News - 12.04.2021

Les insectes, des compagnons indésirables mais indispensables pour notre survie

Les insectes, des compagnons indésirables mais indispensables pour notre survie

Par Ridha Bergaoui - Les insectes représentent les deux tiers du monde animal. Cette classe d’invertébrés comprend des millions d’espèces et un effectif incalculable d’individus (des milliards de milliards). Les insectes existent depuis plus de 400 millions d’années, ce sont les plus anciens animaux sur terre. Ils occupent toutes les niches écologiques et présentent une immense variété de tailles, de formes et de comportements.

A part quelques spécimens comme l’abeille, le ver à soie et les beaux papillons du jour qui nous intriguent et nous fascinent, les insectes sont en général peu appréciés par les humains. La plupart des personnes éprouvent même de la phobie vis-à-vis de ces  hexapodes  imprévisibles et envahissants.

Des préjugés défavorables vis-à-vis des insectes

A la vue d’un insecte, on éprouve généralement un ensemble d’émotions : dégoût, répulsion, terreur, panique... Notre réflexe immédiat est de l’écraser sur place. Cet insecte, aussi petit et inoffensif qu’il soit (parfois une simple petite mouche) nous fait peur  et nous inquiète.  Certains sont même terrifiés à la vue d’un petit cafard ou d’une petite sauterelle et ne peuvent  fermer l’œil avant de l’exterminer.

Ce sentiment de dégoût et cette haine envers les insectes remonte à très loin. Il nous est transmis par nos parents, notre entourage et la société en général. Des récits, des films et séries de science fiction, avec des insectes géants qui anéantissent des cités entières, viennent renforcer cette peur.  De mauvaises expériences personnelles, comme un moustique, une abeille ou une guêpe qui nous a piqué et qui vous a fait souffrir un moment, viennent renforcer cette sensation.

Pour la plupart d’entre nous, les insectes sont en général nuisibles et il faut s’en débarrasser. Ils sont dangereux (piquent, sucent notre sang, mordent, transmettent des maladies parfois graves et mêmes mortelles). Ils détruisent et souillent nos provisions, notre nourriture et notre habitat. 

La présence de cafards, de mouches, de vers…est le signe que l’endroit est sale et mal entretenu. Notre culture veut que notre environnement soit sans insectes. La solution préconisée pour s’en débarrasser consiste surtout à l’utilisation de pesticides. Malheureusement ces produits chimiques très toxiques nous empoisonnent et polluent tout l’environnement (air, eau et sol). Ils créent une certaine résistance chez les insectes qui deviennent insensibles à ces produits et il faut sans cesse trouver des produits plus puissants et plus efficaces. Ces pesticides tuent tous les insectes sans aucune distinction même le plus utiles (comme les abeilles) et portent un sérieux dommage à la biodiversité.

Pourtant très peu d’insectes nous font réellement du mal

A part quelques piqueurs-suceurs (surtout moustiques et punaises), les insectes ne présentent généralement aucune menace pour l’homme. Ces petites bestioles (de quelques centimètres au plus) ne peuvent se mesurer à l’homme beaucoup plus grand, plus intelligent et qui a tellement de moyens pour les anéantir. Notre peur, incrustée dans notre inconscient et dans notre génome, ne peut se justifier et n’est nullement rationnelle. Elle résulte de nos préjugés et de notre méconnaissance de ces êtres vivants qui nous intriguent  et nous terrorisent.

Pourtant certains ont trouvé le moyen de surmonter cette peur. Les apiculteurs travaillent avec les abeilles et en sont très heureux. Ils affrontent, parfois sans protection, des milliers d’ouvrières avec leurs dards et leur venin, et ne sont pas du tout effrayés. D’autres exercent dans des métiers relatifs à la désinsectisation et l’hygiène et abordent tous les jours divers types d’insectes.

Dans certaines sociétés les gens ramassent  les insectes dans les campagnes et les forêts pour les vendre ou les consommer. De nos jours certaines entreprises se sont mises à élever les insectes et les faire reproduire en leur assurant la nourriture équilibrée et le confort le plus complet possible.

Que serait le monde sans les insectes?

Les insectes jouent un rôle fondamental  dans le transport du pollen et la pollinisation des fleurs. Les trois quart des plantes en général et au moins le tiers des cultures sont  des plantes hétérogames. La fécondation ne peut se faire que par le vent ou les insectes.  Sans les insectes, les récoltes de fruits et légumes seront insignifiantes et la famine régnera sur terre.

Les insectes occupent une place cruciale dans la chaine alimentaire et représentent l’aliment préféré de nombreuses espèces animales (oiseaux, grenouilles, lézards…). Certains nous débarrassent d’autres insectes nuisibles (comme la coccinelle qui mange les pucerons parasites des plantes) sans  pesticides. D’autres (comme les mouches et les coléoptères bousiers) nous débarrassent des matières en décomposition. Ils recyclent la matière organique, nettoient notre environnement et jouent ainsi un rôle écologique très important. La présence d’insectes dans un environnement atteste d’une certaine qualité.

Des insectes ont été domestiqués, comme l’abeille et le ver à soie, et nous donnent des produits nobles et d’excellente qualité. Le colorant alimentaire rouge naturel (acide carminique E120), de plus en plus recherché pour remplacer le colorant chimique de synthèse, est obtenu à partir d’une cochenille. D’autres  insectes sont consommés par une grande partie des hommes et représentent un apport très consistant en protéines. Dans pas mal de pays africains, les agriculteurs élèvent des mouches sur des crottes de vaches ou des fientes de volaille pour plus tard récolter les larves et les distribuer aux poules. Ces larves représentent un excellent apport protidique qui permet d’améliorer très sensiblement les performances des poules.

La mouche du vinaigre ou drosophile a été très utile pour la recherche scientifique et a permis durant le siècle dernier de grandes avancées dans le domaine de la génétique. D’autres insectes sont utilisés par des laboratoires pour tester des médicaments ou des pesticides. Il y a quelques siècles et encore dans de nombreuses populations, les insectes ont été utilisés en médecine traditionnelle pour soigner les malades. Des larves d’insectes sont employées pour nettoyer des plaies infectées et éliminer les tissus morts. En criminologie, pour déterminer la date de la mort de la personne en cause, les enquêteurs examinent les larves des mouches qu’ils peuvent trouver sur le cadavre.

Tout récemment, certains concepteurs de robots et de drones se sont inspirés des insectes pour les imiter dans leur façon de voler et de se déplacer.

La nouvelle tendance: des insectes de compagnie

De plus en plus de personnes éprouvent le besoin d’avoir un animal de compagnie (chat, chien, poisson rouge, oiseau…). Ces animaux  nous apportent un certain équilibre psychologique. Ils sont très intéressants pour les petits pour construire leur personnalité. Ils apprennent à être responsables, à respecter les animaux et assimiler les notions parfois complexes comme l’amitié, la mort et éprouver des sentiments comme l’amour, l’affection, la désolation, la tristesse…

Malheureusement avoir un animal de compagnie est une véritable responsabilité qui se révèle parfois un acte très couteux et contraignant.

Les insectes sont devenus de nos jours les nouveaux animaux de compagnie. Ils présentent de nombreux avantages par rapport aux compagnons traditionnels. Peu encombrants, silencieux et inodores, les insectes peuvent être élevés facilement partout même dans les coins les plus exigües.  Leur cycle très court permet de tout arrêter à tout moment, sans regret. Leur élevage est très peu couteux. L’équipement consiste en une petite boite (ou vivarium), une lampe pour la lumière et la chaleur et un petit pulvérisateur pour contrôler l’humidité. Quelques restes de cuisines, fruits, légumes et pain rassis suffisent pour les nourrir. Les insectes ne nécessitent aucun soin vétérinaire onéreux. Toute une variété d’espèces, très faciles à élever, existe. Le ver à soie, les scarabéidés, les libellules, les sauterelles et le ver de farine sont les insectes de compagnie les plus courants. Les phasmes sont également très recherchés pour leurs formes très originales. Ces experts en camouflage ressemblent à des brindilles ou des feuilles et se fondent dans leur environnement. 

Il est conseillé pour tous ceux qui veulent se lancer dans un projet d’élevage et de production d’insectes de commencer avec une pareille installation pour d’une part tester réellement ses aptitudes à aimer et apprécier de tels partenaires et d’autre part  s’approprier une petite expérience pratique personnelle.

Elevage et consommation des insectes

L’entomophagie est une pratique très ancienne. Les insectes sont largement consommés dans le monde. La FAO estime à 2,5 milliards (soit plus du tiers de la population mondiale) le nombre de personnes qui consomment régulièrement des insectes principalement en Asie, Afrique et Amérique latine. On compte environ 2000 espèces d’insectes comestibles. Jusqu’il y a quelques années, ces insectes étaient ramassés dans les forêts et les campagnes.

De nos jours de nombreuses entreprises se sont investies dans l’élevage et la production des insectes comme source de protéines. Les insectes sont d’excellents transformateurs d’aliment. Ils ne dépensent d’énergie pour leur thermorégulation. Alors que le bœuf a besoin de 10 kg d’aliment pour produire 1 kg de gain de poids,  ces 10 kg  d’aliment permettent d’obtenir 9 kg d’insectes. Pas de problèmes de pollution ni de gaz à effet de serre responsables du réchauffement planétaire. L’empreinte eau est très faible. La production d’un kilogramme de viande de bœuf nécessite 13500  litres d’eau,  pour 1 kg d’insectes on a besoin d’à peine 10 litres d’eau. Les insectes sont également très riches en protéines  de très haute qualité et en lipides très utiles.

L’élevage des insectes (criquet, ver de farine ou ténébrion, mouches …) est facile et permet de recycler des aliments déclassés ou en mauvais état ou de valoriser des sous-produits issus de l’agriculture ou de l’industrie alimentaire. Il permet ainsi de lutter contre le gaspillage alimentaire  et la pollution.

L’utilisation de la farine d’insectes, obtenue par séchage et broyage des larves,  est autorisée  pour l’alimentation dans les aliments pour animaux de compagnie et les poissons d’élevage. L’autorisation pour l’incorporation en alimentation humaine ne saurait tarder. 

En Occident, les préjugés, le dégoût et les habitudes culturelles sont les freins à la consommation d’insectes.  Phénomène purement social, les gens ont l’habitude de ne consommer que ce qu’on leur a présenté comme aliment à leur enfance. Les mentalités commencent à évoluer et certains restaurants chics, dans de nombreuses capitales, commencent à proposer des plats comprenant des insectes et même des scorpions grillés ou frits.

Conclusion

En raison de l’utilisation abusive des pesticides, la pollution et la réduction des espaces verts, plus de 40% des espèces d’insectes sont actuellement menacés d’extinction. Les insectes jouent des rôles très importants et divers. Ils sont très utiles pour l’homme, l’agriculture et l’environnement. Certes certaines espèces nuisent aux cultures ou nous font mal. La majorité ne présente pour l’homme aucune menace si non la peur  et le dégout.

Il est temps de revoir notre perception du monde des insectes. Il faut mieux les connaitre et apprendre à surmonter notre phobie des insectes et bien gérer leur cohabitation. Il serait intéressant d’introduire, dés l’enfance, au niveau de l’enseignement de base, des cours sur les insectes, leurs particularités biologiques et comportementales ainsi que leur rôle dans la préservation de l’environnement. Un petit bac pour élever et suivre les différentes étapes de l’évolution des insectes serait d’un intérêt pédagogique certain. Il permettra également aux petits de surmonter la peur et la phobie des insectes.

Il faut également revoir nos méthodes de lutte contre les insectes ravageurs des cultures et les parasites. Il est nécessaire d’abandonner si possible les pesticides chimiques toxiques et utiliser des méthodes moins agressives et plus sélectives. La lutte biologique, la lutte intégrée, les biopesticides sont des méthodes très intéressantes. Les plantes OGM, modifiées génétiquement pour résister contre les attaques de parasites, sont également une alternative à la lutte chimique.

Ridha Bergaoui

Professeur universitaire

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