News - 02.12.2020

Dr Mohamed Ridha Kamoun, précurseur de la lutte contre le SIDA: notre action est un combat perpétuel contre l’interdit (vidéo)

Le combat de l’interdit

Le 1er décembre marque la journée mondiale de lutte contre le Sida. Fidèle à ce rendez-vous annuel, l’ATL- MST (Association Tunisienne de Lutte contre les Maladies Sexuellement Transmissible et le Sida) célèbre son soutien aux personnes vivant avec le VIH.

Pr Mohamed Ridha Kamoun, illustre figure de la dermatologie et précurseur dans la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le Sida, nous livre un récit unique. Dans son témoignage sur la création de l’association il y a déjà 30 ans, il nous dévoile les nouveaux enjeux, les populations clés et les actions effectuées.

30 ans de combats interdits, de mœurs à faire évoluer, de pratiques à changer…

Interview;

L'Association fête aujourd’hui ses 30 ans de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le SIDA, où en êtes-vous aujourd’hui ?

Après 30 ans, l'association a vieilli, tout comme ses fondateurs, mais elle a énormément évolué. L’ATL a été fondée à Sfax par deux personnes originaires de la région. Puis est venue l’idée d’une association nationale, plus décentralisée avec un siège à Tunis.

Notre mission à l’ATL est de contribuer à la création d’un environnement légal, sanitaire et social qui favorise l‘accès aux services de santé pour les populations fragilisées.

Au début, en Tunisie, nous n'avions aucune structure pour la sensibilisation au SIDA, ni même des médicaments. Le préservatif a été instauré dans le cadre du planning familial et n’avait comme finalité que la contraception. Il n'était utilisé que chez les couples mariés pour limiter les grossesses.

Pour sensibiliser les différents acteurs au sida, il a fallu dans un premier temps transmettre du savoir, convaincre et expliquer aux gens que c’est une maladie sexuellement transmissible et non pas contagieuse comme le Covid-19 par exemple. Il s'agit également de changer de comportement et plus précisément le comportement intime, la sexualité et l’usage de drogue (les injections). Ces sujets sont tabous en Tunisie et encore difficiles à traiter.

La première publicité de sensibilisation mettait en scène une femme qui marchait sous la pluie. La pluie représentait le virus et le parapluie le préservatif. Il ne fallait pas être grand clerc pour faire le lien avec le sida et comprendre le spot publicitaire. La Télévision Tunisienne avait refusé de faire passer le message bien que soutenu par Le programme national de la lutte contre le SIDA” à la fin de la publicité.  Il a donc fallu insister et mettre de la pression sur les ministres et autres autorités concernées pour pouvoir communiquer sur le SIDA. Le tout premier spot publicitaire ne passait qu'après 23 heures du soir. Et puis, progressivement, on commença à avancer l’horaire de diffusion.

Quelles sont les populations cibles ?

Au début, on avait ciblé les jeunes scolarisés (les étudiants, lycéens et élèves). Ils sont plus accessibles. Nos volontaires étaient par ailleurs des étudiants. Nos actions étaient plus préventives que curatifs ou d’accompagnement. Avec le temps on s’est rendu compte que c'était important mais insuffisant.

Aujourd'hui, les populations clés (ou à haut risque) sont répartis en 3 principaux groupes : Les travailleurs du sexe, les usagers de drogues et les homosexuels. Nous avons travaillé pendant des décennies sur le changement des nominations de ces groupes mais également les populations clés en général. Maintenant, les détenus et les migrants se sont rajouté ànos populations clés.

La migration a, en effet, commencé à poser problème. Nos migrants sont de plus en plus nombreux et vulnérables. Ils viennent à la recherche d’une condition de vie meilleure avec toutes les libertés qu’offre la Tunisie malgré nos conditions économiques peu favorables. Cette population n’a pas accès à la prévention et aux traitements de certaines maladies comme le SIDA. Il faut donc les accompagner et leur donner accès au minimum sans avoir recours à des moyens énormes.

Un des plus grands problèmes de la prévention contre le SIDA, c’est le stigmatisation de la transmission de cette maladie qui se fait par des voies interdites. C’est perçu comme une sanction divine. Le VIH « est mérité ». On est même coupable de porter le virus, le HIV, ça relève de la justice immanente.  A l’ATL, nous nous battons pour rendre le « hors la loi » une loi, pour rendre l’interdit accepter et traiter médicalement. C’est notre combat, notre doctrine.
D’ailleurs nous étions et rassurés depuis quelques années quand le fonds mondial de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et l'intégration les droits humains dans sa liste de « combats » citoyen.

Les Tunisiens ont eux-mêmes besoin de ces informations, que dire alors des personnes étrangères qui viennent en souffrance.

Nous assistons depuis un certain temps à un renforcement des moyens du changement des moyens. Toutefois, nous ne remarquons pas un vhangement des mentalités, notamment du point de vue de la morale.

Les services de santé ne sont pas adaptés suffisamment aux migrants. Les associations et la société civile sont là pour essayer de combler les insuffisances, fournir un accès à la formation, à l’information, aux moyens de prévention qui sont connus en matière de SIDA et de l’hépatite. Pour nous résumer, ce que nous faisons avec ATL, c’est les prises en charge, la prévention et le dépistage de la population migrante en Tunisie.

Maintenant, nous essayons d’aider et d’être présents pour les migrants. Il est important qu’on soit là pour faire le plaidoyer.  Le ministère et l’Etat se doivent d’être présents pour permettre le minimum de services de santé pour le traitement du VIH, de l’hépatite, etc. Pour la mobilisation, nous utilisons le diagnostic communautaire participatif. Lorsque nous avons un projet avec une nouvelle population, ou bien une nouvelle thématique, nous procédons à ce diagnostic. Comme l’ATL est présente partout en Tunisie, la mobilisation se fait à travers les autres centres. Notre rôle est de parler avec ces gens et préparer un guide d’entretien pour avoir une idée sur leur situation, leurs besoins, leurs attentes et surtout leurs pratiques.

La justice et la police sont là pour réprimer. Au lieu d’être à l’hôpital, Une personne malade sera transférée en prison. Cette façon de faire a montré ses limites. L’approche fonctionnelle n’est pas la solution.
L’ATL a eu l‘occasion d’aller à l’Assemblée Représentative du Peuple, à la commission des lois pour les informer de ce que nous faisons “d’illégal”. En effet, nous ne remettons pas un consommateur de drogue à la police.  Nous essayons de lui expliquer, de lui donner parfois une seringue et de lui faire une formation d’économie des veines. Ceci pour qu’il sache comment se faire injecter. Ce que nous faisons est donc en théorie interdit par la loi. On demande à plusieurs intervenants leur avis par rapport à notre méthode de travail dans l’association et ils nous répondent : C’est très bien, mais c’est interdit. Il faut nous aider à le rendre licite.

La sanction est pour moi un échec. Elle est peut-être nécessaire, mais ce n’est pas une solution.

Pour atteindre, sensibiliser, donner l’information, donner légalement les moyens de prévention ainsi que des prises en charge, il faudrait bien évidemment avoir accès à cette population.
Avoir accès aux professionnels de sexe clandestins, qui sont d’ailleurs beaucoup plus nombreux que les professionnels légaux, n’est pas évident. C’est donc très difficile d’avoir accès à des populations interdites.

De plus, avec le temps, on peut impliquer plusieurs acteurs dans la prise en charge de ces communautés. Ils deviennent des membres de notre association, et des responsables dans leur communauté. J’ai remarqué que c'était plus facile pour les jeunes étudiants surtout. 

Comment faites-vous le bilan des 30 dernières années ?

J’ai pu voir des jeunes devenir des formateurs ou des experts nationaux et internationaux.

Pendant 25 ans, nous étions limités à Tunis. Mais maintenant nous sommes présents à Gafsa, Nabeul, Sousse et à Tozeur.

Nous avons également, dans le cadre de notre militantisme, essayé d’aider les toxicomanes qui souffrent beaucoup. Nous avons ouvert un centre pour les femmes accompagnées souvent d’enfants à Tunis, nommé “Espace des Jasmins”.

Ce mouvement ressemble à la révolution tunisienne et nous en sommes très fiers. Je suis très satisfait de la formation de tous les jeunes qui sont passés par l’association. Je suis fier de la décentralisation qui est très importante pour moi. Bien entendu, ce n'est pas nous qui effectuons les déplacements, ce sont les personnes de ces régions-là qui s’y engagent.

Nous avons également créé conjoncturellement des petites campagnes. Nous avons ouvert la première en 1993. C’était peut-être la dernière campagne dans un pays arabo-musulman.

C’était dans le cadre d’un partenariat avec une société privée qui fabrique les jeans, que nous avons effectué une campagne de sensibilisation à l’utilisation de préservatifs. Un partenariat gagnant-gagnant, pour l’entreprise et l’association.

Aujourd'hui, nous sommes encore le seul pays dans la région qui a osé prendre cette initiative.

L'inconvénient était que la trithérapie était très chère dans les débuts de son utilisation. C’est-à-dire le traitement pour un seul mois pour un malade coûte 1500 dt.

Heureusement on avance : les médicaments sont devenus beaucoup moins chers. Maintenant, nous sommes toujours dans l’attente d’un vaccin efficace. Même si nous avons fait des avancées extraordinaires en ce qui concerne les médicaments, nous n’avons pas encore le médicament qui guérit le SIDA. Le VIH est maintenant classé parmi les maladies chroniques et non pas les maladies mortelles.