News - 30.01.2021

Monia Ben Jémia: L’Etat doit intervenir pour mettre fin à l’impunité et prévenir le crime d’inceste

Monia Ben Jémia: L’Etat doit intervenir pour mettre fin à l’impunité et prévenir le crime d’inceste

Pourquoi ce livre et maintenant?

J’ai mis plus de cinq ans à l’écrire. De 2004 à 2015, j’ai écouté des femmes victimes de violence au Centre d’écoute et d’orientation des femmes victimes de violence de l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd). Plusieurs d’entre elles, venues pour dénoncer des violences conjugales, ont fait état de violences sexuelles et de l’inceste subis durant l’enfance. D’autres n’ont pris la décision de quitter leur conjoint violent que lorsqu’elles ont soupçonné des agressions sexuelles qu’il commettait sur leur enfant. C’est ainsi que je me suis rendu compte à quel point l’inceste était fréquent et combien il détruisait l’avenir des enfants qui en sont victimes. Plus tard, en même temps que j’écrivais ce récit, j’ai constaté, en lisant les témoignages sur la page Facebook de «EnaZeda», que près de 90% de ceux-ci étaient des récits d’inceste commis par des pères, frères, grands-pères, oncles, etc. J’ai écrit ce livre pour toutes les victimes d’inceste.

Était-ce facile à écrire, construire et finaliser?

J’ai essayé de regrouper en un seul récit tous ces témoignages d’inceste et de décrire la violence, le silence, la honte, la culpabilité, la peur, la solitude et le désarroi de l’enfant victime. Pour ne pas accabler le lecteur et éviter tout voyeurisme, j’ai tenté autant que possible d’alléger le texte.

C’est un livre sur le silence qui entoure l’inceste. Car c’est bien le silence qui le définit. Un silence qui est une véritable mort psychique des victimes.

Dénoncer l’inceste est déjà un très grand pas, mais qui ne suffit pas.Que recommandez-vous?

Tout à fait ! Rompre le silence, prendre la parole n’est pas suffisant, il faut que l’Etat intervienne pour mettre fin à l’impunité et prévenir le crime d’inceste. Certes et pour la première fois, depuis la loi n°58-2017 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, l’inceste est nommé. C’est une réforme importante car ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Mais l’inceste n’est nommé que dans le viol en tant que circonstance aggravante et pas pour les autres violences sexuelles où il demeure une circonstance aggravante, mais innomée. Or l’inceste ne se fait généralement pas avec des viols, les auteurs d’inceste sont prudents et font bien attention à ne pas laisser de traces. Il faudrait donc que la loi fasse de l’inceste une infraction autonome pour toutes les formes de violence sexuelle.

Une autre réforme est tout aussi nécessaire, c’est l’allongement du délai de prescription qui est actuellement de dix ans à partir de la majorité. C’est trop court, car les victimes ne rompent le silence que bien plus tard, sans compter que souvent, elles font une amnésie traumatique leur faisant perdre le souvenir des violences subies. Et quand elles retrouvent la mémoire ou se décident à parler, il est trop tard, le crime est prescrit. Seules ces mesures permettraient de mettre fin à l’impunité qui entoure le crime d’inceste et contribue à sa fréquence. Il faut aussi prévenir et prévenir massivement, notamment par une éducation sexuelle donnée aux enfants à l’école pour leur apprendre ce qu’est une agression sexuelle et à dénoncer leurs auteurs. La Tunisie a ratifié en 2018 la Convention de Lanzarote sur l’exploitation et les abus sexuels commis sur les enfants et le comité de Lanzarote a préparé des guides pour les éducateurs que l’on pourrait utiliser en Tunisie pour la prévention. Enfin, la société civile devrait être plus active dans ce domaine. Selon le dernier sondage d’Unicef-Tunisie, près de 59% d’enfants subissent des violences, y compris sexuelles, au sein de la famille et 13% dans le milieu éducatif. Parmi eux, une majorité de filles. Il est urgent d’agir, j’espère que ce livre y contribuera.

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