News - 16.12.2021

Tunisie : Les oublis du Président Kaïs Saïed

Tunisie : Les oublis du Président Kaïs  Saïed

Par Slaheddine Dchicha – Le Président Kaïs Saïed a préféré anticiper et parler à la nation le  13  décembre au lieu du 17 comme prévu initialement. Ce faisant, il a pris de court tous ceux qui étaient dans l’attente, réservant ainsi le 17 décembre à la commémoration de la révolution et  éventuellement à la communion avec la foule.

Le discours comme prévu a suscité différentes réactions: les opposants y ont vu  une officialisation  de la dissolution de l’Assemblée des Représentants du Peuple et le début d’une véritable  dictature  et certains, notamment à l’étranger, y ont reconnu des envolées d’inspiration kadhafiste. En tout  cas, les puissances occidentales, le G7, tout en réitérant leur appel à un retour à la «transition démocratique», ont perçu un bon début sur ce chemin grâce au calendrier proposé qui s’articule  autour de trois dates:

•  Du 1 janvier au 20 mars 2022: il sera procédé à une consultation populaire sur les réformes à  entreprendre à travers des débats locaux directs et surtout à distance au moyen d’une  plateforme électronique.

• Le  25 juillet 2022: les  réformes  ainsi  recueillies  et  retenues seront soumises au vote par  voie  de référendum

• Le  17 décembre 2022: organisation d’élections législatives.

Pendant cet intervalle de temps la lutte contre la corruption est censé continuer et s’accentuer.

Cet agenda qui s’étend sur une année laisse du répit au Président et semble rassurer les Occidentaux  et  en premier lieu les Etats-Unis d’Amérique par la voix du porte-parole de leur Département d'État  Ned Price, mais il risque d’épuiser la patience des premiers intéressés, les oubliés du Président.

Tout le monde le sait, Kaïs  Saïed demeure très populaire mais on dirait qu’il a oublié sa base qui  est  composée, faut-il le rappeler, de 90% des électeurs de 18 à 25 ans, qui  espéraient  par son  élection  faciliter  leur  intégration sociale et leur insertion dans le marché de travail. Or ces  jeunes  en  proie au chômage et au  désespoir projettent, du moins un sur cinq parmi eux, selon la plus récente des enquêtes (8 décembre), de quitter le pays par tout moyen et aller grossir au pire le nombre des  perdus en mer et au mieux les rangs des clandestins et donc des corvéables à merci en Europe.

Tout le monde sait aussi que Kaïs Saïed a promis de combattre et de réduire les inégalités sociales  et régionales attirant ainsi un électorat pauvre et marginalisé qui espérait le voir faire baisser le  prix du pain, de la viande, des  légumes, des fruits et ainsi mieux vivre ou du moins survivre… Or  les inégalités se sont aggravées et les populations laissées pour compte ont vu leurs conditions de vie se dégrader encore  plus. Ainsi, les  préoccupations immédiates de ces populations - qui le plus souvent ne disposent ni d’eau courante, ni d’électricité - ne  sont  ni la  constitution,  ni  la  loi  électorale, ni les élections mais manger à leur faim, survivre…En effet, selon la Banque mondiale, 1,7 million de Tunisiens vivent en dessous du seuil de pauvreté avec 7 dinars par jour, dont une partie (500000) dans l’extrême  pauvreté avec  seulement 4 dinars par  jour.

Ces jeunes, ces miséreux auxquels on peut ajouter la portion appauvrie des classes moyennes ne semblent pas prêts à attendre encore… ils ne semblent pas enclins à participer au jeu politique voire politicien proposé: les uns parce qu’ils n’ont pas compris l’arabe littéraire et châtié de KS, les autres parce qu’ils ne disposent pas d’ordinateurs ou parce qu’ils sont victimes de la fracture numérique… et la majorité par désespoir.

Et Kaïs Saïed de risquer de se retrouver seul. Seul face à ses opposants. Seul face au Peuple qu’il  chérit  tant. Seul dans un pays qui hésite entre le Titanic et le Radeau de la Méduse.

Slaheddine Dchicha