News - 31.07.2021

Tunisie: Péril imminent. Oui, péril vraiment imminent !

Péril imminent. Oui, péril vraiment imminent !

Par Mohamed Larbi Bouguerra - Les experts en droit constitutionnel ont beau s’égosiller sur l’article 80 et faire, avec suffisance, des déclarations savantes, le plus important est pourtant ailleurs, loin des envolées des juristes et des rhéteurs. « N’ayant pas la force d’agir, ils dissertent » disait avec justesse Jean Jaurès.

Du nord au sud et de l’est à l’ouest, les ordures jonchent le pays dans une indifférence quasi générale, quasi pathologique. A cet égard, il nous faut revoir le fonctionnement et le rendement de la police de l’environnement lancée en juin 2017 avec tambour et trompettes mais dont le rendement est problématique au regard des 3,2 millions de dinars investis dans sa création. Depuis la Révolution, on a essayé vainement d’interdire les sacs (noirs et les autres) en plastique. On se souvient des sorties de M. Youssèf Chahed à ce sujet. Il n’en demeure pas moins que la Tunisie est actuellement le quatrième utilisateur de plastique au monde. Les sacs en plastique à usage unique, interdits en vertu du décret n°32 du 16 janvier 2020, sont toujours commercialisés et contribuent largement au désordre écologique de notre pays qu’ils défigurent et empoisonnent car aucune politique d’enfouissement, de recyclage ou de ramassage n’est mise en place. Puisse le Président mettre fin aux menées des lobbys du plastique et redonner vie à nos métiers traditionnelles ! Mettre fin à la corruption est bien mais une politique environnementale qui tienne la route serait un atout majeur. A l’étranger, on parle d’une « politique environnementale en dents de scie » en Tunisie.

La pénurie d’eau et le stress hydrique crucifient la population dans beaucoup de régions et frappent de nombreux secteurs suite à des sécheresses récurrentes qui ont eu raison de l’approvisionnement de nos barrages. Il est de notoriété publique que notre pays est en première ligne pour le réchauffement climatique. C’est même le pays méditerranéen le plus touché par les phénomènes climatiques. Les températures caniculaires ne cessent de grimper et les incendies ravagent nos forêts. On sait que le sud du pays est particulièrement affecté par ces chaleurs et par la sécheresse. De plus, les sols tunisiens souffrent de ce fait et les agriculteurs utilisent de plus en plus des pesticides douteux - comme à Monastir chez les producteurs de piment - et des engrais dans l’espoir d’assurer un rendement correct. Mais ces intrants chimiques coûteux menacent la nappe phréatique et ont des répercussions sur les prix des fruits et légumes pour le consommateur.

Comment oublier dans cet inventaire l’élévation du niveau de la mer et l’érosion de nos côtes ? Comment oublier ces pollutions industrielles qui défigurent le pays de Bizerte à Sfax et de Gafsa à Gabès ? Pour ne rien dire de la nouvelle vague de Covid-19 et de ses plus de 18000 cortèges funèbres qui nous brisent le cœur.

Depuis le 25 juillet, le Président de la République s’attache à dépoussiérer certains dossiers. Il faut espérer qu’il tienne compte rapidement de ceux intéressant l’environnement des Tunisiens. Il faut espérer que le locataire de Carthage résoudra l’humiliante affaire des déchets italiens débarqués sur les quais du port de Sousse et traduira en justice les responsables.

A l’heure où le pays essaie de s’attaquer aux vrais problèmes, il est essentiel que la question environnementale soit affichée en tête des préoccupations du Président. 

Il n’est plus question de dire qu’il faut s’inquiéter des questions environnementales pour le bénéfice de nos enfants et de nos petits-enfants, les inondations en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Italie (lac de Côme)… par exemple, prouvent que le changement climatique est bien là. Aujourd’hui, il est avec nous et bouleverse nos vies. Ce n’est plus une prévision et un avertissement sans frais des climatologues. En Europe comme en Amérique du Nord, ses dégâts n’en sont que trop visibles. Après les tempêtes de neige apocalyptiques de cet hiver, les Etats Unis, le Canada, l’Inde et le Moyen-Orient subissent des températures caniculaires exceptionnelles et des incendies dévastateurs.

Des signaux qui ne trompent guère

Pour étayer ces faits, une nouvelle étude des signaux vitaux de la planète montre que de nombreux indicateurs-clés de la crise climatique mondiale empirent, voire approchent - et même dépassent - le point de non-retour alors que la terre subit des températures caniculaires.

Au total, ce travail révèle que 16 des 31 signaux vitaux de la planète étudiés accusent de nouveaux records bien inquiétants. C’est le cas pour les gaz à effet de serre (GES), la température de l’océan et la masse des glaces. (Lire Katharine Gammon, The Guardian, 28 juillet 2021).

Un des auteurs de l’étude, William Ripple, écologiste à l’Université de l’Oregon aux E.U., a déclaré : « Il existe de plus en plus de preuves que nous nous rapprochons des points de basculement associés à des secteurs importants du système terre ou que nous les avons déjà dépassés". Ceci est surtout dû au maintien du statu quo : "l'un des principaux enseignements du Covid-19 est que même une réduction colossale des transports et de la consommation est loin d'être suffisante et que, au contraire, des changements et des transformations radicaux du système sont nécessaires". Si la pandémie a entraîné l'arrêt des économies et modifié la façon dont on envisage le travail, l'école et les voyages, elle n'a guère contribué à réduire les émissions globales de gaz carbonique. L'utilisation des combustibles fossiles a légèrement baissé en 2020, mais les auteurs d'un rapport publié dans la revue BioScience affirment que le dioxyde de carbone, le méthane et l'oxyde nitreux "ont tous établi de nouveaux records depuis le début de l'année pour les concentrations atmosphériques en 2020 et 2021". En avril 2021, la concentration de CO2 a atteint 416 parties par million, soit la concentration moyenne mensuelle mondiale la plus élevée jamais enregistrée. Les cinq années les plus chaudes jamais enregistrées ont toutes eu lieu depuis 2015, et 2020 a é té la deuxième année la plus chaude de l'histoire.

L'étude a également révélé que les ruminants, source importante de gaz méthane (GES), sont désormais plus de 4 milliards, et leur masse totale est supérieure à celle de tous les humains et animaux sauvages réunis. La consommation de viande des riches a ainsi des retombées sur tout le système terre et ses habitants. Les pays du Sud payent la facture, eux qui consomment si peu de protéines dans un monde injuste. L'acidification des océans est proche d'un record historique, et lorsqu'elle est combinée à des températures océaniques plus élevées, elle menace les récifs coralliens dont plus d'un demi-milliard de personnes dépendent pour leur alimentation, les dollars du tourisme et la protection contre les tempêtes.

Afin de changer le cours de l'urgence climatique, les auteurs écrivent que des changements profonds doivent se produire. Ils affirment que le monde doit développer un prix mondial du carbone lié à un fonds socialement juste pour financer les politiques d'atténuation et d'adaptation au climat dans les pays en développement. Les auteurs soulignent également la nécessité d'une élimination progressive et d'une interdiction éventuelle des combustibles fossiles, ainsi que le développement de réserves climatiques stratégiques mondiales pour protéger et restaurer les puits de carbone naturels (forêts) et la biodiversité. Ils soulignent que l'éducation au climat devrait également faire partie des programmes scolaires dans le monde entier. "Les politiques visant à atténuer la crise climatique ou toute autre menace de transgression des limites planétaires ne devraient pas être axées sur le soulagement des symptômes, mais sur le traitement de leur cause profonde : la surexploitation de la Terre", indique le rapport. Ce n'est qu'en s'attaquant à cette question centrale, écrivent les auteurs, que les gens pourront "assurer la durabilité à long terme de la civilisation humaine et donner aux générations futures la possibilité de s'épanouir". Cette surexploitation de la terre ne vient pas des damnés de la terre mais elle vient, entre autres, de ceux qui transportent par avion des étalons et des chevaux de courses pour les concours hippiques outre Atlantique.

La Chine, les Etats Unis et les autres pays industrialisés sont les grands responsables des phénomènes climatiques exceptionnels qui deviennent récurrents. Les pays du Sud subissent de plein fouet des désordres climatiques meurtriers. Des mécanismes efficaces dédiés doivent être trouvés pour atténuer ces changements climatiques dans les pays du Sud et qui, poussant à l’exode, sont gros de troubles et de violences.

M. Le Président, autant que la sécurité et la santé sont importantes, autant l’environnement aussi est une problématique majeure aujourd’hui. Mais vous le savez, le capitalisme, dit-on, ignore le temps long et donc l’exigence écologique. Il ne faut pas que, après le 25 juillet, notre pays tombe dans ce piège qui est…. « un péril imminent ».

Mohamed Larbi Bouguerra