News - 02.02.2021

Saloua Ghedamsi - Séjour en service Covid en Tunisie : Ce que j’ai vécu, ce que je recommande

Tunisie - Séjour en service Covid : Ce que j’ai vécu, ce que je recommande

Comme le virus circule plus vite en ce début d’année 2021, j’ai été contaminée malgré le confinement que je respecte depuis le mois d’octobre.

J’ai résisté au virus une dizaine de jours en suivant le guide de traitement clinique publié en septembre 2020, par l’INAES (Instance Nationale d’Evaluation et d’Accréditation en Santé), d’abord toute seule et ensuite sous la supervision du médecin de famille, mais ne pouvant plus m’alimenter et souffrant de défaillance respiratoire, j'ai dû être admise en clinique privée au centre de Tunis, en service Covid.

Ce que j’ai vu

• La prise en charge médicale est excellente. Le service Covid est constitué d’un bâtiment aménagé au sous-sol pour admettre les malades et d’une aile confortable au premier étage pour traiter les cas les moins graves et en voie de guérison.

Un jeune médecin Anesthésiste/Réanimateur dirige ce service en assurant une présence continue de dix jours. Il emploie des équipes d’infirmiers qui travaillent en binôme et se relaient toutes les cinq heures pour enlever combinaison, sur blouses, bottes en caoutchouc et sur chaussures, masque et visière, double gants, afin de s’alimenter et se reposer. Les jeunes femmes qui assurent le service d’hygiène sont aussi bien protégées et font les mêmes rotations. Le service est meilleur qu’en période normale, les repas variés et riches en protéines sont servis en barquette aluminium, que l’on peut réchauffer à la demande, des tisanes chaudes sont également servies à la demande, sans être obligée de mettre la main à la poche. Il règne une atmosphère de solidarité avec les malades qui arrivent, et quittent heureusement, en flux continu.

Bien que le service soit optimisé du point de vue de la présence de médecins spécialistes, avec des analyses de sang sous-traitées à divers laboratoires privés, je me suis sentie en confiance. Les traitements suivent le guide clinique de l’INAES avec une prise en charge spécifique en fonction des morbidités de chaque malade. Cette standardisation du traitement de la maladie à travers tout le pays, est un acquis énorme pour notre système de santé. Ayant travaillé dès 1991, sur le projet de création du Conseil National d’Accréditation des services de conformité aux normes dans l’Industrie, TUNAC, je me rappelle qu’il y a eu 14 révisons du projet de loi pour obtenir un consensus des différents organismes (INNORPI, Laboratoire Central, Centres Techniques, Services de contrôle) sur le principe de l’évaluation indépendante, et autant d’années pour publier la loi. L’INAES, créé en 2012 en pleine turpitude politique et administrative, a aujourd’hui du pain sur la planche pour aborder l’évaluation des services à la santé et délivrer ses premières accréditations aux hôpitaux et aux cliniques privées.

• Pour ce qui est des équipements de mesure: thermomètre, oxyomètre, appareil à oxygène, scope qui mesure en continu le battement cardiaque, la saturation en oxygène, et mesure aussi la pression artérielle sur intervention de l’aide soignant ; tous ces appareils affichent des résultats différents d’une chambre à une autre. Le personnel est conscient de cet état et utilise les valeurs affichées comme indicateurs plutôt que mesures exactes. Devant mon inquiétude, le chef de service a procédé à une analyse de sang pour connaitre la valeur exacte de ma saturation en oxygène et par conséquent la dose en oxygène à m’administrer. Aussi la notion d’étalonnage des équipements de mesure, n’existe pas. Le personnel soignant ne sait pas que chaque appareil doit subir chaque année un étalonnage par un appareil plus précis pour ne pas sortir de sa plage de précision, même s’il est neuf. En cas de pathologies graves, ces appareils non étalonnés peuvent fausser le diagnostic et même causer des accidents, surtout ceux qui mesurent la pression.

Les laboratoires privés d’analyse médicale, sous-traitants de la clinique, ne sont pas accrédités et n’appliquent pas par conséquent, les normes d’assurance de la qualité. En particulier, ils présentent des résultats sans indiquer l’incertitude sur la mesure. Or en l’absence de cette indication, l’on n’est pas sûr de la compétence de l’opérateur qui a fait l’analyse ni de l’état de précision de ses appareils. Ainsi, le recours à différents laboratoires d’analyse médicale par la clinique, n’est pas un gage de qualité car la comparaison des résultats ne se fait pas dans les mêmes conditions d’analyse. Malheureusement, le gap en matière d’accréditation, avec la plupart des laboratoires publics et privés qui opèrent en industrie est d’au moins quinze ans, date à laquelle TUNAC est devenu opérationnel.

La facture est exorbitante bien qu’ayant été admise en médecine, n’ayant pas besoin de réanimation. Elle n’indique pas le détail de la rubrique pharmacie qui est très exagérée. Pour savoir quels médicaments ont été administrés pour un éventuel suivi en cas de complication ultérieure, il faut s’adresser amicalement au médecin traitant. De même, et contrairement aux hôpitaux publics, le dossier du malade qui contient le traitement quotidien, et le résultat des analyses, n’est pas non plus disponible, seule une copie des analyses de laboratoires est fournie à la sortie. Ceci traduit un malaise, au niveau du traitement clinique du malade et aussi de la transparence de la gestion financière de la clinique. Le Ministère de la Santé Publique, n’a pas jugé bon de fixer un plafond pour le traitement du Covid -19, ni de prendre en charge au moins une partie des frais par la CNAM. A défaut de sécurité sociale, un salarié ou un retraité de la fonction publique ne peut pas se faire soigner dans le privé même pour quelques jours, s’il n’a pas d’épargne sérieuse, et se trouve ainsi doublement sinistré.

Ce que je propose

• Le Ministère de la Santé devrait publier un arrêté demandant à tous les laboratoires d’analyse médicale publics et privés, de se faire accréditer dans un délai de trois ans et pour ce faire, initier une convention de collaboration entre l’INAES et le TUNAC étant donné que l’infrastructure technique nécessaire est non seulement disponible mais également rodée. En effet, TUNAC a accrédité un grand nombre de laboratoires d’analyses dans les domaines chimique, physique et microbiologique et dispose d’un registre d’auditeurs qualité et d’auditeurs techniques dont certains relèvent de la santé publique. Les laboratoires d’étalonnage en masse, température, pression, électricité sont également accrédités par TUNAC et beaucoup qui opèrent dans le privé, souffrent d’un manque de clients suite à la fermeture du marché libyen. TUNAC est lui même reconnu par l’instance internationale spécialisée (International Accréditation Forum) et subit constamment, des évaluations par ses pairs pour maintenir son adhésion à ce réseau international d’organismes nationaux d’accréditation. Cette mouvance vers l’application stricte des normes d’analyse (qui changent environ tous les cinq ans) et l’évaluation par tierce partie du système d’assurance de la qualité, est le seul garant de la rigueur technique nécessaire à un bon diagnostic. En l’absence de cette gestion stricte, non seulement les pratiques n’évoluent pas au diapason international mais l’on n’est pas à l’abri de manquements graves (comme l’intoxication des nouveaux nés par exemple) et dans l’incapacité d’instaurer des mesures de correction pérennes.

Après le Covid-19, il faudra mener une campagne de sensibilisation à la nécessité de l’étalonnage des appareils de mesure et électro -médicaux dans les services hospitaliers. L’INAES pourrait s’appuyer sur l’Agence Nationale de Métrologie pour les actions de formation et coordonner les activités d’étalonnage de la plupart des grandeurs physiques avec le Centre de Métrologie du Laboratoire Central d’Analyses et d’Essais ainsi que le laboratoire DEPHNAT du Ministère de Défense pour les équipements électro-médicaux. Utiliser l’infrastructure technique existante est primordial pour que l’INAES gagne du temps et avance d’une manière efficace au niveau de l’évaluation des services de soins médicaux aux clients (considérés aujourd’hui comme patients).

• Reste le problème fondamental de la coordination au sein du Département de la Santé Publique du suivi des travaux de normalisation : élaboration de normes nouvelles nécessaires aux marchés publics, révision périodique des normes en fonction de l’évolution technologique, notamment les références ISO, la promulgation de la réglementation technique pour la conformité à ces normes, la définition des procédures de contrôle, d’inspection et de certification. Ces activités doivent être définies par Décret afin de pallier au manque de transparence actuel et du flou qui règne au niveau des responsabilités. L’équipement médical et radiographique, à titre d’exemple, fait l’objet de plus de 700 normes tunisiennes, révisées en 2018 (certainement après l’incident des nouveaux nés). Mais le Service d’Achats maitrise-il ces documents techniques, dont certains comptent plus de 600 pages ? Le Service Juridique a-t-il développé la réglementation nécessaire à la vérification de la conformité à ces normes à l’importation, la base TUNEPS est -elle alimentée de ces normes et réglementations ? Autant de questions qui concernent en réalité tous les Départements : Santé, Sécurité du travail, Assainissement, Environnement, Agroalimentaire, Agriculture, Energie, Technologie de l’information, etc. Il est temps de réformer la loi sur la Normalisation pour définir le rôle des départements ministériels comme acteurs de la normalisation et de la réglementation technique, la coordination interministérielle, le rôle du secteur privé, les nouvelles tâches de l’Institut de la Normalisation pour répondre à la demande en normes et à leur promotion. Cette réforme est plus que nécessaire pour relancer l’infrastructure du pays et envisager une relance de l’économie.

Saloua Ghedamsi
Expert en infrastructure de la qualité
Ex DG de l’INNORPI, Du Laboratoire Central et de Centres Techniques Industriels