News - 01.03.2022

La restructuration du système de financement de l’économie Tunisienne: La finance citoyenne solidaire, et participative

La restructuration du système de financement de l’économie Tunisienne: La finance citoyenne solidaire, et participative

Par Habiba Nasraoui Ben Mrad

I- Pourquoi une restructuration du système de financement de l’économie Tunisienne?

L’inefficacité du système de financement de l’économie Tunisienne au vu de la fragilité de son tissu économique est un résultat sans appel, une restructuration de ce système est donc plus que nécessaire. Quelles sont donc ces caractéristiques, et pourquoi le tissu économique est-il si fragile. C’est ce à quoi nous essayerons de répondre en proposant de nouveaux mécanismes, de nouvelles structures et de nouveaux dispositifs de financement.

1- Les modalités de financement de l’économie tunisienne: celles d’une économie d’endettement

Nul n’ignore que le système financier Tunisien fonctionne selon les mécanismes d’une économie d’endettement et se caractérise donc par:

L’endettement structurel et permanent des entreprises vis-à-vis du système bancaire et donc prépondérance du crédit bancaire dans le financement externe des entreprises.

L’endettement structurel et permanent des banques vis-à-vis de la Banque Centrale, cette dernière étant ainsi un prêteur en dernier ressort contraint

Les causes originelles en sont multiples notamment la faiblesse du taux d’autofinancement des entreprises et l’écart structurel entre épargne et investissement. Cet écart déjà important et impliquant la nécessité d’un financement par la création monétaire est appelé à se creuser davantage puisque le taux d’épargne est passé de 10,4% en 2011 à 4,4% en 2020.

2- Un tissu économique fragile 

Le nombre d’entreprises tunisiennes s’élève à 801 453 fin 2020 (INS), dont  704 344 entités opèrent dans le secteur des services. 91 542 entreprises appartiennent au secteur industriel, et 5 657 entités actives dans le secteur agricole. 704 317 entreprises ne comptent aucun employé, 55 385 comptent 2 salariés au maximum. Les entreprises qui comptent plus de 200 salariés sont au nombre de 806 soit 0,1% de l’ensemble des entreprises. Nous en concluons que 95% des entreprises Tunisiennes appartiennent au secteur informel, et 5% uniquement au secteur formel.

Les entreprises étant ainsi pour la plupart des petites PME employant moins de 5 personnes, elles ont difficilement accès, au financement direct, par émission de titres sur les marchés financiers, leur taille ne leur permettant pas de répondre aux conditions de taille et de performances exigées à l’entrée sur ces marchés. La seule alternative possible qui leur reste est celle du financement bancaire. Nous saisissons par-là, la vulnérabilité de ces entreprises, et leur désarroi, face à une Banque Centrale, qui exerce sur eux un véritable châtiment en fixant les taux directeurs, à un niveau trop élevé, voire exorbitant, et ce depuis Mars 2018.

La structure du tissu économique Tunisien est donc fragile, et le mot d’ordre devrait être « Résilience ». Seuls des dispositifs innovants de finance citoyenne et solidaire  prenant en considération, les spécificités de nos structures,  permettront à ces entreprises de continuer à exercer normalement leur activité, à stabiliser l’emploi, les revenus et à créer de nouveaux emplois.

Les services financiers en Tunisie deviennent de plus en plus inadaptés, Le système de banque universelle a montré ses limites, et je pense qu’il est grand temps que le système financier, qui prévaut depuis 1988  soit restructuré, pour le mettre au service de l’économie réelle et ce en réinstaurant la spécialisation.

Les établissements bancaires et financiers doivent séparer plus nettement leurs activités, les diversifier. Le crédit doit être accordé non plus sur la base de la solvabilité de l’emprunteur, mais sur la valeur du bien financé, sa valeur sociale, environnementale, patrimoniale, culturelle.

II- Un nouveau rôle des banques

Le Covid-19 a révélé le rôle central de l’humain dans l’intermédiation bancaire, ce qui constitue une belle revanche pour les banques dites «traditionnelles» La mission d’intermédiation bancaire,   reprend ses lettres de noblesse et on revient aux fondamentaux du métier de banquier: accompagner ses clients et les aider à surmonter des périodes difficiles. Dans ce nouveau contexte ;  la relation client assure un lien social fondamental bien au-delà des transactions bancaires et les institutions financières  doivent accélérer la mutation de leur modèle économique, afin de contribuer plus efficacement à une allocation optimale des ressources  et à une plus grande résilience de l’économie Tunisienne. Pour ce faire les banques doivent:  

Orienter les financements bancaires vers des activités, d’intérêt général, et les activités à forte valeur ajoutée, et celles orientées vers la R&D.

Réinventer la relation client, et renforcer l’accompagnement humain.

Développer et financer des programmes de restructuration et de modernisation de leurs économies par le financement de grands projets d’infrastructures, dans l’éducation, le transport et la protection sociale.

Par ailleurs pour contribuer à la résilience, de l’économie Tunisienne et la rendre plus inclusive, la banque de demain ne peut être qu’une banque citoyenne. La banque citoyenne doit rendre le crédit accessible, aux régions, rurales, aux PME agricoles, et aux petits métiers, qui sont exclus,  et ce  en favorisant la création  des banques coopératives spécialisées dans le financement des institutions de l’ESS, et du développement régional.

Avec la crise la banque ne joue plus seulement un rôle de financement, mais aussi un rôle social en assistant directement l’État dans la relance de l’économie. Dans ce cadre le rôle des banques régionales se révèle plus prégnant avec une plus grande latitude dans l’action de soutien financier  des PME notamment dans l’agriculture et dans l’action sociale.

La restructuration du système financier doit se faire en faveur :

Des financements participatifs et des financements à impact social et environnemental, et liés à la pandémie. Les ressources des banques doivent y être prioritairement allouées.

Au profit de l’ESS qui représente un cadre idéal pour la croissance inclusive et la réalisation des 17 ODD. Atteindre les objectifs de développement durable d’ici à 2030 constitue un défi majeur, et la banque de demain pour y contribuer doit orienter ses financements dans le sens de leur réalisation.

Au profit d’une croissance économique inclusive, assurant la cohésion sociale. Un modèle inclusif de croissance bénéficiant à chacun et respectant l’environnement, doit se substituer à l’actuel modèle de développement. La croissance inclusive est le résultat d’un modèle qui ne fait pas seulement appel à une politique de redistribution pour réduire les inégalités sociales, mais associe également, tous types de profils et de compétences, intègre  l’accompagnement de PME, de jeunes entreprises et de start-ups.

III- Les mécanismes de Financement Innovants du Développement territorial, des ODD, de l’inclusion et de l’ESS

1- Les régions et gouvernorats vecteurs par excellence du bien-être et de la soutenabilité

Une bonne partie de la croissance et du rayonnement d'un pays, repose, sur le développement du potentiel de ses territoires et régions, représentant  un levier de la prospérité nationale. Il est donc crucial de s'intéresser aux problématiques de croissance et de développement des territoires, au plus près de leur diversité et de leur agencement complexe.

Le développement économique des régions doit être aujourd’hui orienté vers la spécialisation intelligente, l’innovation et l’optimisation des ressources.
L’enjeu pour les pouvoirs publics est de  prendre en considération la particularité de chaque région et la création d’un Observatoire des Territoires destiné à identifier d’éventuelles inégalités est plus que nécessaire.

2- Les quatre principaux mécanismes de financement innovant

Les acteurs du financement innovant sont très divers, se caractérisent par l’utilisation qu’ils font des mécanismes de marché financier pour soutenir le développement durable, et reflètent souvent une collaboration entre le secteur privé et le secteur public. Le secteur privé peut apporter des financements au secteur public, en investissant dans des obligations telles que celles émises pour financer des projets verts. Le secteur public peut réaliser des investissements dans le secteur privé par l’intermédiaire de mécanismes de garanties et de paiement aux résultats. Les mécanismes de financement innovants  sont classés en 4 catégories:

Produits financiers destinés à lever des fonds sur les marchés des capitaux
prêt participatif social et solidaire

PPP

et pour renforcer les fonds propres : Obligations et bons

Microfinance et financement pour les PME

Fonds d'investissement à impact

Mécanismes destinés à atténuer les risques

Subventions/Assurance
Garanties des prêts bancaires aux associations assurant des missions de service public dans les secteurs médico-social, de l’éducation, de la formation et de la lutte contre l’exclusion.

Financements suboronnés à l'obtention de résultats

Obligations à impact sur le développement et Obligations à impact social
Fonds axés sur les résultats

Mécanismes de financement reposant sur la technologie

Financement participatif: La plateforme de financement participatif (crowdfunding)    facilite le financement sur Internet (dons, prêts, fonds propres) des « petits » projets de l’ESS, qui suscitent l’intérêt du public

Parmi les mécanismes de financement innovants trois produits illustrent le lien entre ces mécanismes innovants, et l’ESS à savoir:

• Le partenariat public - privé : PPP

Le dispositif particulier des partenariats publics-privés (PPP) est un levier de financement des territoires, qui revêt une importance particulière dans le financement des infrastructures des territoires, tout en permettant aux collectivités territoriales de faire face aux enjeux de la transition écologique ou des territoires intelligents. Pour cette raison, ces financements peuvent s’opérer dans le cadre idéal de l’ESS.

Plus que les secteurs de l’artisanat et des petits métiers l’ESS doit également soutenir l'innovation dans différents domaines. Les financements vont alors en particulier aux entreprises et aux laboratoires publics ou privés, afin de favoriser les activités de R&D, et les secteurs de haute technologie.  
Les clusters et les smart cities peuvent constituer des orientations opportunes en matière de financement PPP dans le cadre de L’ESS.

Les clusters innovants, et leur traduction  en termes de pôles de compétitivité ou de grappes d'entreprises, considérés comme la base même des politiques d'innovation. Et partant du développement industriel et serviciel national, par le biais de la concentration d'entreprises et de laboratoires sur des zones dédiées à la haute technologie ou aux activités innovantes. 

Les smart cities ou villes intelligentes utilisant les technologies de l'information et de la communication (TIC) pour améliorer la qualité des services urbains ou

• Le financement participatif

Le financement participatif comprend différentes formes, le Crowdfunding , le Creditcrowdfunding; Crowdlending ou prêt participatif.

Le financement participatif communautaire ou de proximité est un concept selon lequel un projet bénéficiant de l’appui d’une communauté peut voir le jour grâce à une quantité appréciable d’apports financiers individuels.

• Prêt participatif social et solidaire

Il financera les entreprises de l’ESS, à travers des apports en fonds propres, ou quasi fonds propres. Les banques populaires doivent souscrire à ces fonds aux côtés des acteurs privés du financement de l’ESS, telles que les banques mutualistes.  Des efforts sont actuellement déployés dans l’ensemble du système des Nations Unies pour mobiliser des financements innovants à l’appui des ODD. Tel le mécanisme de financement «Tropical Landscape Financing Facility» du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).

IV - Les structures alternatives de Financement Les dispositifs de finance citoyenne solidaire et participative

Les dispositifs de finance citoyenne solidaires et participatifs représentent des modes de financement alternatifs et constituent des leviers du financement du développement local, en partenariat avec  les collectivités locales et des projets d'utilité sociale dans les territoires.

Les ressources des différents territoires sont de natures très différentes. Cette diversité appelle des traitements différenciés, parce qu'elle est facteur d'inégalités ; en termes de revenus, d'infrastructures ou d'accès aux services. Pour cette raison va falloir intervenir par le biais de nouveaux dispositifs.

1. Les fonds de développement régionaux

Nés en Allemagne, les fonds régionaux d’investissement, représentent un outil incontournable de financement régional, permettant d’ancrer réellement les principes de l’autonomie des régions.

2. Les fonds d’investissement à impac

Les fonds d’investissement à impact réunissent des investisseurs qui acceptent de financer des objectifs de développement. L’introduction de capitaux privés dans le secteur social doit ainsi permettre le financement de programmes innovants et risqués, dans le domaine de la santé, l’inclusion financière, les énergies renouvelables. Les investisseurs privés sont remboursés par l’État en fonction de la réussite effective du projet.  Le contrat à impact social est né au Royaume-Uni en 2010 sous le nom de Social Impact Bond (SIB) et représentent une forme de partenariat à finalité sociale et environnementale.

Les investisseurs sont de plus en plus nombreux à se servir des ODD comme d’un cadre pour mesurer l’impact de leurs investissements sur le développement. « Global Impact Investing Network.»

Les investisseurs estiment que mesurer l’impact social ou environnemental d’un financement constitue un véritable défi étant donné la multiplicité des normes qui existent dans ce domaine dont «Global Reporting Initiative» (GRI) ; qui encourage l’établissement de rapports socio-environnementaux à l’aide d’un catalogue d’indicateurs de performances sociale, environnementale et financière.   
Le centre de compétences sur les     Contrats à Impact FAIR, finance des projets innovants pour faciliter l’accès à l’emploi. Parmi ces projets on trouve par exemple:

DUO for a JOB
Créé en 2013 en Belgique, DUO for a JOB est un programme de mentorat intergénérationnel qui met en relation des jeunes réfugiés ou issus de la diversité, avec des bénévoles de plus de 50 ans (“mentor”).

Télémaque
Créée en 2005, Télémaque est une association pionnière de l’égalité des chances. Favorise la réussite éducative de jeunes motivés, investis et scolarisés dans des territoires fragiles grâce à un accompagnement personnalisé.

3. Fonds d’innovation sociale

Destiné à faire face aux risques spécifiques liés aux projets innovants.

4. Banque Populaire d’investissement

Devant participer à la réalisation d’investissements, dans l’infrastructure, le développement régional, des nouvelles technologies et de l’environnement.

5. La Banque des Territoires ou des régions de la Caisse des Dépôts

La Banque des territoires doit privilégier la dimension territoriale, et agir en partenaire des banques, en partageant les prises de risque, à travers la garantie de crédits. L’État doit  confier  à la CDC, la gestion d’une dotation destinée à renforcer les fonds propres d'entreprises ESS, via la Banque des territoires.

6. Les collectivités publiques

Contribuent au développement économique des territoires, des structures idéales pour financer des projets qui visent à assurer la cohésion économique, sociale et territoriale, ce financement devant se réaliser à travers des fonds.  

7. Les caisses d'épargne/Caisses Locales /Banques coopératives

De par leur modèle de banques coopératives régionales, les caisses locales peuvent construire un principe de territorialité original. Le statut coopératif leur permet de renforcer leur rôle de proximité, et leur modèle de bilan, où l'épargne régionale collectée est directement réinjectée dans le développement régional.

7.1. Les Caisses Locales de Crédit Mutuel

7.2. Les Caisses Locales de Crédit Agricole

L’agriculture emploie près de 15% de la population active, représente près de 10% du PIB et contribue jusqu’à 40% à la croissance du PIB en moyenne par an depuis 10 ans.  Le taux d’encadrement dans ce secteur vital et stratégique est de moins de 1%. Pourtant, les rares ingénieurs qui connaissent des difficultés à l’embauche sont les ingénieurs agroéconomistes, et plus que jamais ce secteur nécessite une mise à niveau par l’innovation.

7.3. Les caisses Locales de Crédit Industriel, technologique à l’innovation et start-up

7.4. Les Caisses Locales d’épargne Logement

7.5. Les caisses Locales de crédit patrimonial et artistique

Devant financer les projets d'entreprise ayant un impact éthique et durable.

7.6. Les sociétés coopératives de finances solidaires,

Devant financer principalement les activités ayant une dimension écologique, sociale et culturelle.  Une banque coopérative (ou banque mutualiste) est une banque détenue par ses clients. La création de banques coopératives constitue l’une des solutions ; pour faire de l’ESS un véritable levier de croissance économique. Les banques coopératives peuvent en effet établir un ancrage et une insertion dans les régions marginalisées et les zones rurales.
L’article 15 de la loi 2020-30, prévoit, en faveur de l’ESS, la création de mécanismes de financement spécifiques (telle la ligne de garantie de fonds, et  l’affectation de lignes de financement préférentielles) et la création de banques coopératives.

7.7.    La Caisse Solidaire 

Organisme de crédit spécialisé dans le financement des "projets de l'ESS". Souvent justement les projets innovants et start-ups représentent des initiatives privées de jeunes diplômés, qui ne disposent pas des garanties, devant leur permettre, d’accéder aux financements bancaires. La Caisse solidaire doit intervenir par notamment le prêt participatif social et solidaire. La caisse solidaire est donc le dispositif, qui va permettre au mécanisme innovant de prêt participatif social et solidaire d’être accordé.

Habiba Nasraoui Ben Mrad
Enseignante universitaire Ecole Supérieure de Commerce UMA