News - 02.06.2021

La démocratie représentative n’est pas un vrai système démocratique

La démocratie représentative n’est pas un vrai système démocratique

Par Youcef Ennebli - Pratiquement tous les pays, qui ont la tradition et la culture démocratique, adoptent aujourd’hui la démocratie représentative (DR) même s’ils font recours à certains outils de la démocratie participative (DP), voire à quelques outils frôlant la démocratie directe (DD). C’est seulement la Suisse qui constitue l’exception: elle adopte clairement un autre type de système démocratique à savoir la démocratie semi-directe (DSD).

La DR comporte trois types de régimes politiques: le régime parlementaire, le régime présidentiel et le régime hybride. Dans notre quête de savoir quel est le type de régime qui peut convenir le plus à la Tunisie,  nous avons découvert, et contrairement aux idées reçues, que ces trois régimes de la DR ne sont pas véritablement des systèmes démocratiques. Les preuves attestant nos dires avancés ne manquent pas. La première, et non la moindre, réside dans la définition de la DR qui  est opposée à la définition de la démocratie. La deuxième réside dans un élément endogène de la DR, celui du mandat représentatif, qui ouvre la voie aux représentants de la nation à l’abus de pouvoir. La conséquence inévitable de ces deux éléments endogènes (définition et mandat représentatif) de ce type de démocratie est la grande crise politique que connaît aujourd’hui une grande part des pays dits démocratiques. Cette crise est un signe exogène traduisant la défectuosité de la DR.

Par définition de la démocratie représentative, la souveraineté n’appartient pas au peuple

La simple confrontation entre ce qu’est la démocratie avec le définissant de la DR montre que celle-ci n’est pas un véritable système démocratique. On s’accorde aujourd’hui à ce que la démocratie est un système politique «dans lequel la souveraineté est attribuée aux citoyens» (Wikipédia –W. -, Démocratie, 18 décembre 2020). Faut-il rappeler que Périclès définit la démocratie en tant que «le gouvernement du peuple et pour le peuple » où le citoyen, à travers l’assemblée des citoyens, «délibère et décide des affaires de la cité» (Le Rober Illustré, Mot d’entrée : Démocratie, 2013, p. 521). Or, dans la DR, et par définition même, la souveraineté est détenue par l’assemblée des représentants de la nation qui sont élus par les citoyens pour un mandat représentatif à durée limitée mais non révocable. Donc, la souveraineté appartient et détenue par l’assemblée des représentants de la nation et non par le peuple.

D’ailleurs, les fondateurs de la DR (tels que John Adams et James Madison aux États-Unis, Emmanuel-Joseph Sieyès et Montesquieu en France) la  concevaient  «comme une alternative à la démocratie plutôt que comme son équivalent» (F. Dupuis-Déri, 1999 ; cité par W., Démocratie, 30 mars 2021). Ils expriment clairement leurs critiques envers l'idée d'une DD, lui opposant les avantages d'un régime représentatif. Déjà, dès l’Antiquité, la DD était vivement critiquée par Platon et par Aristote. Et indépendamment de leurs critiques, la seule contrainte d’une masse grandissante de la population des Etats, rend la pratique de l’idéal démocratique (où la souveraineté appartient au peuple) comme impossible sans déviation majeure de sa finalité. Toutefois, le mandat représentatif, un élément endogène de la DR, rend caduque les avantages attendus de cette  alternative à la démocratie.

Le mandat représentatif: un élément endogène de la démocratie représentative traduisant une démocratie de façade

Le mandant représentatif «est une forme de mandat politique qui possède la caractéristique d'être général, libre et non révocable» (W., Mandat représentatif, 26 janvier 2021). Cette caractéristique laisse la possibilité au représentant d’agir «en tous domaines à sa guise car il n'est pas tenu de respecter les engagements qu'il aurait éventuellement pris devant ses mandants» (Ibid.). Le mandat représentatif est à l’opposé du mandat impératif qui «désigne un mode de représentation dans lequel les élus ont l'obligation de respecter les directives de leurs électeurs sur la base desquelles ils ont été désignés, sous peine de révocation» (Dictionnaire La Toupie, Mandat impératif, 2021).

Les élus, étant libres de tout engagement impératif vis-à-vis  leurs électeurs, risquent fort d’ignorer leur mandat pour représenter plutôt leurs propres intérêts et ceux de leur parti. Parler donc d’une démocratie représentative, c’est nier la réalité du terrain et se fier à une théorie, une fois encore utopique, car elle ne tient pas compte de façon suffisante de la nature humaine. Les élus ont tous les moyens et possèdent tout l’art de mise en scène de leur bon vouloir de respecter les règles de la démocratie et d’être toujours accessibles, disponibles et à l’écoute des intérêts et des attentes du peuple.

C’est ainsi que les outils et les principes de la DR sont le plus souvent déviés de leur finalité. A titre d’exemple, nous citons plus particulièrement la dynamique de l’assemblée, un principe directeur de la DR, qui a comme finalité d’aboutir à une décision collective représentant un  point de vue supérieur  aux points de vue des élus pris individuellement.  Il en est de même pour les outils empruntés de la DP qui sont déviés de leur finalité : partage du pouvoir entre les citoyens et les représentants de la nation afin d’atténuer les effets négatifs de la crise politique que connaît la DR. L’application d’un outil dévié de sa finalité ne peut atteindre les résultats escomptés.

Dès lors, nous voyons mal  dans de telles conditions comment les citoyens peuvent sauvegarder leur souveraineté ou, du moins, obliger les représentants à respecter leur engagement ?! Le peuple ne peut pas croire éternellement à leur mise en scène. Les déviations du programme électoral constituent, notamment de nos jour et au niveau de la grande majorité  des pays, dits démocratiques, plutôt  la règle et non l’exception. Et c’est ainsi que le système politique de la DR est vidé de sa substance démocratique, voire comme une bonne alternative à la démocratie. Et cela, d’autant plus que l’observation des pratiques de la DR montre que le principe de séparation de pouvoir (principe fondamental de la DR) n’étant pas suffisant pour être un gage d’équilibre des institutions et une garantie contre les abus de pouvoir et la corruption. De telles  pratiques déviées de leur finalité sont aujourd’hui vécues par le peuple comme une trahison démocratique. La conséquence inévitable de ce sentiment de trahison est la  crise démocratique d’un ordre structurel et permanent que connaît la grande part des pays du monde dit démocratique. 

La crise démocratique: signe exogène traduisant la défectuosité de la démocratie représentative

Cette crise est la conséquence inévitable du mandat représentatif d’un système politique en opposition même avec l’esprit et la définition même de la démocratie. Cela ne peut que trahir perpétuellement l’idéal d’un peuple à qui lui revient en principe, et par définition même de la démocratie, la souveraineté du pays ou, du moins, sa volonté d’être convenablement représenté par les politiques. Cette «trahison démocratique» est sans doute un fort signe traduisant une crise démocratique d’un ordre structurel et permanent et non pas d’un ordre éphémère ou épisodique.  Et pour cause majeure, c’est le mandat représentatif qui  donne libre recourt aux représentants de la nation d’agir en tous domaines à leur  guise et d’abuser de leur pouvoir. Giovanni Sartori, dans sa «Théorie de la démocratie», affirme  de manière ironique que la démocratie est «le nom pompeux de quelque chose qui n’existe pas» (cité par Cédric Polère, 2007).

Nous considérons que cette crise constitue à elle seule une preuve exogène traduisant la défectuosité de la DR. Les signes de la crise démocratique ne manquent pas. L’Encyclopédie libre Wikipédia (W.) cite notamment les signes suivants: les «dérives médiatiques de l'État spectacle, la personnification de la chose politique qui prend le pas sur le fond (le programme électoral puis l'action gouvernementale), amplifiée par les techniques de communication modernes, la déception à l’égard des politiciens, et l'absence de choix véritable» (W., Démocratie participative, 11 avril 2021). Il en résulte un désintérêt du peuple de la chose publique, «la désillusion (sentiment que les jeux sont faits), la lassitude, le sentiment d'incapacité à changer le statu quo» (Ibid.).

Il y a mépris pour la politique et rejet des politiques. En France, par exemple, les citoyens « ne semblent plus se sentir véritablement représentés par les hommes politiques. Leur dédain semble si profond qu’ils ne font bien souvent même plus l’effort d’aller voter» (M-A Cohendet, 2004). Il est clair que le monde, dit démocratique, vit une «crise de la démocratie» où la méfiance, quand ce n’est pas la défiance, des citoyens vis-à-vis des politiques est plutôt la règle et non l’exception.

Il apparaît à la lumière de ce qui précède que le régime politique véritablement démocratique est à chercher en dehors des régimes de la DR. Cette recherche peut faire l’objet d’un autre article. Faut-il, au préalable, de proposer une nouvelle définition de la démocratie. L’actuelle définition n’est pas universelle. Elle correspond plutôt à un idéal démocratique mais non accessible qu’est la DD.

Youcef Ennebli