier. Cette structure spécifique ne semble pas faciliter la tache de l’auditoire de manière à lui permettre de saisir clairement et de s’approprier avec conviction les thèses développées. Les thèmes couverts par ce discours on été traités dans l’ordre repris schématiquement ci-dessous avec souvent des retours sur des thèmes antérieurement traités. Ces retours, par leurs  fréquences respectivement variables, traduisent l’importance relative, aux yeux de l’orateur de certains thèmes par rapport à d’autres. Ils seront donc considérés comme tels, précédés par l’indication « retour », mis en italique, souligné et décalés ver la gauche dans cette présentation schématique tout en gardant le numéro du thème de référence déjà identifié mais en prenant en outre une lettre minuscule distinctive de l’alphabet.

Ces thèmes sont ci-dessous présentés dans le respect du séquentiel suivi par le discours rendant compte objectivement par voie de conséquence des choix de l’orateur.

1/ Raisons motivant ce discours,

2/ Description de la période de la présidence de la république du 23 octobre 2019 au 25 juillet 2021,

3/ Apparition de la pandémie du coronavirus et manifestations de ses répercussions,

4/ Raisons de la déclaration de l’état d’exception,

2-a : Retour sur la période de la présidence de la république du 23 octobre 2019 au 25 juillet 2021,
2-b : Retour sur la période de la présidence de la république du 23
octobre 19 au 25 jullet 2021,

5/ Hymne à la souveraineté du peuple,

2-c : Retour sur la période de la présidence de la république du 23 octobre 2019 au 25 juillet 2021,

6/ Critique des adeptes de «la troisième voie»,

5-a : Retour sur l’hymne à la souveraineté du peuple,
2-d : Retour sur la période de la présidence de la république du 23 octobre 2019 au 25 juillet 2021,

7/ Raisons d’une nomination tardive du nouveau gouvernement,

2-e : Retour sur la période de la présidence de la république du 23 otobre 2019 au 25 juillet 2021,

4-a : Retour sur les raisons de la déclaration de l’état d’exception,

2-f : Retour sur la période de la présidence de la république du 23 octobre 2019 au 25 juillet 2021,

8/Critique de la magistrature,

5-b : Retour sur l’hymne à la souveraineté du peuple,

9/ Présentation de la feuille de route.

8-a : Retour sur la critique de la magistrature.

Cela ne semble pas correspondre à un modèle classique d’enchainement logique des idées permettant d’aboutir à un objectif majeur recherché à travers le discours. Quant au plan de sortie de «l’état d’exception constitutionnelle» annoncé à la fin, il ne semble pas constituer l’aboutissement de l’argumentaire discursif le précédant.

Par ailleurs, une telle structure est à même d’entretenir le flou dans les esprits quant à la distinction des périodes historiques, des protagonistes et surtout des responsabilités de chacun. Cela permet à l’orateur de surfer librement en se détachant des périodes sombres de la Tunisie qu’il avait observé depuis son accession à la présidence de la république, en minimisant ses prérogatives(6), en restreignant sa marge de manœuvre et par conséquent en atténuant sa part de responsabilité et l’obligation qui demeurera toujours la sienne et qu’il sut au final honorer par la déclaration du 25 juillet 2021.

C-Figures de style

D’une manière générale le discours objet de la présente lecture a adopté un style narratif, hautement imagé («les  mois passés après la prise de mes fonctions étaient pleins de douleur et d’amertume … les séances de travail semblaient être des séances de souffrance… d’un autre coté le travail continuait nuit et jour presque sans interruption sans exagération de ma part»(7))  , interpellant essentiellement le cœur aux dépens de la raison. Un style où l’argumentaire logique semble sacrifié au profit de l’émotion pour se placer carrément dans le sensationnel.

Le style adopté tel que mentionné au paragraphe précédent est adossé à l’usage d’une terminologie appréciative relevant de deux catégories contradictoires:

Pour les uns elle est valorisante, victimisante ou sympathisante. On cite quelques exemples: (« O grand peuple de Tunisie … Moquerie relative à la souveraineté du peuple … le seul rang auquel j’appartiens est celui du peuple …le peuple les a refusé et l’histoire les a rejeté »)(8) 

Pour les autres elle est dévalorisante, incriminante ou dénonciatrice. Voilà quelques exemples (« Terrorisme … extension de la corruption … impunité … diffusion des mensonges … insulte et diffamation … décadence morale … implanter le désespoir et la frustration … ils obtiennent de l’argent pour leurs propres compte … »)(9)

A travers ce choix terminologique réfléchi, l’orateur semble opérer une division franche des tunisiens en deux catégories :

La catégorie des «bons»: ceux qui s’inscrivent totalement dans sa vision, ne manifestent aucun signe de différence et soutiennent tous ses choix sans aucune forme de réserve ne serait-ce que par l’exploration « d’une troisième voie » («… on parle ces derniers jours d’un troisième rang … s’ils le veulent qu’ils ajoutent un quatrième rang et un cinquième rang … quant au seul rang auquel j’appartiens c’est le rang du peuple et non le rang de ceux qui veulent la fabrication des rangs… »)(10). C’est la catégorie compacte des inconditionnels.

La catégorie des «mauvais»: Il s’agit de tous les « autres », toutes sensibilités confondues, d’avant ou d’après le 25 juillet 2021, qu’ils l’aient condamné, qu’ils l’aient soutenu avec réserve, qu’ils aient manifesté quelques craintes à son égard, qu’ils aient souhaité la recherche d’une nouvelle voie de réconciliation nationale barrant la route à la division des tunisiens. C’est la catégorie hétérogène des esprits libres.
Dans sa catégorisation des tunisiens l’orateur proclama clairement son appartenance à la catégorie des «bons», («le seul rang auquel j’appartiens c’est le rang du peuple »)(11). Cela est compréhensible : C’est bien de cette catégorie qu’il tire toute sa légitimité et auprès de qui il trouve tout son soutien.

II- Les éléments de fond

Dans cette partie de la lecture il s’agira d’examiner les idées maitresses autour desquelles on considère que le discours a été articulé.

1- Centralité de la notion du peuple

Le peuple est présenté comme le titulaire exclusif du pouvoir et par conséquent comme le dépositaire originel et légitime de la souveraineté. Cette approche est théoriquement très respectable. Cependant, au niveau de l’application, et au-delà de certains cas spécifiques et limités dans l’histoire humaine, le peuple se trouve dans l’obligation de déléguer ses attributs originels à celui qu’il choisit pour gérer en son nom, lieu et place, les affaires publiques. Or, c’est bien à ce niveau que l’expérience humaine a démontré l’apparition de risques réels et incontournables de dérives dans la traduction pratique de la volonté des peuples, chaque fois que la personne prit le dessus sur l’institution et chaque fois que l’individu seul et unique effaça le groupe divers et varié. Cela donna lieu progressivement et le plus souvent à des régimes politiques qui ne varient que dans leur degré de totalitarisme. Il s’agit de régimes politiques où le peuple se trouve réduit à un rôle de simple figurant assurant la légitimation de façade de la gestion des gouvernants.

C’est cette centralité qui gène non pas par sa noblesse théorique mais plutôt par les risques réels de dérive qu’elle comporte dans son application et que le présent discours n’aborde pas.

Ce qui nous semble ressortir de ce discours c’est qu’il met en exergue la nature théoriquement positive de cette centralité(12) à laquelle personne ne s’oppose. Cependant, il omet de passer à l’explication essentielle de ce principe sacro-saint au niveau de son application pratique. Il n’aborde pas à ce titre les risques réels de dérive vers l’absolutisme que ce principe comporte à travers la délégation de cette puissance morale au profit d’un individu comme seul et unique dépositaire de la reconnaissance et de la légitimité populaire.

De cette manière, la consécration de la centralité de la notion du peuple et sa présentation comme un pilier fondamental de la vision politique, non seulement elle garantit à celui qui s’en prévaut l’adhésion populaire mais lui permet également de se présenter comme seul et unique acteur politique émanant du peuple lequel ne saurait trouver un autre profil aussi digne de le représenter.

Par ailleurs, le discours objet de la présente lecture choisit de dénoncer tous les «autres », ceux qui manifestent une certaine différence, allant de la plus radicale à la plus consensuelle. Cette dénonciation qui prend parfois des formes très acerbes serait-elle méritée ou gratuite ? Les plus avertis des observateurs sont restés sur leur faim. Cependant, il importe de souligner l’absence de précisions sur les protagonistes, sur la nature des méfaits et sur leurs graves conséquences sur autrui et à priori sur l’intérêt national. Cette dénonciation, à défaut d’un argumentaire solide basé sur des débuts de preuves qui viendraient soutenir la parole, demeurerait objectivement peu convaincante pour les esprits libres.

2- Pandémie: effondrement et performances

La pandémie du coronavirus n’a pas manqué de tenir une place importante dans ce discours. Cette place s’explique en premier lieu par la nature de cette pandémie en tant qu’élément déclencheur partiel de la déclaration de «l’état d’exception constitutionnelle» suite à l’effondrement général manifeste du système de santé tunisien. Elle s’explique en deuxième lieu par sa fonction en tant que révélateur des grandes performances réalisées dans la lutte et la prévention du virus. Or, il serait difficile moralement à l’orateur de faire admettre à l’auditoire d’appartenir à la fois aux deux camps opposés : celui originel de l’effondrement du système de santé versus celui artisan des grandes performances de la lutte anti pandémique. Cela ne saurait être envisageable et encore moins crédible sans la moindre concession ne serait-ce que la reconnaissance d’une partie proportionnelle de la responsabilité liée à ce effondrement telle qu’un certain choix des hommes. L’erreur est certes humaine mais elle demeure indélébile dans l’histoire des peuples.

Dans ce même ordre d’idée il importe de souligner que l’orateur, tout en se rangeant du coté des prouesses, n’a pas omis de reconnaitre le rôle majeur assuré, sous sa houlette, dans ce cadre par les protagonistes de la première ligne, à savoir les acteurs de la santé, des forces armées militaires et sécuritaires, de la société tunisienne, des pays frères et amis(13).

3- Soucis de temporalité

Ces soucis se situent à trois niveaux, celui de l’ordre séquentiel, celui de la cadence de l’action et enfin celui des échéances à honorer.

En effet, ce discours laisse entrevoir des lacunes au niveau de l’enchainement historique des évènements relatés dans un style narratif scrupuleusement imagé. Cela est de nature à perturber la concentration et partant l’adhésion de l’auditoire aux thèses développées(14).

Quant à la lenteur de la cadence de l’action, elle est tout naturellement visible à travers le décalage important séparant les actions annoncées et les dates de réalisation avec des tentatives d’explication demeurant confinées dans le cadre du « moi », l’exemple le plus significatif dans cette perspective serait l’annonce tardive à notre sens de la feuille de route portant sur la sortie de «l’état d’exception constitutionnelle », soit quatre mois et dix huit jours de décalage. En outre la feuille de route annoncée, elle–même s’inscrit dans une durée relative.

Enfin le retardement récurrent des échéanciers à honorer dont notamment l’organisation de «l’état d’exception constitutionnelle»(15)  et la formation du gouvernement(16), toutes les deux annoncées le 25 juillet 2021, avaient pris respectivement pas moins de soixante jours et soixante-dix-huit jours pour être réalisées.

4- Usage de l’amalgame

Au niveau de l’échiquier national autant politique qu’associatif et même individuel on observe la manifestation d’appréciation, d’avis et de positionnements très variés par rapport à la perception de «l’état d’exception constitutionnelle» déclaré par le Chef de l’Etat le 25 juillet 2021. Cette diversité tout en étant naturellement souhaitable en tant que manifestation de la richesse de la scène politique tunisienne, n’a pas manqué d’atteindre par moments certaines formes d’excès en raison des différences qui séparent ses propres composantes. Cependant, dans ce discours, l’orateur usa de l’amalgame pour mettre toutes les lectures non conformes à la lecture officielle de «l’état d’exception constitutionnelle» dans le même cercle. Or cela est discutable puisque les avis ne sont pas uniquement différents par rapport à la lecture officielle, mais également les uns par rapport aux autres. Un tel procédé traduit la volonté de combattre la différence autrement que par la force de la raison et la puissance de la preuve.

Ce refus de la différence s’applique également à toute évolution de l’opinion par rapport au déroulement progressif des performances puisque ceux qui le font constituent une cible privilégiée de l’orateur qui trouve, toute forme de changement des opinions par rapport à une évolution changeante des performances, un délit de retournement passible d’une ridiculisation publique mettant en œuvre une multitude d’images relevant du registre de l’humiliation. Dans cette perspective on a relevé des descriptions du types (« … ils ont applaudi le 25 juillet mais n’ayant pas trouvé leur compte ils se sont mis à déplorer … ils ont cru que j’allais distribuer les postes et les portes-feuilles mais ils ont rebroussé chemin dans la disgrâce …  je les remercie pour leur prétention et je les remercie pour leurs mensonges parce que s’ils disaient la vérité pourquoi ont-ils changé de positions ? … »)(17).

L’amalgame n’a pas épargné la magistrature en tant que corps dans son ensemble. Il ne s’agit pas de la défaillance de tel ou tel autre magistrat. («… on parle désormais en Tunisie de la magistrature de X et du magistrat appartenant à Y … Où est la justice ? Pourquoi ceux-là ne sont pas punis comme le sont les pauvres et les misérables ? …»)(18). C’est l’ensemble du corps qui est mis à l’épreuve de l’aboutissement réussie de «l’état d’exception constitutionnelle» («…La magistrature est indépendante et doit assumer aujourd’hui sa responsabilité historique de rendre justice à chacun quelque soit sa position… »)(19)

5- Fête de la révolution: 14 janvier ou 17 décembre?

Dans ce discours l’orateur a remis sur la table une question qui n’a jamais été un sujet de discorde entre citoyens tunisiens de tout bord : la journée commémorative de la révolution : 14 janvier ou 17 décembre de chaque année ?

Au cours de l’année 2011, la journée du 14 janvier, journée de l’effondrement total du régime politique en place consacrée par le départ en exil de l’ancien président de la république feu Zine El Abidine Ben Ali, fut considérée journée commémorative de la révolution(20). Certes la journée du 17 décembre demeurera une journée mémorable auprès de tous les tunisiens puisque l’auto immolation de feu Mohamed Bouazizi est considérée par tous comme le symbole déclencheur de la révolution qui fut couronnée le 14 janvier 2011 par la chute du régime.

Dans cette perspective aucune voix discordante ne s’est manifestée depuis lors. Une initiative de cette dimension semble peu pertinente pendant un «état d’exception constitutionnelle». Quant à sa présentation dans ce discours, à défaut d’un argumentaire historique qui soit scientifiquement étayé de preuves objectives et soutenu par un collectif d’historiens crédibles et neutres, traduit une certaine faiblesse dans la démarche correctrice de l’histoire(21) qui ne s’écrit jamais au présent et encore moins en l’absence de toute validation scientifique.

6-Annonce du plan de sortie de «l’état d’exception constitutionnelle»

Il s’agit d’un élément clé du discours objet de la présente lecture. Il ne s’agit pas d’un objet de discussion et encore moins de négociation. C’est un plan à observer par tous mais dont la mise en œuvre globale demeure tributaire de la réalisation d’un ensemble d’actions ordonnées en cascade mais qui ne sont pas toutes au même niveau de précision.  Ces actions sont certes prévues par le plan, cependant, leur aboutissement à toutes n’est certainement pas garanti d’avance étant donné que cela relève de la volonté humaine.

En tout état de cause cette partie relevant du plan de sortie de «l’état d’exception constitutionnelle» mérite, en tant que telle, une analyse approfondie dédiée qui sortirait nécessairement du cadre de la présente lecture.

III-Message schématique du discours

Au-delà de l’émetteur soit en tant que Président de la République Tunisienne et auquel notre respect est total, soit en tant que personne et pour qui notre estime et sympathie de la période académique restent préservés, notre lecture porte exclusivement sur le discours en question autant dans sa forme que dans son contenu. A ce titre, elle demeure le fruit de notre perception objective de l’énoncé d’une adresse au peuple prise à un instant T, dans sa dimension sociopolitique constamment dynamique. A travers cette lecture l’image qui nous est rendue est un échafaudage tridimensionnel composé de trois piliers fondamentaux  adossés à un socle de base. Selon notre vision cet ensemble peut être schématisé approximativement de la manière suivante:

Pilier1- Une victime: le peuple dépositaire originel de la souveraineté mais qui, paradoxalement, n’a jamais cessé de subir les exactions de la classe politique dans son ensemble et dont notamment les gouvernants.

Pilier2- Un bourreau: Il s’agit «des autres», ceux qui avaient contribué, depuis le 14 janvier 2011, au pourrissement de la situation au point de rendre la «déclaration de l’état d’exception constitutionnelle» du 25juillet 2021 un devoir national, ceux qui se sont opposés à la «déclaration de l’état d’exception constitutionnelle» du 25 juillet 2021, ceux qui avaient accordé un soutien conditionné à la «déclaration de l’état d’exception constitutionnelle» du 25 juillet 2021 et ceux qui avaient suggéré la promotion d’«une troisième voie», celle du dialogue et de la conciliation conditionnée.

Pilier3- Un réformateur: Il s’agit du chef de l’Etat qui a "souffert" dans sa fonction pendant "les quelques" vingt-et-un mois de présidence de la république(22) précédant la «déclaration de l’état d’exception constitutionnelle» du 25 juillet 2021. «C’est lui seul qui», en toute âme et conscience « prit cette décision de déclarer «l’état d’exception constitutionnelle après avoir consulté ceux qui l’avaient été…ce fut un impératif dicté par la situation, la responsabilité et le devoir de préserver la patrie et également de mettre fin au vol des ressources du peuple.»(23)

Socle de base : une nouvelle république fondée sur la souveraineté populaire dans une version à déterminer. C’est l’aboutissement prévu de la feuille de route annoncée en conclusion de ce discours hautement significatif. Cela est confirmé par l’orateur lui-même qui déclare «être convaincu que les étapes prévues doivent être réalisées à temps pour que la souveraineté revienne à son dépositaire»(24).

Cette schématisation approximative traduit peut-être la volonté de l’orateur. Cependant, la volonté et la réalité ne sont pas souvent concomitantes notamment en matière humaine collective. Tout dépend du degré de maturité, de rationalité, d’honnêteté et de réalisme de la volonté exprimée. Plus cette volonté se détache de la réalité sociale plus ses perspectives deviennent sombres.

Ainsi prend fin cette lecture libre qui s’est voulu le miroir de la parole en se plaçant à l’abri de tout effet déformant. Maintenant, c’est au citoyen tunisien responsable qu’échoit l’obligation de mesurer la portée profonde de tout discours politique et d’en tirer les conclusions qu’il considère pertinentes.

Mondher Rezgui
Chercheur en Sciences Politiques
Tunis le 09/03/2022

(1) - "...المسؤولية اقتضته والواجب فرضه للحفاظ على الوطن ثمّ أيضا لوضع حدّ لمقدّرات الشعب..."

(2) - "يا شعب تونس العظيم".

(3) - Sept minutes de ce discours ont été réservées à la présentation de la feuille de route.

(4) - En date du 11/10/2021.

(5) - «Dispositio» dans les termes de QUINTILIEN (ou Marcus Fabius Quintiltamus), rhéteur et pédagogue latin du 1er siècle connu pour son ouvrage : «L’institution oratoire».

(6) - Il importe de se référer à l’analyse fort intéressante du doyen Sadok Belaid, dans son article «La constitution de 2014 et les prérogatives du Président de la République », Revue Leaders du 19/03/ 2019 https://www.leaders.com.tn/article/26735-sadok-belaid-la-constitution-de-2014-et-les-prerogatives-du-president-de-la-republique-to-whom-may-be-concerned

(7) - "الأشهر التي قضيتها بعد تولّي المسؤولية مليئة بالألم والمرارة ... الجلسات كانت بمثابة جلسات تعذيب ... كان العمل مستمرّا في المقابل ليلا نهارا لا يكاد يتوقّف ولا أبالغ..."

(8) - " شعب تونس العظيم ... الاستهزاء بإرادة الشّعب والتنكيل به في معاشه وفي محيطه البيئي بل وفي كلّ مظاهر الحياة ... الصف الوحيد الذي أنتمي إليه هو صفّ الشعب ... الشعب لفظهم والتّاريخ رفضهم … "

(9) - " الإرهاب، غلاء الأسعار، المضاربة، الاحتكار، انتشار الفساد، الإفلات من العقاب، إشاعة الأكاذيب، والسبّ، الشتم، ... سقوط أخلاقي غير مسبوق، ... التنكيل بالشعب وإسقاط الدّولة ... زرع اليأس والإحباط ...الحصول على الأموال لفائدتهم ... يهرّبون الأموال في الحقائب ... غاب عنهم أيّ شعور بالمسؤولية بل أيّ شعور بالإنسانية ... التخابر مع دول أجنبية ... بيع ذممهم إلى قوى أجنبية... كانوا يتاجرون بآلام التّونسيين... فهل هؤلاء من جنس الإنسان أم من جنس آخر؟... بدأ الطمع يظهر والجشع يبرز ... "

(10) -" ... وصار الحديث متواترا هذه الأيّام عن صفّ ثالث، واصطفّوا صفا صفا، وإن أرادوا فليزيدوا صفاّ رابعا أوصفّا خامسا، أما الصفّ الوحيد الذي أنتمي إليه فهو صفّ الشّعب وليس الاصطفاف مع من يريدون صناعة الصّفوف..."

(11) -"... الصفّ الوحيد الذي أنتمي إليه فهو صفّ..."

(12) - "... وإن لم يعد الشّعب صاحب السيادة  قادرا على التعبير عن إرادته في ظلّ هذه الشرعية المزعومة فله الحق في أن يعبّر عن إرادته في ظلّ شرعية مشروعة..."

(13) - "هذا كلّه بفضل اللّه تعالى وبفضل تداعي التّونسيين في الدّاخل والخارج لشدّ بعضهم البعض وبفضل أشقّائنا وأصدقائنا".

(14) - Il est souhaitable de se référer au paragraphe relatif à la structure (B-Structure du discours) de la première partie.

(15) - Décret présidentiel no 117-2021 en date du 22 septembre 2021.

(16) - Décrets présidentiels no 137-2021 et 138-2021 en date du 22 septembre 2021 portant respectivement nomination de la Cheffe du Gouvernement et de ses membres.

(17) - " ... صفّقوا لل25 ولم يجدوا حظّهم فصاروا يندّدون ... كانوا يعتقدون أنّني سأوزّع المناصب والحقائب ... ولكن حين يئسوا انقلبوا على أعقابهم خاسئين ... شكرا لهم على ادّعائهم وشكرا لهم على كذبهم لأنّهم لو كانوا صادقين لماذا تغيّرت مواقفهم؟

(18) - ".. سرنا نتحدّث اليوم في تونس عن قضاء فلان وعن القاضي التّابع لفلان ... فأين القضاء؟ لماذا لا يحاسبون هؤلاء كما يحاسب الفقراء والمساكين؟  .. أين القضاء؟ لماذا لا يحاسبون هؤلاء كما يحاسب الفقراء والمساكين؟ .."

(19) - "... القضاء مستقلّ وعليه اليوم مسؤولية تاريخية في أن يعطي كلّ ذي حقّ حقّه مهما كان مركزه ..."

(20) - Décret no 317-2011 en date du 26 mars 2011, fixant les jours fériés donnant lieue à congé au profit des personnels de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics à caractère administratif.

(21) - "انطلقت الثورة في 17 ديسمبر، وهو عيد الثورة ليتمّ الالتفاف عليها في التّاريخ الذي كان موعدا للثورة (14 جانفي 2011)".

(22) - Du 23 octobre 2019 au 25 juillet 2021 correspondant aux passages respectifs de deux chefs de gouvernement, Elyes Fakhfakh et Hichem Mechichi, tous les deux choisis au poste par le Chef de l’Etat.

(23) - "إنّني اتّخذت القرار بمفردي  لوحدي بعد استشارة من تمّت استشارتهم ... اتخذت هذا القرار لأن الوضع اقتضاه والمسؤولية اقتضته والواجب فرضه للحفاظ على الوطن ثمّ أيضا لوضع حدّ لنهب مقدّرات الشعب..."

(24) - "إنّني على يقين أن هذه المواعيد يجب أن تنفّذ حتّى تعود السيادة إلى صاحبها."