News - 07.02.2022

Professeur Mohamed Fourati, un chirurgien innovateur

Professeur Mohamed Fourati, un chirurgien innovateur

Par Mohamed Salah Ben Ammar - Ce 18 janvier mon Maître le Professeur Mohamed Fourati aurait eu 90 ans. Voilà dix ans qu’il nous a quitté un dimanche le 26 février 2012 exactement.

Ma rencontre avec Si Mohamed aura été une de ces rencontres qui marquent un homme à jamais. Les souvenirs et les anecdotes se bousculent dans ma mémoire. Comment raconter l’homme, le chirurgien, l'aîné que j’ai admiré et aimé sans pour autant verser dans l’auto narration ?

En tant qu’anesthésiste réanimateur j’ai eu la chance de côtoyer Si Mohamed dès les années 80, j’étais alors un jeune résident. Nos rapports en tant qu’anesthésiste réanimateur étaient autres que ceux qu’il avait avec ses autres collaborateurs chirurgiens. Notre ainé le Professeur Rachid Kamoun nous protégeait à tort ou à raison. Une chance extraordinaire.

Longtemps j’ai eu l’impression qu’il ignorait même mon existence. C'était ça aussi Si Mohamed. A l’époque on avait l’impression qu’il marchait sur un nuage, en réalité je l’ai réalisé plus tard, il voyait tout et nous connaissait tous. En tout cas à l’Hôpital Habib Thameur il était dans une autre dimension. Il dirigeait deux services, celui de chirurgie générale et celui de chirurgie cardiovasculaire et thoracique. Administrativement les deux entités n’en constituaient qu’une mais l’une était au 2eme étage et l’autre au 3eme étage. Tout le monde se connaissait mais je ne savais rien de ce qui se passait au 2eme. Arbia, sa fidèle secrétaire, veillait aux grains. Au 3eme le rituel était le même tous les jours de la semaine, sauf le mercredi qui était réservé à son activité privée à la clinique Saint Augustin.

Deux opérations à cœur ouvert étaient programmées tous les jours, trois parfois, le programme de la semaine était établi lors du staff le samedi. La disponibilité des lits de réanimation, mitoyens des deux salles d’opération et la disponibilité de poches de sang, conditionnaient cette activité. Quand Si Mohamed arrivait le matin aux environs de 8h30, dès que sa voiture entrait au parking, l’information arrivait de façon quasi instantanée en salle d’opération.

Le malade à opérer par le Patron était déjà anesthésié et le chirurgien qui devait l’assister ce jour-là commençait à opérer le patient. Si Mohamed était un as de la chirurgie. Ses gestes étaient précis. Je crois ne l’avoir jamais vu perdre son sang-froid. Il avait un esprit avant-gardiste mais je crois, après tant d’années, que sa principale qualité résidait dans sa capacité à avoir une vue d’ensemble de cette chirurgie débutante en Tunisie et au Maghreb en général.

Il était d’une intelligence pratique exceptionnelle. Il savait prendre des décisions, il écoutait et décidait. En fait, avant même de nous avoir écouté sa décision était prise. Des années plus tard, on s'amusait à le lui faire remarquer. Il aimait en rire, il disait que c’était ça la démocratie. A l’époque, on s'amusait à le surnommer affectueusement le « Conducător ».

Dans notre environnement de l’époque, chaque acte de chirurgie à cœur ouvert était une aventure et il fallait quotidiennement se battre pour obtenir les produits de première nécessité. Une poche de sang par exemple ou un bilan d’hémostase, mais parfois des antibiotiques ou des drogues vasopressives, sans compter que les connaissances de l’époque n’étaient pas celles d’aujourd’hui. Les malades de l’époque étaient exclusivement des pathologies valvulaires ou des cardiopathies congénitales. Ce n’est que dix ans plus tard qu’on a commencé la chirurgie des coronaires. Si Mohamed était fidèle en amitié. Il avait des repères et l’un de ces repères a été probablement le Professeur Mohamed Ben Ismail.

La complicité des deux Hamadis, comme ils avaient l’habitude de s’appeler, était sans limites, ils œuvraient pour la même cause, le développement de la cardiologie en Tunisie. Notre chance était d’avoir en amont et en aval de l’activité chirurgicale le grand service de cardiologie de la Rabta, service où Habib Bourguiba se faisait soigner. Pour conclure sur cette période, je voudrai souligner que Si Mohamed avait mis toute son énergie pour développer la chirurgie cardiaque en Tunisie, mais pour l’avoir vu opérer en chirurgie thoracique et en chirurgie viscérale, j’ai, de mon modeste point de vue d’anesthésiste réanimateur, la certitude qu’il était au moins aussi bon qu’en chirurgie cardiaque. Il avait fait un choix quasi binaire en favorisant presque exclusivement la chirurgie cardiaque. C’est ainsi on ne peut pas revenir en arrière.

Je suis revenu dans son service en tant qu’assistant en 88, je prenais le relai de mon Maitre le Professeur Rachid Kamoun. Entre-temps il y avait eu le coup d'État du 7 novembre. Mes rapports purement professionnels avec Si Mohamed se sont rapidement transformés en une relation quasi filiale.

Deux évènements marquants nous ont beaucoup rapprochés. Le transfert en 1989 du service de l’hôpital Habib Thameur vers le nouvel hôpital Militaire a été un grand moment de complicité entre nous. Il y aurait beaucoup à dire sur ce choix mais disons pudiquement que si c’était à refaire je ne le referais pas.

C’est un mea culpa. Mais voyons plutôt la moitié du verre plein, disons que la première greffe du cœur en Tunisie réalisée dans la nuit du vendredi du 15 janvier 1993 n’aurait probablement pas été possible si ce transfert vers le nouvel hôpital n’avait pas eu lieu. Pendant 4 ans ensemble on l’avait imaginée, préparée dans ses moindres détails, mais l’appui de la présidence de la république et l’environnement militaire ont été déterminants. Était-ce une priorité pour notre système de santé ? Est-ce que cela a fait progresser la médecine tunisienne ? Vaste sujet de débat. Indéniablement ce fut un des moments marquants de la vie professionnelle de mon Maître le Professeur Mohamed Fourati.

L’autre évènement qui nous a beaucoup rapprochés a été la mission que j’ai effectué en Irak, en pleine guerre, en Mars 91. J’ai à l’occasion de cette mission découvert une facette de Si Mohamed que je ne connaissais pas, surprenante même. Un homme passionné, engagé, très politisé, arabisant, patriote. Personnellement comme la grande majorité de la délégation médicale tunisienne, j’étais allé en Irak en tant que médecin, avec le croissant rouge pour soutenir le peuple irakien, mais je condamnais sans réserve le régime et les choix de Saddam Hussein. C’est à cette occasion que j’ai pu découvrir son cercle d’amis les plus proches, en grande partie composé de compagnons de longue date, depuis l’école primaire et le lycée à Sfax. Sfax ville qu’il chérissait plus que tout. Il était Sfaxien et fier de l’être.

Progressivement j’ai découvert ce qui était important pour Si Mohamed au-delà de la médecine, sa mère, il ne pouvait pas en parler sans un tendre sourire dans les yeux. Sa famille et ici me revient un souvenir intime que je me permets de relater, il me disait que Neil son petit dernier était la plus belle surprise que la vie lui avait faite.

Son caniche qu’il trouvait plus intelligent que certains…Son amour pour l’agriculture. Sa splendide retraite à Sidi Mahrsi, faite avec tellement de goût…
Il est difficile de cerner une personnalité aussi complexe que celle du Professeur Mohamed Fourati en quelques mots, surtout avec le parcours professionnel qu’il a eu. Très jeune il avait déjà gravi presque tous les échelons que la vie professionnelle offre. Son empreinte a marqué de façon indélébile la médecine tunisienne. Personnellement connaitre Si Mohamed a été une chance qui a impacté toute ma vie professionnelle.

Mohamed Salah Ben Ammar

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