News - 21.12.2021

Ezzeddine Larbi, l’économiste hors pair

Ezzeddine Larbi: L’économiste

Par Nadia Gamha - On dit que certaines personnes ne croisent pas notre chemin par hasard. Professeur Ezzeddine Larbi est l’une de ces personnes qui se sont trouvées sur mon chemin et qui ont impacté ma destinée. Il fut mon professeur à l’IHEC dans les années 80. Son cours sur les relations économiques internationales était pour moi un vrai régal. J’avais de l’admiration pour ce professeur diplômé des grandes universités américaines qui nous faisait voyager au-delà de nos frontières et qui aimait nous parler des USA, de l’économie américaine et… de Harvard. Je me souviens que ses propos étaient parsemés de mots  anglais,  ce qui conférait à son discours un caractère à la fois  original et savant.

C'est grâce à lui que j’ai appris la signification du LIBOR, le calcul d’un cours de change croisé, l’appréciation du degré d’ouverture d’une économie et surtout l’utilité d’une balance des paiements. Je ne pouvais pas savoir à quel point son cours sur la balance des paiements allait m’être utile plus tard! 

J’ai eu le privilège de terminer mes études à l’IHEC lauréate de mon école, ce qui m’a valu de recevoir le prix présidentiel de l’IHEC et une bourse d’Etat pour poursuivre mes études à l’étranger. Je voulais aller à Paris, préparer un DEA et un doctorat et poursuivre une carrière universitaire. Néanmoins, n’ayant pas fait d’inscription préalable, je ne pouvais entamer mes études en France cette année-là. J’ai dû demander le report de ma bourse d’une année.

Entretemps, mon père, pour qui les études et le savoir relèvent du sacré, semblait approuver mon projet d’études en France. En réalité, il ne voyait pas d’un bon œil que sa fille unique aille poursuivre ses études à l’étranger pour une si longue période. Discrètement, il s’activait à se renseigner auprès de ses amis et de ses connaissances sur les opportunités d’études qui pourraient s’offrir à moi à Tunis.

L’un de ses amis, banquier, lui souffla le nom de l’IFID tout en lui vantant le sérieux de l’établissement et les opportunités de carrière qu’offre le diplôme. Il l’informa par ailleurs que les inscriptions au concours d’admission de la cinquième promotion étaient ouvertes depuis quelques jours.

Mon père est venu m’en parler en me disant que de toutes les façons, je n’avais rien à perdre à passer le concours et que j’avais largement le temps par la suite de choisir ce qui me conviendrait le mieux.

Quand il me demanda de lui préparer un dossier qu’il irait soumettre lui-même à l’IFID, je m’exécutai uniquement pour faire plaisir à mon père à qui je voue une admiration et une considération sans fin.

Quand le lendemain il se présenta avec fierté et détermination au siège de l’IFID, avec mon dossier sous le bras, quelle ne fut sa surprise quand on lui signifia que le dépôt de dossiers pour le concours a été clôturé la veille.

Tenace et combatif, il demanda à voir le directeur de l’IFID. Le hasard a voulu que Si Ezzeddine, alors directeur des études à l’IFID, se trouvât dans les parages et entendît la discussion. Il intervint pour s’enquérir de plus près de la requête de mon père et après avoir écouté son récit, il répliqua d’un ton Jovial « comment refuser à une lauréate de passer le concours de l’IFID!»

Cette phrase magique de Si Ezzeddine allait changer mes plans, orienter ma carrière et sceller mon destin.

En effet, Je fus admise au concours de l’IFID et je fus parrainée par la Banque centrale de Tunisie. J’ai adoré mes études à l’IFID où les cours étaient dispensés par les meilleurs académiciens- dont Si Ezzeddine - et les professionnels les plus compétents.

Je pus également apprécier l’ambiance qui y régnait et le mix culturel si enrichissant, en côtoyant des étudiants formidables venant des différents pays du Maghreb. Et je renonçai définitivement à mon projet parisien  au grand bonheur de mon père!

Le hasard a voulu aussi que   mon premier stage à la BCT se fasse à la Direction générale des études. C’était l’été 1986 et la Tunisie était en pleine crise de balance des paiements !

Mon mémoire de stage a porté sur la méthodologie d’établissement de la balance des paiements par la BCT comparée aux standards du FMI. Ce travail, conduit sous l’œil   bienveillant de Si Ezzeddine mon encadreur à l’IFID, fut consacré meilleur mémoire de stage et a pendant longtemps servi de guide méthodologique pour les nouvelles recrues de la direction générale des études à la BCT. Il m’a valu également quelques années plus tard d’être présélectionnée par le FMI parmi 20 candidats tunisiens au concours de recrutement de jeunes économistes, projet qui n’a pas abouti pour des considérations personnelles. Mon cursus à l’IFID fut couronné par le prix de major de promotion et Si Ezzeddine en était fier !

Néanmoins, le parcours international et donc forcément itinérant de Si Ezzeddine, d’une part, et mon départ du département des études à la BCT pour embrasser une carrière de superviseur bancaire, d’autre part, ont fait que nos chemins ne se sont plus croisés.

Jusqu’au jour où, travaillant sur un projet pour le compte de la BAD, il est venu rendre une visite de travail à Si Marouane El Abassi, gouverneur de la BCT.  C’était le 14 novembre 2018. Je venais d’être désignée vice-gouverneure depuis quelques semaines et j’étais présente à la réunion.  Je n’ai pas eu l’impression de l’avoir perdu de vue pendant si longtemps. J’étais à la fois contente et émue de retrouver mon professeur. Il semblait ravi de revoir son étudiante et n’a pas hésité à m’exprimer, avec sa jovialité habituelle,  sa fierté de me voir parmi les dirigeants de la Banque centrale. 

Ce fut notre dernière rencontre !

Il y a quelques jours, je rendais visite à mon père qui, à 90 ans, garde encore une mémoire vive et un esprit percutant, et je lui appris la disparition de Si Ezzeddine.

«C’est le monsieur de l’IFID n’est-ce pas, s’exclama-t-il d’une voix émue. Grâce à lui, tu es restée dans ton pays, Allah Yarhmou » !

Allah yarhmek cher professeur !

Nadia Gamha
Vice-gouverneure
de la Banque centrale de Tunisie