News - 04.02.2022

Tunisie: paysages en danger

Tunisie: paysages  en  danger

Par Abdellatif Mrabet - Nos villes et leurs territoires ont ces derniers temps beaucoup perdu en qualité paysagère. En ce domaine, la grâce  du 14 nivôse de l’an I de la révolution– à moins que ce ne soit celle du 17 du mois de Frimaire  de l’année d’avant- n’a pas fait de miracle. Loin s’en faut ! Sur bien des points, c’est comme si nous marchions à reculons. Parmi nos reculs, criards, ces dix dernières années, beaucoup ont trait à  la protection de l’environnement – naturel et culturel -,  question que nous évoquons ici  de façon indicative en traitant de trois maux dont les méfaits affectent nos cadres et qualité de vie et nuisent considérablement à nos territoires et à leurs patrimoines.

1. Les déchets et leur gestion

Tout le monde a eu connaissance de la crise qu’ont connue – et que connaissent encore- l’île de Jerba et la grande ville de Sfax. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que le phénomène menace aujourd’hui d’autres villes qui, infestées à leur tour de champs spontanés d’ordures et d’immondices, risquent de connaître le même sort. En effet, ces dernières années, le pays a vu fleurir les décharges sauvages et frauduleuses qu’on rencontre un peu partout, y compris, là où on s’y attend le moins, en ville mais aussi près  des autoroutes, le long des voies, en bordure de nos oueds et de nos lagunes et jusqu’à dans nos oliveraies et nos oasis. On y trouve, en grandes quantités, des déchets de textures diverses, ménagers et industriels,  disposés en tas plus ou moins réguliers  formant des dômes et des trainées épars qui, désormais familiers, balisent la plupart de nos parcours, y compris ceux qu’auparavant, nous empruntions en quête de détente et de loisir! Des fois, nous en trouvons même sur les sites archéologiques. A Sousse, entre autres exemples de vestiges ensevelis ces derniers temps sous les gravats et les déchets de construction, il y a lieu de signaler le complexe hydraulique d’époque romaine de l’oued el Kharroub dont on ne voit plus rien -ou presque- de ses regards et de sa galerie drainante qui, auparavant, couraient sur plusieurs dizaines de mètres ! Certes, bien de ces menaces datent d’avant la révolution mais, à l’époque, l’Etat veillant au grain, on s’en tenait aux décharges autorisées et les incartades bien que passagères étaient vite réprimées. D’ailleurs de ces temps, sont encore témoins quelques terrils qui bien que peu avenants, couverts d’un boisement chétif et rabougri, n’en trahissent pas moins un souci de traitement et un indice de gestion de loin meilleure qu’à l’actuel. Aujourd’hui, rien de tel. On laisse faire. Bien de nos beaux paysages sont ainsi pervertis, défigurés, sans que personne ne s’en émeuve ! Pourtant, il ne manque pas d’institutions responsables, collectivités locales, structure ad hoc – agence nationale de gestion des déchets- et ministères, celui de l’environnement en tête. Ces derniers temps, on a même créé une police de l’environnement qu’on a équipée de beaux camions - pick-up- verts.  Cependant, en l’an XII de la révolution, le flux des décharges ne semble pas vouloir baisser et nos concitoyens, par milliers, se sont convertis en « berbecha »! Nos déchets ne suffisant pas, voici qu’on vient de découvrir que notre pays en accueille d’autres qui nous viennent d’outre-mer, importés dit-on pour être traités et recyclés chez nous !

2. Les constructions anarchiques et illégales

Autre élément perturbateur des paysages est la construction anarchique. Il faut dire-là aussi- que le phénomène est ancien et qu’il a ces derniers temps gagné en ampleur. Il suffit d’observer le pourtour de nos villes pour constater qu’elles sont souvent ceinturées de quartiers spontanés construits de façon anarchique, en dehors de toute règle d’aménagement. L’Etat avait certes combattu ce phénomène en menant diverses actions de « dégourbification », de réhabilitation, de recasement et  même quelquefois de démolition. Cependant, le plus  souvent mis devant le fait accompli, cédant au social, il finit par laisser faire. Aujourd’hui que d’installations et de constructions contre nature  poussant les unes en plein lit d’oued, les autres  au détriment  de terrains agricoles. Parfois, ce sont les sites culturels qui en sont victimes. Les exemples à cet égard sont nombreux et le plus désolant étant celui de Gabès, avec une urbanisation informelle et illégale qui a déjà emporté plusieurs dizaines d’hectares de l’unique oasis littorale de la Méditerranée!

Les dégâts sont aussi esthétiques, dans la mesure où conçus hors des circuits officiels de la construction, nombreux bâtiments n’obéissent qu’à la fantaisie de leurs concepteurs, tournant le dos au PAU et ne reconnaissant aucune zone de protection, fusse-t-elle, à Carthage même ! De ce fait, en dehors des villes historiques – encore que là aussi les dépassements ne manquent pas - nos villes offrent des paysages urbains des plus hétéroclites, cela parfois avec, côte à côte, des styles des plus saugrenus et des plus dissonants !

3. Le plastique

Un autre fléau, bien insidieux, est celui des sacs en plastique que l’on voit parfois virevolter au moindre coup de vent et dont l’utilisation persiste malgré les multiples mesures d’interdiction, notamment ce fameux décret n° 2020-32 du 16 janvier 2020 diligenté par le ministre des affaires locales et de l’environnement et contresigné par ses pairs chargés de la santé, du commerce, de l’industrie et des petites et moyennes entreprises. Rien à faire, ces sachets de toutes les couleurs continuent à enguirlander sauvagement nos arbres, accrochés à nos oliviers, à nos grenadiers  et même à nos palmiers. On les rencontre partout, y compris sur la plage. Ils gâchent ainsi bien de nos paysages. Cependant, telle n’est pas leur seule atteinte à notre patrimoine et à notre qualité de vie, sachant que l’usage systématique et abusif de ces sachets est aussi un frein mis à la production artisanale de contenants à base d’alpha et de folioles de palmier, nos couffins traditionnels qui respectent tant l’environnement et dont nous devons relancer la production.

Ces trois maux sont-ils si difficiles à juguler pour que nous continuions ainsi à les subir ?

Abdellatif Mrabet