News - 02.12.2020

Habib Ayadi: Tunisiens, changez de lunettes

Habib Ayadi: Tunisiens, changez de lunettes

Il faut changer de lunettes. Ça va mal finir. Bien loin de l’idée démocratique et républicaine, les comportements, y compris au sein de la chambre des représentants du peuple, évoquent la guerre civile. Il est difficile de ne pas s’interroger sur le décalage par rapport à la réalité. D’un côté des citoyens qui se sentent exclus et méprisés, de l’autre une catégorie heureuse, devenue au fil des années l’emblème des riches et des dirigeants arrogants et surpayés.

I- Les deux Tunisies

Deux Tunisies qui se regardent sans se comprendre, deux Tunisies qui s’opposent. Les crises de Gafsa, du Kamour et bien d’autres sont des avertissements. Au-delà de cette limite, la démocratie ne sera plus valable. Avant de condamner, il faut essayer de comprendre la réaction des citoyens dont les repaires disparaissent : une société bloquée, aggravée par une injustice galopante.

Face à des gouvernements successifs depuis la révolution, aveugles, sourds et muets à leurs conditions, les tunisiens modestes ou chômeurs ont fait de l’occupation des voies et des routes des centres de production de phosphate, de gaz et de pétrole, leur seul moyen de résistance. Une violence qui se cristallise contre la fracture sociale, l’inégalité, et le chômage et une colère qui va au-delà des simples protestations, plus clairement une forme latente de rebellions.

La crise des neuf dernières années a laissé des blessures profondes qui ne se cicatrisent pas. Il en est résulté une Tunisie « déchirée » à la recherche d’un leader et d’un législateur dont l’autorité aurait été telle, qu’ils soient en mesure de surmonter toutes ces contradictions.

II- Mais comment la Tunisie en est arrivée là?

Si l’on se demande pourquoi en-est-on arrivé là, la réponse serait sans appel. La révolution de 2011 a été marquée par des vices et des erreurs, notamment les suivantes:

Au lendemain de 2011 et après le succès d’une révolution à laquelle l’UGTT a participé activement, mais a refusé d’assurer le rôle qu’elle avait joué après l’indépendance comme acteur principal dans l’élaboration de la politique économique et sociale. Elle a choisi de se cantonner dans un rôle revendicatif, créant ainsi un grand vide politique, vite rempli par d’autres.

La non élection d’un président de la République et le revirement du Président intérimaire de son serment;

Le gouvernement d’après le décret-loi du 23 mars 2011 qui a transformé une révolution socio-économique en une révolution politique (sur 120 décrets-lois aucun n’est réservé à l’économie, les finances et le social);

La petite Constitution du 16 décembre 2011 qui a permis à « la Troïka » de se partager le pouvoir.

Deux remarques s’imposent d’emblée à l’observateur : l’incompétence des dirigeants et le mode électoral.

1-La première remarque est sans doute l’incapacité des dirigeants, qui ont pris le pouvoir après la révolution, à traduire en décisions cohérentes les attentes du corps social.

Il est frappant que ces dirigeants réagissent comme s’il n’y avait pas eu de révolution et comme si le pays n’était pas réellement plongé dans une profonde crise économique et sociale.

Ils n’ont pas compris que pour la majorité des tunisiens, la révolution est beaucoup moins la conquête du pouvoir politique que l’introduction dans la société tunisienne de valeurs nouvelles impliquant une réorganisation des rapports essentiels, c'est-à-dire non seulement l’accès à la liberté et à la dignité mais également et surtout à la justice sociale. Mais les nouveaux acteurs politiques qui n’ont pas pris part ou ont pris tardivement part à la révolution, l’ont vite récupéré, et l’ont enfermé dans le passé.

De même , ils n’ont pas compris que la politique est un métier. Que c’est une vocation qui exige une formation et de la compétence. L’exercice du pouvoir, surtout après une révolution, exige des dirigeants solides et visionnaires, appliquant une organisation et une vision issues d’une réflexion largement débattue avec le peuple et qui, face aux résistances, ont le courage de ne pas céder.

Plus généralement, on ne peut diriger un pays avec des résultats électoraux. Il faut avoir de l’expérience, de la compétence et la volonté de convaincre … Mais pour l’heure, il est manifeste qu’aucun prétendant politique ne donne envie aux tunisiens, ni par sa personnalité, ni par son charisme, ni par son programme économique et social. Mais que peut-on attendre d’un groupe d’amateurs pour lesquels la révolution est une aubaine, et qu’il convient d’en profiter au maximum ?

2- La seconde remarque est le mode électoral

Le système de la représentation proportionnelle avec le plus fort reste a tué la politique et a bloqué toute réforme. En excluant de la compétition tous ceux qui peuvent apporter un contre-discours, elle a permis à certains partis de s’installer solidement au pouvoir. Précisément, le système électoral a été forgé par certaines formations politiques pour se maintenir et beaucoup d’entre-elles n’envisagent plus un autre système qui les contraindraient à se sacrifier sur l’autel de l’efficacité politique et la justice électorale.

III- Sortir de la crise

Certes on ne refera pas l’histoire, mais comment sortir de cette crise profonde qui va malheureusement perdurer ?

Le ras-le bol des tunisiens à l’égard des dirigeants actuels est justifié. Ces dirigeants se sont révélés incapables de mettre en place des projets de réformes crédibles. Et à la question de savoir quelle trace ces dirigeants laisseront dans l’histoire, la réponse est rien ou presque rien.

1/ Le recours aux compétences

Habituellement, lorsqu’on parle avec ferveur de gouvernements de « compétence » ou de « technocrates » et qui seraient en mesure de sortir un pays d’une crise économique et financière, cela laisse entendre que ceux-ci incarnent un renouvellement de la pensée économique et financière et qu’ils sont davantage portés à s’affranchir de la vision parfois équivoque des politiques. Exempts de toute subjectivité, leurs discours rassurent.

L’expérience montre que les grands réformateurs ont su s’adresser au peuple, rétablir la confiance plutôt qu’aller vers la confrontation. Le plus important pour un tel gouvernement est de susciter l’adhésion aux programmes projetés et les sacrifices à supporter. Ils doivent à cet effet bénéficier de tous les pouvoirs de délégation nécessaires pour l’exécution de leurs programmes.

Or, même si l’on admet que le gouvernement nouvellement installé est un gouvernement de compétences, sa tâche ne sera pas facile. Aux termes de l’article 70 de la Constitution, l’Assemblée ne peut habiliter le Chef de gouvernement à prendre des décrets lois que pour une période de deux mois.

Dans la situation actuelle de crise économique et sociale, on ne peut réformer avec des contraintes et des délais d’habilitation aussi limités. A cela s’ajoute une chambre ingouvernable, des partis politiques dépourvus de base populaire et incapables de faire admettre les réformes, face à des lobbys puissants qui n’ont d’autre légitimité que celle du fait accompli.

2/ La loi des finances de 2021

Plus grave, l’histoire tend à se répéter. Le projet de loi de finances pour 2021 est un retour aux années 2012. Les mesures avancées relevant de l’improvisation.

Un système fiscal inefficace, réduit à un simple outil de financement du budget. Pas la moindre réforme fiscale ni la moindre volonté de lutter contre la fraude fiscale et la corruption.

En présence d’un déficit colossal, les solutions proposées consistent à prélever encore plus sur ceux qui ont déjà payés, c'est-à-dire les salariés, les retraités et les quelques contribuables honnêtes.

S’agissant de l’augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés, la mesure n’est certainement pas souhaitable. Les pays étrangers ont déjà réduit cet impôt : aux Etats Unis, il est ramené à 21%, en Europe, au Japon ou Chine, il est réduit à 18% et peut être dans quelques années à 15%. Déjà certains pays européens l’ont réduit à 9% ou à 12%. En parallèle, l’impôt sur le revenu doit être réduit (en application de l’article 10 de la Constitution). C’est une mesure nécessaire, elle doit être différente de 2016 : un simple transfert de catégorie.

Le problème de l’imposition des sociétés étrangères est délicat en raison des difficultés à identifier les entreprises concernées. Par ailleurs, la Covid-19 a tout bouleversé et il faut attendre les lois de finances de certains pays européens.

Quant aux forfaitaires, le problème ne se limite pas à des mesures législatives mais surtout à la réorganisation de l’administration fiscale.

IV- Retour au peuple

Nous sommes aujourd’hui face à une rupture radicale entre les classes sociales. Le pays a besoin de prendre des décisions douloureuses, car ceux qui ont gouverné pendant neuf ans n’ont pas traité avec sérieux les réformes. En clair, la nouvelle situation du pays exige des réformes qu’aucun gouvernement précédent n’a osé entreprendre. Il n’est pas pire faute que de cacher au peuple la réalité. Il faut tout dire au peuple : où l’on est, ce qui fonctionne et ce qui est en panne également, les dirigeants qui ont contribué à cette crise. Se taire c’est tromper le peuple et donc dénaturer la démocratie.

La révolution tunisienne porte en elle une forte revendication de dignité et de justice sociale. Ces objectifs ne peuvent être atteints que dans le cadre d’un choc politique, économique et social. Le retour au peuple est donc nécessaire.

Dans tout régime démocratique, le retour au peuple présente cette particularité qu’il est l’expression directe de sa volonté souveraine, et il ne peut ni ne doit être privé de ce pouvoir.

La transition passe nécessairement par un changement du modèle économique, financier, social, mais également et surtout fiscal. Seule une fiscalité juste et une lutte acharnée contre la fraude fiscale et la corruption permettent de montrer au peuple que l’on s’attaque vraiment à la fraude et aux privilèges, et aider ainsi une population à accéder à une vie meilleure.

1) L’impôt, pilier de tout modèle de la société démocratique et la clef de voûte de la vie en commun

Si après la révolution de 2011, la Tunisie a moins subi les difficultés qui ont frappé les autres pays arabes, c’est en raison d’un système protecteur : une administration compétente et l’impôt.
Il est temps de rendre à l’impôt sa place dans le débat politique. Il est temps, comme le précise l’article 10 de la Constitution, d’appliquer le principe « que chacun contribue selon ses moyens ». Il nous faut redéfinir les règles de contribution des richesses nationales sur la base de règles d’imposition juste et efficace.

2) L’impôt outil du bien collectif

Dans un passé récent (2014 et 2015) M. Elyès Jouini a souligné dans un article à LEADERS que le gouvernement, en Tunisie, donne le sentiment d’une inertie coupable : pas la moindre réforme d’envergure, ni une volonté manifeste de lutter contre la fraude et la corruption. A l’appui, il cite les résultats d’une étude d’un cabinet anglais qui aboutit aux conclusions suivantes : après la révolution, le nombre de milliardaires a augmenté de 17%, leur fortune accumulée représente la moitié du budget de l’Etat, et le coût de l’évasion fiscale s’élève à 70% des recettes fiscales, alors que 6500 tunisiens ont un patrimoine qui excède le million de dollars. Ce sont des chiffres d’avant 2014. Ils sont déjà importants. Mais ils ont certainement grandi depuis.

Pour l’instant, et depuis la révolution, tous les gouvernements successifs ont été incapables d’apporter le moindre début de réponses crédibles aux aspirations légitimes du citoyen.

Le système fiscal est vu toujours comme en 1930, soit un simple outil de financement du budget de l’Etat. On continue à suivre une approche financière et comptable. Il s’agit toujours pour l’Etat de trouver des recettes, même si on continue à écraser les mêmes, sans se préoccuper du principe d’imposer à chacun selon ses moyens, sans se préoccuper de lutte contre la fraude ou de rééquilibrage nécessaire du système fiscal.

Les gouvernements successifs n’ont trouvé de mieux que s’endetter, oubliant qu’une telle politique ne dure qu’un temps et la réalité finira par les rattraper.

L’Assemblée des représentants du peuple, endormis pendant six années, escamotent tout débat en matière de réforme fiscale et continue son « spleen », marqué par son désintéressement des finances publiques et plus généralement de la chose publique.

3) Un Etat fainéant

Tout se passe comme si l’on assiste à une dérive vers un moyen âge fiscal, représenté par un Etat fainéant et des privilégiés.

Un Etat fainéant dépourvu de l’autorité nécessaire pour imposer ses décisions et qui se contente de légiférer sans faire l’effort nécessaire pour empêcher de se créer du non-droit, alors qu’il dispose des moyens et de la technologie lui permettant d’augmenter ses recettes fiscales.

De l’autre, comme au moyen âge, il existe des fortunés. Ces nantis constituent une aristocratie, toujours plus puissante et influente.

Certains d’entre eux n’hésitent plus à défier le pouvoir, d’autres se substituent à un Etat défaillant, toujours plus nombreux en tout cas.

Enfin des salariés, des retraités et les quelques contribuables honnêtes sont soumis pleinement à la loi fiscale et supportent seuls les impôts. Ils ont le sentiment d’être pris dans une impasse et de ne pas pouvoir échapper à de multiples prélèvements.

4) Impunité fiscale; quand l’Etat brade sa souveraineté et quand les trois Présidents de la République et les sept Chefs de gouvernement ignorent l’impôt

La question qui se pose est de savoir si les catégories de classe moyenne ou les classes modestes suffisent-elles à combler le manque à gagner que subit le budget de l’Etat, du fait des différentes formes de fraude et d’évasion fiscales ?

Ne faut-il pas chercher ailleurs et certainement pas chez les salariés, mais chez les milliardaires qui font défaut au budget de l’Etat ?

Il a été décidé depuis des années le prélèvement de 1% sur les salariés et retraités comme s’il n’y avait pas d’autres revenus à prélever. L’examen attentif du système fiscal conduit, cependant, à constater une appropriation de l’impôt par certaines catégories de contribuables et conduit dans les faits à de multiples systèmes d’imposition à faces multiples.

D’un côté des contribuables dont l’imposition est déterminée selon les règles de droit commun. De l’autre:

Des contribuables, en dehors de la loi de droit commun et qui déterminent la vérité fiscale selon leur convenance;

Des réfractaires, en dehors de la loi fiscale pour qui l’impôt « c’est quoi » ou « de quoi parle-t-on ? » et qui ne déposent ni déclaration d’existence ou de revenus;

Des contribuables, exemptés de fait par la loi : il s’agit surtout des quatre cent mille forfaitaires dont la participation à l’effort fiscal est insignifiante, et que beaucoup d’entre eux mènent un train vie confortable et dont les enfants sont inscrits dans les meilleures écoles en Tunisie et même dans les universités étrangères. Il faut à tout cela ajouter les propriétaires immobiliers exemptés de fait du payement de l’impôt sur les locations à usage professionnels ou d’habitation.

A tout cela s’ajoute les montages sophistiqués en matière de T.V.A. (et même d’impôt sur le revenu), les doubles factures, les chèques non barrés et plus grave encore, la facturation de la TVA sans la verser au Trésor.

Les privilèges

C’est la loi particulière. Le contraire de l’égalité juridique et fiscale en matière de prix des carburants. Le point le plus sensible pour l’opinion est présenté par cette inégalité. C'est-à-dire le privilège de bons d’essence, de la voiture de fonction, de la consommation gratuite de l’électricité et du gaz sous forme d’avantage en nature.

On ne peut continuer à demander aux catégories sociales à revenus moyens ou faibles de financer ces privilèges, et de payer les carburants, l’électricité et le gaz au prix le plus fort.

La conduite du changement implique aujourd’hui la capacité d’assurer, dans de bonnes conditions, le passage d’un ordre juridique et financier ancien à des règles nouvelles.

La lutte contre la fraude fiscale

Ce qui caractérise actuellement la lutte contre la fraude, c’est un mélange de paresse, de fatalisme et d’incompétence. Les tentatives de lutte contre la fraude par les lois de finances de 1976 ou de 1981 ont été rapidement étouffées par des lobbys puissants, telle la poussière sous les tapis. Il en est de même de la réforme de 2016.

Dans les faits, la lutte contre la fraude fiscale repose en premier lieu sur la capacité de l’Etat de détecter la fraude, c'est-à-dire sur l’administration. Et seulement en second lieu qu’elle repose sur la loi et les sanctions, car la simple connaissance par le contribuable que l’Etat est en mesure de détecter la fraude, peut à lui seul contribuer à prévenir la fraude.

Plus généralement, en matière de contrôle et de redressement, l’efficacité de l’administration se trouve renforcée par les nouvelles technologies de l’information et l’échange de renseignements qui troublent désormais le sommeil des fraudeurs.

Le Canada, la Suède ainsi que la Turquie ont connu dans les années 1992-93 des déficits et des dettes supérieures aux nôtres. Ils ont mis en place des ministres et des cadres de hauts niveaux, et ont expliqué au peuple les difficultés du pays pour annoncer des réformes systémiques et non une succession de réformettes.

La lutte contre la fraude exige la mise en place d’une administration dense, expérimentée, capable d’accomplir des opérations très compliquées. L’exemple de la Suède est pertinent. La création des agences a donné des résultats remarquables.

Il faut espérer que nous soyons à un tournant. La demande de transparence fiscale est trop forte pour que rien ne soit fait. Ce ne sont pas des ajustements de l’administration fiscale qui sont nécessaires, mais une réorganisation complète.

Une nouvelle élite doit trouver le courage nécessaire pour rétablir la confiance plutôt que la confrontation, comprendre les mutations du monde nouveau et mettre le pays au travail, et rompre avec la médiocrité des campagnes électorales de 2014, 2018 et 2019.

Un ministère qui s’agrippe à son pouvoir et maintient les choses en l’état

Le ministère des finances le sait : sans réformer l’administration (et surtout l’administration fiscale), il n’y aura pas de redressement de l’Etat.

Impossible de continuer de concevoir une administration du siècle dernier qui règle au mieux avec prudence. En 2013, et pour un peu plus de 60 millions d’habitants français, l’administration fiscale traite 50.000 dossiers et vérifications dont 4500 intéressant les fraudeurs. En Tunisie avec presque 11 millions d’habitants on ne vérifie en moyenne que 2500 par ans.

Les divers ministères de finances ont tendance de considérer l’administration héritée du protectorat comme refuge au sein d’un monde politique chaotique et comme serviteur du devoir de l’Etat et de l’intérêt général. 

L’affaiblissement de l’Etat surtout après la révolution marque un terme à une politique révolue, la fin de l’idée d’intérêt général. Ce nouveau fonctionnement pense à lui avant de penser aux autres.

En conclusion, faut-il le souligner, si la classe politique actuelle qui s’est installée en Tunisie après la révolution ne comprend pas que tout est à revoir quant au rôle et au fonctionnement de l’Etat et que le pacte fiscal et social reste à reconstruire. Si elle persiste à ne vouloir rien entendre, si elle n’est pas capable de lire le monde actuel et de se débarrasser de ces intérêts personnels et si elle se montre incapable d’être en phase avec le peuple, il est certain que les tunisiens ne pourront plus suivre une élite dirigeante sourde et vivant dans le monde d’hier.

De surcroît, si cette classe pense encore pouvoir faire une Tunisie sans le peuple, elle court des risques mortels et prépare des lendemains encore plus amers.

Faut-il enfin le rappeler, c’est une constante de l’histoire que l’affaiblissement de la classe moyenne est toujours la première cause de l’émergence des dictatures ?

Faut-il enfin rappeler que l’histoire tend souvent à se répéter. La révolution française de 1848 a été faite en février au cri « vive la réforme ». Les hommes politiques, installés au pouvoir, ont ignorés les réformes économiques et sociales et ont consacré leurs réformes aux droits politiques. La révolution s’est trouvée très vite au plus mal. Viennent alors les journées de juin 1848, l’élection ensuite du prince Louis -Napoléon Bonaparte, le coup d’Etat en 1851 et le rétablissement de l’empire en 1852.

Habib Ayadi
Professeur émérite à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales Tunis II