News - 11.12.2020

Tourisme alternatif et durable: La voie royale, à qui veut bien l’emprunter (Album Photos)

Tourisme alternatif et durable: La voie royale, à qui veut bien l’emprunter

Par Yosri Bannour - Il est un fait que le tourisme de masse, notamment balnéaire, a fait son temps. Ce constat date d’un bon bout de temps, mais la crise du coronavirus a eu pour avantage d’y ramener tout le beau monde qui ne voulait rien savoir et s’évertuait à promouvoir le même schéma éculé. A quelque chose, malheur est bon, en définitive.

Cela étant dit, quelles solutions alternatives s’offrent à un pays comme la Tunisie pour lui permettre de rebondir et d’aller de l’avant, malgré la conjoncture ? La réalité du terrain laisse apparaître une grande disparité de formes touristiques nouvelles quoique peu organisées et, en fin de compte, désordonnées, à l’image du pays tout entier. Un rapide coup d’œil sur les réseaux sociaux et sur Internet révèle une cacophonie d’appellations qui recouvrent des réalités disparates.

Ainsi, les hôtels de charme, les gîtes, les maisons d’hôtes et autres Dar se disputent les faveurs d’une clientèle de plus en plus tournée vers la nature, l’authenticité, le contact avec l’habitant, le recours à des circuits culturels parallèles qui ne font pas dans l’image d’Epinal et dans les clichés du sable, du dromadaire et du bronzage idiot. Le secteur demeure, ainsi, assez sauvage, souffrant d’un manque flagrant de structuration et de règlementation en provenance de la tutelle. Le chantier est d’importance, dont il faudrait actionner les mécanismes le plus rapidement possible. Parti d’initiatives privées, somme toute louables, le réseau du tourisme alternatif s’étend, et plus il se ramifie sans harmonisation ni cahiers des charges spécifiques, plus le problème consistant à démêler le bon grain de l’ivraie devient inextricable.

Les professionnels du secteur, longtemps demeurés à la marge du mouvement, seraient bien inspirés de s’engouffrer dans la brèche et d’adapter leur savoir-faire à un secteur qui en redemande et ce, d’autant que le pays regorge en potentialités en rapport avec la culture, l’histoire, la muséographie, les arts culinaires, l’écologie ou l’événementiel. A ce sujet, nombreuses sont les initiatives de particuliers qui, à l’origine, ne connaissent ce secteur prometteur ni d’Adam ni d’Eve et qui s’y sont lancés, à leur corps défendant, pour ouvrir la voie, peut-être prochainement, vers la mise au point de labellisations conformes aux besoins. Ainsi, en est-il, par exemple, de l’expérience menée avec beaucoup de doigté et d’élégance par M. Mongi Bouras qui, en natif de Tamezret, a décidé, depuis vingt ans, de s’y établir et de créer, dans les murs de la demeure parentale, un musée, une sorte de maison du patrimoine en vue de promouvoir la culture et le savoir-vivre d’un des derniers villages berbérophones de Tunisie. Sans ce genre d’initiative privée à même de baliser le terrain vers l’établissement de circuits parallèles, un précieux savoir ethnique et architectural partirait à vau-l’eau. Depuis près de deux décennies, il accueille des voyageurs du monde entier dans sa maison authentique, les surprenant au passage, par ses connaissances encyclopédiques de la culture, du patrimoine et de la langue amazighes. Il fidélise, de la sorte, une clientèle férue de culture et d’échanges et ne demande qu’à faire profiter d’éventuels intéressés par ce mode de vie et ce nouveau modèle économique, de son expérience.

Autre exemple, qui nous vient aussi du village de Tamezret, situé à une dizaine de kilomètres de Matmata, celui de Kaouther ben Jemaa, originaire également de la localité qui, après avoir roulé sa bosse dans le secteur touristique classique, passant par de nombreuses unités hôtelières tunisiennes ou étrangères, finit par y poser ses valises, en 2019, en vue de rouvrir le café familial sis au sommet du village, fondé en 1932 par ses arrière-grands-parents. Elle a été attirée sur place et subjuguée par l’activisme de M. Mongi Bouras en qui elle a trouvé le meilleur interlocuteur et vis-à-vis pour rénover le café et monter son projet et pour, prochainement, finaliser l’idée d’un projet de commercialisation des produits issus du village et du terroir. Il s’agit d’un projet intégré associant diverses disciplines et spécialités tournant autour de l’activité du village et susceptible de favoriser l’embauche d’une main-d’œuvre locale et régionale. Le résultat serait la création d’une synergie et d’un cycle vertueux qui bénéficie à tous.

Troisième exemple allant dans le sens de l’exploitation des nouvelles potentialités du tourisme alternatif, celui du couple Patrick et Sabrine Bourseaux, établi sur les mêmes lieux. Venu des horizons de la pâtisserie, de la restauration et de l’hôtellerie, le duo a décidé de laissé en rade leurs expériences professionnelles respectives, au national ou à l’international, suite à la crise de l’hôtellerie classique, et de plaquer leur vie citadine et convenue pour créer une maison d’hôtes dans la région de Matmata. Il s’agit, en fait, d’une unité composée de trois chambres, dénommée « L’Auberge », creusée à même la montagne et proposant, ainsi, des habitats troglodytes agencés selon le style du mobilier local. Mû par une curiosité pour tout ce qui a trait aux produits du terroir, le duo propose, à sa table, une carte recherchée et originale dont les produits locaux sont les vedettes. Une table courue et appréciée par une clientèle principalement tunisienne mais qui est appelée à se diversifier. A signaler, finalement, que la Tunisie, depuis le 20 janvier 2020, propose le village de Tamezret pour un futur classement dans la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui, à coup sûr, rejaillira sur la nature et la qualité des activités de toute la région et sur l’implication d’éventuels investisseurs tunisiens ou internationaux. Il en ressortira un tourisme durable respectueux de la nature et des traditions tout en fournissant des débouchés économiques viables. Du gagnant-gagnant, en somme.

Il appert de ce qui précède que la voie du tourisme alternatif ne demande qu’à être balisée, comme seraient inspirés d’être balisés et répertoriés les chemins de terre de l’arrière-pays. Pour cela, il convient d’abord, avant de se lancer dans quelque projet, quelle que soit sa plus-value, ni d’encourager quelque investisseur, de créer la fédération nationale du tourisme alternatif, affiliée à la tutelle, chargée de centraliser les besoins et d’harmoniser les appellations afin que le public se retrouve dans les différentes dénominations dont certaines, à ce stade, sont totalement farfelues. Pour cela, des cahiers des charges précis doivent être établis et distribués, bien en amont, à tous les intéressés afin de tenir compte des contraintes inhérentes à chaque appellation avant même d’entamer les projets. Il ne s’agit pas de réparer ni de rafistoler mais de concevoir des projets intégrés et harmonieux établis sur des bases solides. Il convient, aussi, de créer une synergie nouvelle et de nouvelles stratégies marketing capables d’attirer à la fois la clientèle et les investisseurs étrangers. Il y va de la promotion efficace et ciblée du secteur qui devrait, à terme, prendre le relai du secteur moribond du tourisme de masse. A ce sujet, une coordination de tous les instants entre les différents départements intéressés, comme le tourisme, la culture ou l’écologie, est vivement appelée de nos vœux.

Si des organismes chevronnés comme l’US AID américain (entre 30 et 50 millions de dollars, dans le cadre du programme « Visit Tunisia »), l’Union européenne, le GIZ et la coopération suisse, à hauteur de 50 millions d’euros, dans le cadre de la diversification du tourisme et du développement des chaînes de valeur de l’artisanat, expriment leur volonté de venir proposer des aides d’appoint au tourisme durable et alternatif tunisien, c’est que ce secteur est plus que prometteurnotamment au niveau de l’image de marque du pays et à celui de l’embauche de la jeunesse, qui reste le problème le plus délicat et insoluble du moment. Le moment est, donc, venu pour qu’enfin, la volonté politique se manifeste clairement et que l’intendance tunisienne suive. L’investisseur, qu’il soit local ou étranger, est attiré par les incitations fiscales et par les encouragements de toutes natures que devrait accorder l’Etat tunisien si tant est qu’il soit intéressé par le développement du secteur ou bien qu’il trouve quelque intérêt à le structurer. Replacer l’humain et le vertueux au centre de la problématique économique, tel doit être l’objectif présent et futur de toute réflexion prospective tenant compte des défis nombreux auxquels on se doit de faire face. Le modèle de développement avec lequel on n’a de cesse de renouer, est largement dépassé et suranné. Un nouveau modèle s’impose et il doit voir le jour incessamment, sans quoi aucun progrès ne sera envisagé et aucune amélioration de la situation ne sera enregistrée, avec les toutes les conséquences que cela produira, à terme. Un homme averti en vaut deux…

Yosri Bannour
Professionnel du secteur