News - 14.10.2021

La RSE à l’ère de la Covid-19: un levier de compétitivité, de résilience et de performance (Album photos)

La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) à l’ère de la Covid-19: un levier de compétitivité, de résilience et de performance

Dans chque crise, il y a risque, mais aussi, opportunité. Et si la pandémie sanitaire a confirmé la Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE) dans son rôle levier? Le Laboratoire Thema, de l'Ecole Supéerieure du Commerce de Tunis (Université de la Manouba) a mis en débat diverses approches, y associant des chercheurs universitaires tunisiens, algériens et marocains.Par Dr. Fatma Braham - A la faveur d'un workshop organisé à la Cité des Sciences de Tunis, la thématique a été abordée en deux volets. Le premier a porté sur les approches théoriques de la RSE et du Développement Durable dans le cadre de la COVID-19 validées par des études de cas et analyse de benchmarking. Le deuxième a fourni des témoignages professionnels sur le couplage RSE /DD. Nous avons cherché à confronter les réflexions théoriques de différentes disciplines académiques économiques, financières, managériales et juridiques aux expériences et études de cas présentés par des professionnels et experts en RSE. Les intervenants professionnels représentent essentiellement des institutions financières bancaires et d’intermédiation boursière qui ont présenté leurs témoignages entermes de stratégie, actions, enjeux et contraintes pour une bonne démarche RSE/DD. Les études de cas concernent des expériences RSE en Tunisie, en Algérie et au Maroc. S’ouvrir sur le monde professionnel et avoir une dimension maghrébine est notre vison stratégique du laboratoire. (Lire la méthodologie, le programme et la liste des intervenants)

Cadre et portée du workshop

La crise sanitaire de la Covid 19 à l’exception de tout autre type de crise économique ou financière, nationale ou mondiale, a révélé avec acuité l’importance de la responsabilité sociétale des entreprises. Ces dernières se trouvent ainsi contraintes à réviser leurs priorités, leurs principes et leurs modèles de croissance et incitées à redéfinir leur raison d’être qu’elle soit économique, sociale ou environnementale et la recherche d’un équilibre optimal. Face à un arbitrage stratégique pour les entreprises entre se lancer dans une démarche de responsabilité sociétale ou non et afin de mieux orienter en particulier les acteurs non étatiques de la RSE, il devient impératif que les laboratoires de recherche scientifique s’y impliquent. Dans cette perspective, le laboratoire THéMA a organisé le workshop affin d’éclairer l’entreprise sur  le concept RSE, la mise en œuvre de la démarche, ainsi que les impacts et les acquis en termes de compétitivité, de résilience et de performance. La méthodologie du workshop a porté sur l’examen du couplage RSE/ (Développement Durable) DD selon une approche ascendante (bottom-up) et à travers deux panels de réflexion portant successivement sur des approches théorique et des témoignages professionnels.

Outputs du workshop

La RSE: un nouveau paradigme

La RSE est un concept selon lequel les entreprises associent à leur préoccupation économique, une préoccupation sociale et une autre environnementale ainsi que dans leurs interactions avec leurs parties prenantes particulièrement la société civile et sur une base principalement volontaire. Le concept RSE est ainsi une déclinaison du concept de DD, avec lequel il partage la finalité fondée sur la trilogie des piliers. La RSE sera scellée au DD par la déclaration du millénaire de 2015, à travers l’objectif 12-12.6 des ODD, ainsi libellé : « la consommation et productions responsables : La RSE ». Le lien entre cet objectif macroéconomique et la satisfaction des parties prenantes de l’entreprise est toutefois assez complexe. En effet, dès lors que les deux concepts n’indiquent pas comment les dimensions « sociale, économique et environnementale » doivent être mises en balance, l’autorité compétente -l’Etat (DD) ou l’entreprise (RSE)- dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu. Dès lors assurer le juste équilibre entre les trois piliers devient problématique et finit par la prévalence de l’économique. Pour mieux cerner l’importance du concept RSE et son potentiel pour les entreprises tunisiennes, sa définition théorique et pratique est mise en exergue notamment dans le cadre de la Covid-19 (confinement / déconfinement, règles et protocoles sanitaires, etc.) d’où la nécessité d’une nouvelle définition et d’un nouveau paradigme.

L’encadrement normatif de la RSE en Tunisie

Cet encadrement est dual. Il y a le régime spécifique à base volontaire consacré par le pacte mondial des NU de 2000 et assorti d’une normalisation 1SO 26000  qui s’ajoute au régime normatif de droit commun tel que le droit social, le droit commercial, le droit de l’environnement qui prévoient des règles contraignantes répondant aux objectifs de la RSE. La Tunisie s’est enfin récemment  dotée d’une loi n°2018-35 du 11 juin 2018 sur la RSE qui prévoit  une sorte de régime mixte entre le contraignant et le volontaire. L’expérience tunisienne a dévoilé que si la volonté existe de favoriser la RSE comme le DD la pratique est bien en deçà.

L’étude de la RSE en Tunisie invite le chercheur à s’interroger sur les modalités possibles d’intégration de ce concept dans l’arsenal juridique existant, à travers un recensement des dispositions existantes, tant sur le plan de la réglementation environnementale et sociale globale, que sur celui de la « bonne gouvernance » qui constitue un nouveau défi de notre société en transition. A cet effet, il convient de rappeler que la RSE implique a priori et avant tout le respect de la législation du travail (Code du travail) et de la législation environnementale, complété par un comportement à la fois transparent et éthique des entreprises  contribuant au développement durable, respectant les lois en vigueur et cohérent avec les normes internationales de comportement (codes éthiques, codes de bonne conduite, bonne gouvernance, etc.).

Acteurs de la RSE

Les travaux discutés placent le secteur privé au cœur de toute démarche RSE ou, compte tenu de son rôle essentiel, étant donné qu’il représente à la fois le protagoniste le plus important qui doit opérationnaliser la RSE dans son entreprise et le bénéficiaire des impacts de la RSE notamment au niveau de l’amélioration de ses performances.   

Il convient de souligner que les acteurs qui constituent un écosystème de la RSE montrent une prévalence absolue des acteurs non étatiques : le secteur privé (entreprises, banques privées et intermédiations boursières, associations et société civile et organisations de la coopération internationale). L’intégration des institutions gouvernementales (ministères, institutions financières publiques, centres d’appui, milieu universitaires et collectivités locale) dans la démarche RSE reste timide.

Conclusions et recommandations

• Une réticence des entreprises à s’engager pour la mise en œuvre de la RSE en Tunisie

Les entreprises qui ont adhéré au pacte mondial l’ont fait d’une manière volontaire cependant, la plupart se sont désistées et ont été radiées du réseau du pacte pour n’avoir pas communiqué sur les progrès réalisés. En outre, l’entreprise est soumise à une plus forte pression à la fois des salariés et de la population locale pour l’inciter à prendre en considération leurs préoccupations. Nous notons l’absence de statistiques et enquêtes officielles relatives à leurs cas.

Une démarche non achevée

Une stratégie commune n’a pas été envisagée, une mise en œuvre harmonisée n’a pas été mise en valeur.  Il reste à souligner la volonté et l’intérêt du gouvernement, de la classe politique et de la société civile d’appliquer les valeurs et les principes de la RSE. Nous notons une forte centralisation des procédures et nous présentons une réserve quant à l’application de la loi 2018. Cette loi encadre la RSE en prévoyant « la création des commissions régionales comme comité d’orientation et de gestion de projets RSE » et d’un « observatoire national RSE au sein du gouvernement pour le suivi et la coordination des activités RSE dans le pays ». Ce qui annonce que nous sommes en présence d’un régime à mi-chemin entre la base volontaire et une forme de surveillance d’un « Big Brother » avec les incitations ciblées.   

Une perception partielle de la RSE

La perception de la RSE par l’entreprise (tunisienne et algérienne selon les cas discutés) est plutôt partielle et différenciée et répond davantage à des préoccupations immédiates résultant d’une contrainte extérieure où d’un avantage attendu que d’une vision à long terme. Procéder à une intégration totale pour le cas de l’Office Chérifien des Phosphates (OCP) au Maroc par exemple n’est pas achevée ou du moins traduit une décision hésitante bien qu’il s’agisse d’une entreprise publique d’envergure internationale (SA à capital public). Son adhésion au statut RSE, à la normalisation ISO 26000 et à l’acquisition de la certification n’ont pas été jusque-là concrétisées voire officiellement entamés.

Une communication limitée sur la RSE

La communication considérée comme essentielle pour la promotion de la RSE n’est que trop limitée aux activités épisodiques qui sont organisées par l’un ou l’autre des acteurs. En outre, la communication est fragmentée en fonction de l’importance que les acteurs accordent à tel ou tel aspect de la RSE, et orientée vers des cibles limitées. Nous  rappelons que la communication est capitale et exigée par la norme ISO 26000 mais malheureusement la plupart des entreprises maghrébines n’allouent pas les fonds nécessaires en matière de communication et marketing. 

Pour une RSE (de l’Etat)

Un des objectifs majeurs de la révolution tunisienne est la dignité. Son accomplissement sur le plan socio économique a été mentionné dans l’article 12 de la Constitution qui dispose : « L’État agit en vue d’assurer la justice sociale, le développement durable et l’équilibre entre les régions, en tenant compte des indicateurs de développement et du principe de l’inégalité compensatrice. Il assure également l’exploitation rationnelle des ressources nationales ». Cet article est resté jusque là sans effet significatif comme l’attestent tous les indicateurs. L’Etat est exsangue et n’arrive plus à jouer son rôle ni à se décider sur une feuille de route et une stratégie claire. Sa volonté de se délester et encourager l’économie sociale et solidaire et l’économie circulaire est davantage dans les discours et dans des textes sans application réelle. L’écart est très élevé entre le grand capital et les autres forces de production et du travail. C’est pourquoi notre pays a besoin d’une reconfiguration de la responsabilité sociétale de l’Etat autant que celle de l’entreprise pour ne pas dire plus.

Finalement, le régime à base volontaire de la RSE en Tunisie comme aux autres pays du Maghreb est encore peu convaincant et peu attirant, surtout dans cette période de crise sanitaire, bien qu’il soit incontournable. Même si les effets dans les pays développés sont considérés positifs à titre individuel (microéconomique) et collectif (macroéconomique), nos entreprises sont peu incitées à s’intégrer dans cette démarche et plusieurs efforts devraient être fournis pour les convaincre quand aux incidences de cette stratégie sur leurs compétitivités, résiliences et performances.

Notre workshop qui a été aussi une FAQ a apporté des éclairages aux interrogations liées à sa problématique. Toutefois la contrainte la plus forte est la pénurie d’informations statistiques actualisées sur l’état des entreprises engagées dans la RSE. Ceci nous a empêchés d’affiner nos résultats et même de les généraliser. Le travail académique et professionnel en matière de la RSE devrait continuer en collaboration avec tous les acteurs. Nous ne sommes qu’au début…

 

Dr. Fatma Braham
Enseignante chercheure en économie
Laboratoire THéMA - Ecole Supérieure de Commerce Tunis-
Université de la Manouba