Opinions - 14.01.2021

Kaissar Sassi : La prochaine assemblée CNOM, une réunion aux enjeux cruciaux sur fond de crise sanitaire

Kaissar Sassi : La descente aux enfers du conseil national de l’ordre des médecins

L'Assemblée du Conseil National de l'Ordre des Médecins (CNOM) se tiendra prochainement avec comme point d'orgue l'election du nouveau bureau,  une élection aux enjeux cruciaux dans le contexte sanitaire actuel mais également politique que connaît le pays.

Des élections à l'aveugle qui vont se dérouler sans campagne électorale et qui enregistrent traditionnellement un taux d’abstention exceptionnel, qui oscille entre 95% et 85 %, et ce même dans les grandes concentrations de médecins.

Un tel taux d’abstention est dû, notamment, à l’impossibilité de voter par correspondance. Une impossibilité à laquelle nous n’avons pas réussi à y remédier malgré le contexte épidémique, qui a par ailleurs encouragé l’utilisation massive, des moyens informatiques et de télécommunication dans tous les domaines.
Au-delà des élections qui se dérouleront prochainement, la fracture au sein de cette institution n’est plus réfutable et ne cesse malheureusement de s’approfondir ces dernières années.

Un tel organisme qui, par nature, est chargé de fédérer le corps médical, devrait, dans le contexte actuel de crise sanitaire, être la pierre ongulaire des réformes pour l’apaisement et la sauvegarde de l’ensemble du secteur médical.

Le CNOM est, de par ses missions, le garant du respect de la déontologie et de l'éthique médicale. Il est ainsi le gardien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine, ainsi que l’ensemble des règles imposées par le code de déontologie.

À ce titre, il veille au respect, par tous les membres de l'ordre, de leurs devoirs professionnels et des règles de déontologie. Il accomplit cette mission par l'intermédiaire des conseils et des chambres disciplinaires.

Le CNOM dispose également du rôle, primordial, de conseil des pouvoirs publics. En effet, le conseil national de l’ordre des médecins est l'interlocuteur du gouvernement et du parlement, notamment en donnant un avis sur les projets de règlements, de décrets ou de lois qui lui sont soumis par les autorités.

Le secteur de la santé en Tunisie est en totale déperdition et l’une des causes de cette décadence se révèle aujourd’hui l’absence de ferveur dans les actions du CNOM.

Pour illustrer ces propos, une série de constats alarmants peuvent être cités :

1. Le manque de respect à l’interdiction de la publicité médicale

Il n’est pas rare de constater, de plus en plus ces derniers temps, une explosion de l’activité publicitaire sur les réseaux sociaux et même sur les chaines télévisées.

Le CNOM dénonce de temps en temps ces pratiques, mais n’arrive toujours pas à la contenir ou du moins, trouver la solution pour la réglementer.

2. La déperdition de la confraternité dans les échanges entre médecins

Avec la crise sanitaire du Covid-19, nous avons eu droit à un scandale éthique : les échanges des insultes, sur les réseaux sociaux, devenus pratique courante malgré le fait que les insultes entre médecins est illégale et que la confraternité devrait être la règle en toute circonstance.

Le CNOM n’a pas souhaité réagir dans la majorité des cas, pas même par un simple appel au calme, alors que c’est un de ses rôles principaux de faire respecter les règles les plus élémentaires de déontologie.

3. La violation du secret médical

Sans aller jusqu’à dire que le secret médical semble avoir été jeté aux oubliettes, nous pouvons affirmer qu’il est régulièrement violé.

La pandémie du Covid19 n’a pas arrangé les choses s’agissant du respect du secret médical, de la dignité des personnes et de leurs corps. Les réseaux sociaux aidant, sans parler des plateaux télévisés, et même des journaux, l’identité du patient est dévoilée, avec sa photo, ses antécédents médicaux et familiaux. On a même vu des photos de patients en coma, nus et intubés.

 

4. Les conflits d’intérêts

Le CNOM a malheureusement connu ces dernières années de multiples crises internes.

A titre d’exemple, en 2015, il y a eu la suspension d’activité des nouveaux élus après la mise en cause devant les tribunaux de la régularité du scrutin.
Malheureusement, ces conflits internes ne peuvent qu'entamer la crédibilité de nos compétences médicales aux yeux de tous.

5. La gestion financière par le CNOM

Les rapports financiers du CNOM sont sommaires alors que les institutions devraient faire l’objet d’une transparence morale et sur la traçabilité de leur comptabilité. Il serait également préférable de pratiquer des audits financiers externes régulièrement et ce indépendamment des audits internes qui se déroulent annuellement.

6. Le charlatanisme

Le charlatanisme a pu, parfois, échapper aux condamnations. Si on devait donner un exemple, ça serait sans doute les propos d’un député de peuple annonçant la découverte, par une boite privée, d’une phytothérapie contre le Covid.

 

7. L’ancien code de déontologie

L’absence d’une continuité adéquate entre les bureaux successifs a causé du tort à plusieurs projets, mort-nés, qui auraient pu apporter un bénéfice réel au secteur de la santé.

Mais indépendamment de ce manque de continuité, un autre facteur handicape la pratique médicale en Tunisie et ce depuis une dizaine d’années : c’est l’absence d’une actualisation de notre code de déontologie dont la dernière modification remonte à l’année 1993.

Plusieurs tentatives de mise à jour de ce code ont été vouées à l’échec, d’une part à cause de l’instabilité politique depuis la révolution et d’autre part à cause du manque de persévérance chez les auteurs de ces initiatives.

Voici en quelques lignes, les défaillances auxquelles les nouveaux membres élus doivent remédier en toute urgence et ce dès le premier jour de leur mandat.

Pour conclure, il ne faut pas s’étonner que face à une telle situation, le médecin tunisien se trouve devant un choix crucial, dès le premier jour de sa carrière: quitter le pays pour pratiquer la médecine dans les règles de l’art ou essayer de survivre à ce fléau aux dépens de ses convictions. Notons que 6000 médecins ont quitté la Tunisie depuis la révolution.

Enfin, il est grand temps de reconsidérer le statut et les prérogatives du CNOM. C’est indispensable pour sauver le secteur de la santé en Tunisie.

Kaissar Sassi
Médecin anesthésiste-réanimateur Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Toulouse,
Trésorier de l'association des médecins tunisiens dans le monde et l'un de ses membres fondateurs.