News - 28.02.2022

Mohamed Salah Ben Ammar: Saddam l’homme, la brute et le tyran

Mohamed Salah Ben Ammar: Saddam l’homme, la brute et le tyran

Cette semaine, l'Irak a fini de rembourser les 52 milliards de dollars dus au Koweït. D’autres milliers de milliards sont allées dans les poches des vendeurs d’armes et autres puissances occidentales. L’Irak est exsangue, divisé, ruiné, à qui la faute ?

Il y a quelques jours j’écoutais une de mes émissions radios préférées sur une chaîne privée. L’invité du jour était un professeur d’université. A un moment l’animateur a fait une simple allusion au régime de Saddam Hussein, la conversation jusque-là très courtoise a failli s’envenimer «Je ne peux pas vous laisser de parler ainsi de Saddam » « Saddam a été victime de ses réussites» et d’ailleurs c’est Edgar Pisani qui l’a écrit disait l’universitaire ! Une preuve irréfutable selon lui. Il n’est pas le seul à éprouver ce sentiment, beaucoup d’amis éprouvent une authentique admiration pour Saddam Hussein. Comment est-ce possible ?

Saddam Hussein Al Majid est resté président d’un pays riche 24 ans. Pour ses admirateurs il est probablement difficile de faire la part entre l’idéologie baathiste qu’il pensait incarner, l’homme charismatique et le chef de guerre téméraire. Je me contenterai d’examiner à travers quelques dates clés le parcours de l’homme.

Saddam ne passait pas inaperçu. Il avait une forte personnalité. Le mâle dominant dans toute sa splendeur. De son 1.88 mètre il regardait ses interlocuteurs de haut. Il avait une prestance et un charisme indéniables. Il était très courageux et généreux. Un homme aux valeurs d’un autre temps mais sans scrupules. Son panarabisme était ostentatoire: la cause palestinienne, l’union territoriale arabe, la grandeur de la nation arabe et de ses apports à l’humanité, la nationalisation du pétrole arabe…une ritournelle dans ses discours, servie à ses admirateurs, notamment des étudiants arabes vivants confortablement à Baghdad aux frais de l’État Irakien, beaucoup d’entre eux deviendront plus tard des militants convaincus de la cause baathiste dans leurs pays respectifs. Pourtant il était déjà évident que pour lui, il y avait l’Irak, les arabes et loin derrière les autres pays arabes. De fait, l’homme a impressionné tous ceux qui l’ont rencontré. Jacques Chirac l’admirait et ne se privait pas de le dire. Il lui a d’ailleurs vendu deux réacteurs nucléaires Osirak. Alors vice-président Saddam avait commis une erreur de débutant en déclarant : «L'accord avec la France est le premier pas concret vers la production de l'arme atomique arabe». Nous connaissons la suite, bombardé en 81 par Israël cette centrale n’a jamais fonctionné. Tout Saddam est dans cette anecdote. Les folies de grandeur de Saddam ne connaissaient aucune limite.

Baghdad le 25 juillet 1992, 42 commerçants ont, le jour même, été jugés et exécutés, leur supposé crime ? Vouloir affamer le peuple en spéculant sur les produits alimentaires. Durant 35 ans les exécutions sommaires vont se multiplier, malheureusement il n’avait pas le monopole de la cruauté en Irak et dans la région.

D’autres faits nous permettent de mieux cerner l’homme. En juillet 1968 sous la conduite du général Ahmed Hassan al-Bakr des militaires baathistes tous issus du village Tikrit prennent le pouvoir suite à un coup d’État militaire. Le président Abdelkrim Kassem ainsi que nombre de ses ministres sont passés par les armes. La bande de Tikrit s’installe au pouvoir. Comme Saddam, ils étaient tous membres du parti de la résurrection arabe et socialiste (Baath) fondé à Damas en 47. Cette idéologie a été théorisée par Michel Aflak, Salah Eddine Bitar et plus tard Zaki al-Arzouzi. Ils étaient des éducateurs issus de la classe moyenne, influencés par les idées socialistes et viscéralement attachés à leurs racines arabes.

En 79, Saddam Hussein succèdera à Al-Bakr dont il était le vice-président. En réalité, c’est lui qui dirigeait le pays depuis 11 ans, Al Bakr était un faible. Il restera au pouvoir jusqu’en 2003. Durant son règne de 35 ans en réalité, il donnera une forte connotation militaire au parti dont les principaux dirigeants apparaissent désormais en uniforme.

Dès sa prise de pouvoir Saddam donne le ton. Les images glaçantes d’un 22 juillet 1979 sont inoubliables. Lors d’un meeting grandiose, il a purgé en public l’appareil de l’État et du parti de ce qu’il appelait les comploteurs. Devant un micro, un homme ânonnait des noms. A chaque fois la personne nommée se levait à l’appel de son nom, des personnes en civil l’emmenaient pour être exécuté séance tenante sans autres formes de procédures. Ces personnes étaient venues assister à un meeting en costume cravate et n’avaient aucune idée de ce qui les attendait. Installé seul au milieu de l’estrade, Saddam se délectait en fumant calmement un cigare cubain, l’enfant de Tikrit en était un grand amateur. Le socialiste aimait le luxe et la bonne cuisine, les cigares cubains, le bon whisky, les voitures de luxe, les yachts, les motos et…les chaussures de qualité, il en possédait des centaines. Ses palais étaient de mauvais goût mais impressionnants. Ses portraits étaient partout. Le 28 avril, sa date de naissance supposée était un jour férié en Irak. Les festivités dans tout le pays étaient sans commune mesure avec le quotidien des irakiens. Plus tard dans les années 90 lors de son retour à la foi, il prétendra que sa famille descend de la lignée du prophète et ajoutera un Allah Akbar manuscrit de sa main sur le drapeau Irakien.

Dès sa prise du pouvoir Saddam Hussein, idéologiquement socialiste et panarabe aura trois objectifs essentiels, mettre en place un système d’armement sophistiqué, un système socio-éducatif moderne et créer un climat de terreur généralisée. Sauf que son nationalisme arabe était synonyme, à ses yeux, de domination irakienne sur le monde arabe. «Il était arabe de discours et irakien de pratique».
D’emblée il va gouverner par la terreur. Même les liens de sang ne donnaient aucune immunité. Il n’a pas hésité à éliminer Kheirallah Al-Tulfah, son oncle maternel et beau-père et puissant ministre de la défense, il voyait en lui un dangereux rival. Saddam avec le soutien de la CIA a réprimé systématiquement ces opposants et notamment les militants du parti communiste Irakien.

Toujours en 79 presque au même moment où se mettait en place la république islamique d’Iran, Saddam Hussein devenait président de la République d’Irak. Or 60% des irakiens sont chiites. Il déclare la guerre à l’Iran. Cette guerre va durer 8 ans et faire un million de morts. Son nationalisme panarabe se mue en une arme contre les chiites et les Kurdes. Sunnite, Saddam déporte 30 000 chiites un an plus tard. Deux ans après la fin de cette guerre, l’Irak ruiné, exsangue envahit le Koweït rebaptisé à l’occasion province N°19. Les pays du Golfe qui avaient financé la guerre contre l’Iran insistaient pour être remboursés. Saddam avait une autre logique, il a sacrifié son pays pour les protéger de l’Iran chiite. Une coalition de pays occidentaux et arabes se liguera contre lui. Saddam accepte un cessez-le-feu en 91 mais rien ne sera plus comme avant. Le pays, déjà en crise suite à la guerre contre l’Iran, est à genou. Dix ans plus tard l’Irak sera envahi, l’État Irakien détruit et ses richesses spoliées.

Révoltantes ont été les images de liesse dans les capitales et les villes arabes après cette occupation du Koweït. Celle qui était considérée comme la « 4eme puissance militaire au monde » défiait toutes les armées du monde. La propagande de Saddam sur l’imaginaire de la rue arabe avait fait son effet. Que n’a-t-on pas dit sur les fameux Scuds qui allaient détruire Israël. Les pays occidentaux et quelques pays arabes qui avaient flairé le bon coup, ils ont à qui mieux mieux envoyé leurs soldats libérer le Koweït et profiter de la manne pétrolière. La suite de cette guerre ? Les Kurdes, dans le nord, se détachent progressivement du pouvoir central, les chiites au sud, se soulèvent. Ces rébellions seront réprimées dans le sang. Déjà en septembre 88 Ali Hassan al-Majid cousin de Saddam avait tué 100 000 civils Kurdes en bombardant la ville kurde d'Halabja avec…des armes chimiques.

Le peuple irakien a été soumis à un embargo inhumain pendant douze ans jusqu’en 2003 où les États-Unis à coups de propagandes et d’intimidations, imposent à une partie la communauté internationale le mensonge le plus grotesque du siècle, al-Qaida et le régime irakien seraient alliés et l’Irak détiendrait des armes de destruction massive ! L’Irak est envahi sans l’aval de l’ONU, et en avril, Baghdad tombe. L’Irak est disloqué et le monde arabe se déchire !

Les folies meurtrières de Saddam n’avaient pas de limites.  Les condamnations à mort durant son règne se comptaient par milliers, les suppliciés étaient battus, torturés, humiliés en présence de leurs femmes et enfants, avant d'être exécutés parfois en public.  Même sa propre famille n’a pas échappé à ses pulsions. A leur retour à Bagdad en 1996 après une courte défection en Jordanie, ses deux gendres ainsi que toute leur famille ont été exterminés.

Saddam est pendu le 30 décembre 2006, le jour de l’Aïd. Les images de son exécution filmée par un garde chiite qui criait le nom de l'imam chiite Moqtada Al-Sadr ont choqué même ses pires ennemis. Ses deux fils, Oudaï le psychopathe et Qoussaï le froid dauphin présomptif ainsi que son petit-fils Mustapha ont été tués. Ils ont été vendus par un ami de la famille Nawaf al-Zaidan pour 30 millions de dollars. Il aura fait le malheur de sa famille, de son peuple et de plusieurs pays arabes.

Pour la rue arabe humiliée, désespérée, avide de revanche, Saddam Hussein a représenté un espoir, une folie. La réalité était tout autre. Il aura été le fossoyeur de l’illusion d’un grand monde arabe uni. Le monde arabe est aujourd’hui plus divisé que jamais. Il vit une des pires périodes de son histoire. Les pays arabes ont les indicateurs de développement les plus bas après l’Afrique. L’invasion de l’Irak était une colonisation de fait de toute la région. Des régimes dictatoriaux et des monarchies d’un autre temps et des roitelets se disputent pour des raisons futiles, ils dépensent des fortunes en armements pour se protéger d’un voisin aussi riche mais sous-développé qu’eux.

Alors quand j’entends certains regretter les dictateurs, Kadhafi, Abdallah Saleh, Moubarak, Ben Ali, Bachir, Assad père et autres qui des décennies durant ont semé la mort et la misère dans le monde arabe, je ne peux qu’être pessimiste quant à l’avenir de notre région. L’homme Saddam Hussein sortait certainement du lot, c’était un homme de décision, fascinant, il impressionnait ses interlocuteurs mais il a été le pire despote, c’était un monstre. Un despote a fait le malheur de ses concitoyens et indirectement de tout le monde arabe. Il s’est systématiquement trompé, il ne comprenait que le langage de la force. Un homme politique ne se juge pas sur ses déclarations d’intention ou sur son idéologie si belle soit-elle, il se juge sur à son bilan et il est catastrophique, sur le respect qu’il accorde à chaque être humain et notamment ses adversaires politiques et Saddam les a systématiquement éliminés, physiquement. Alors permettez-moi de penser qu’admirer Saddam relève au mieux de l’aveuglement, au pire d’une négation des valeurs humaines.

Dr Mohamed Salah Ben Ammar