News - 29.11.2020

Le «Terrorisme environnemental», au prétoire

Le «Terrorisme environnemental», au prétoire du juge

Nejiba Zaier. Magistrat et ex-directrice des études à l’ISM  - Aborder l’environnement, implique, évoquer la beauté de la vie, et  la préservation de tous ses constituants, éléments sur lesquels sont transfusés les objectifs énumérés  par  l’article Premier de la convention de Rio de Janeiro de 1992, cet environnement qui ne trouve pas une définition claire et satisfaisante, mais, qui est avancé dans la majorité des textes de manière catégorisée et fragmentée, te qu’il échoit de l’art.2 de la loi du 2 aout 1988, modifiée par la loi n°92-115, du 30 novembre 1992, relative à la création de l’ANPE. Cet environnement, représente non seulement notre quotidien, mais notre avenir à tous, tel que proclamé hautement par Gro Harlem Brundtland, dans son fameux rapport de 1987, «Notre avenir à tous» et par une grande majorité de textes internationaux, œuvrant pour sa préservation et  conservation.

A l’heure où l’on peut se réjouir de la constitutionnalisation du droit à un environnement sain, proclamé par la constitution Tunisienne, qui proclame ce dernier parmi l’un des droits de l’homme à l’art.45, corroboré par d’autres textes , dans le processus du développement durable; des catastrophes environnementales ne cessent de s’abattre sur l’environnement, dans un fléau qui n’épargne aucun des éléments constituant ce dernier, prenant une armada de configurations, tributaires  de l’essaim d’activités, qui en sont sources et causes.

L’exemple tout récent en Tunisie illustré par le cas des déchets arrivés de l’Italie, et gisant aujourd’hui au port de la ville de Sousse, qui a fait sursauter medias, juristes et environnementalistes, semant discordes et inquiétudes sur le plan de la responsabilité, mais surtout, propageant  la peur dans les cœurs et les esprits, la terreur auprès des citoyens de la dite ville, mais aussi  auprès de toute la population Tunisienne, vu le danger  éventuel  et imminent, sur la santé, la mer, l’air, la faune et la flore maritime et terrestre;  situation d’urgence environnementale dans toutes ses dimensions à notre sens.

Des questions se poseraient sur  l’appréhension du juge de ce genre de crimes, pour une reconnaissance du «terrorisme culturel», compte tenu de l’acuité de l’impact de ces déchets ménagers empilés, et accostés sur nos cotes, et pouvant dégager d’un moment à un autre des catastrophes bactériologiques et  chimiques, qui seront révélés dans le rapport d’expertises requises déjà  par le juge compétent territorialement.

Ce genre d’ actes, nocifs  à l’environnement, à un degrés grave et élevé, nécessitent une interprétation des textes, au delà de la simple protection de l’environnement, cette interprétation prend son essence dans  un fondement juridique organisé par le droit international, mais résidant aussi, dans  les normes du droit interne, deux contextes qui suscitent deux remarques, à savoir, la nécessite d’une reconnaissance du «terrorisme environnemental»; existant déjà  dans la nomenclature juridique internationale, et une application des normes relatives à ce dernier, prenant allure  dans le droit interne évoluant  à cet insu.

I-Nécessite d’une reconnaissance du «terrorisme environnemental» à travers les normes internationales 

L’appréhension du juge , du « terrorisme environnemental », se vérifiera dans sa témérité, à l’occasion de sa connaissance de litiges où il est sollicité à relever les éléments d’atteintes graves et dangereuses, portées sur l’environnement,  à travers  son appréciation et sa prise en considération de certains crimes terrorisant  une population dans son environnement. une ambivalence d’intérêts qu’il échoit au juge, garant de la protection des droits et des libertés, de contenir et de  protéger, contre le « terrorisme environnemental », par la nécessite de la reconnaissance de ce crime à travers la nomenclature du normes internationales.

Le terrorisme  a une résonance linguistique qui « fait peur », faisant allusion à tout ce qui est de nature à semer la crainte, l’effroi et la consternation des citoyens, ce terrorisme est appréhendé le plus souvent, par référence à l’humain, et à sa vie, et à son intégrité physique, étant le sujet  le plus  protégé par la loi, en revanche,  est-il temps de parler de « terrorisme environnemental » si les actes subversifs, portent atteinte à cet humain, à travers tous les éléments constituant l’environnement ? Sachant que ces éléments de l’environnement, s’ils sont protégés par le corpus juridique international, c’est surtout, «l’humain» qui en sera le premier  bénéficiaire à plus d’un titre. Notre motivation de la reconnaissance du terrorisme environnemental, résidera dans les textes internationaux, faisant allusion, expresse ou implicite à la protection de l’environnement contre ce «terrorisme environnemental», certains préfèrent parler du  «terrorisme écologique», mais à notre sens, nous optons pour le « terrorisme environnemental», qui englobe tous les éléments de l’environnement, y compris l’écologie.

L’affaire des conteneurs des déchets Italiens, accostés aux ports Tunisiens, permet le retour à  la convention de Lugano du 21 juin 1993,  venue organiser la responsabilité civile relative  aux dommages  résultant d’activités dangereuses pour l’environnement, en outre, rien dans le droit Tunisien, n’empêche le juge d’appliquer les conventions internationales, surtout que la constitution de 2014 place les traités internationaux entre la constitution et la législation interne, telles, la convention pour la répression  des actes de terrorisme  nucléaire, de 2005 , entrée en vigueur en 2007; à laquelle la Tunisie   a adhéré par l’approbation  et la ratification , et qui condamne l’atteinte à l’environnement dans plusieurs dispositions (article premier-1, article2-a-ii ;article 2-b-ii,article6 etc.) ; le protocole de la répression  des actes illicites contre la sécurité des plates formes fixes, situés sur le plateau continental  ; la convention pour la répression  des actes illicites contre la sécurité de navigation  maritime, etc.

II-Instruments juridiques élargis sur le plan interne, pour juguler le terrorisme environnemental

L’absence d’un code de l’environnement,  et d’une nomenclature environnementale claire et spécifique, cède la place à un arsenal juridique important, mais épars, n’aidant pas le juge Tunisien qui se surpasse  et fournit des efforts supplémentaires, quand il est sollicité à connaitre des affaires environnementales.

L’affaire des déchets Italiens, suscite l’application rigoureuse de  la législation interne. Ainsi, le législateur organise le contrôle, la gestion et l’élimination des déchets dangereux, en vertu de  la loi n° 96-41, du 10 juin  1996 , telle que révisée par la loi n° 2001-14 du 30 janvier 2001, portant simplification des procédures administratives, relatives aux autorisations délivrées par le ministère de l’environnement et de l’aménagement du territoire dans les domaines de sa compétence , textes assez vieux  à notre sens, et nécessitant une révision pour être en concomitance avec  la constitution de 2014.

Dans cette optique, la témérité du juge, sera au rendez vous avec l’histoire de la protection de l’environnement, afin  de défoncer les portes grinçantes et d’agir promptement vers une protection plus accrue de ce derniers. Concernant cette  affaire des déchets Italiens, le juge recherchera dans les clauses du contrat liant les parties,( la société chargée de l’importation des dits déchets, l’ANGED , le ministère de l’environnement etc..) impliqués directement dans l’import, la gestion et le traitement de ces déchets, pour déceler  le rôle de  chaque  partie impliquée dans l’arrivée de tels déchets ménagers  sur le territoire tunisien, afin de  mettre en exergue les éléments, matériels et intentionnels concernant l’impact des  dangers en émanant sur l’environnement, et l’incrimination, d’une part ; et  de cerner   les responsabilités, d’autre part.

Pour ce fait, le juge trouvera un fondement dans les articles 218  et 319 du Code pénal, mais surtout au sein des normes de la loi –organique n° 2015-26 du 7 out 2015, telle que modifiée  par la loi  n°2019-9, du  23 janvier 2019, relative au terrorisme et au blanchiment d’argent, qui incrimine une multitude de formes d’atteintes à l’environnement, les considérant comme actes terroristes,  à l’art.3, qui traite des actes de terrorisme transnational , à l’art.14 cinquièmement, à l’art.19-5, l’art.19-2,l’art.23 et surtout l’article 20 qui évoque le transport intentionnel de substance  à bord d’un navire, pouvant porter atteinte à l’environnement.

Une nécessité aujourd’hui pour le juge, les organes de la police judiciaire,  la société civile et tous les acteurs impliqués dans la gestion et la protection de l’environnement, conjurés à  de ne pas hésiter à prendre en considération ces textes, pour condamner ouvertement  le «terrorisme environnemental».

Nejiba Zaier
Magistrat et ex-directrice des études à l’ISM

(1) ISM : Institut Supérieur de la Magistrature

(2) La Tunisie a ratifié la  convention de Rio de Janeiro sur la diversité biologique du 5 juin 1992, en vertu de la loi n° 92-45 du 3 mars 1993, JORT n° 35, du 11 mai 1993, p.627, et publiée en vertu du décret n°93-2372 du 22 novembre 1993, Au JORT n° 97 du  22 novembre 1993, p.2120.

(3) زاير( ن) ، حماية البية بين القانون وحقوق الانسان، مجمع الاطرش للكتاب المختص،تونس.2019،ص.48
Ferchichi (W), la protection de l’environnement en droit Tunisien, Cejj. Tunis.2031, p.13.

(4) JORT n°81 du 4 décembre 1992, p.1539-1540.

(5) Agence Nationale de la Protection de l’Environnement

(6) Kiss (A) et Beurrier (J-P), Droit international de l’environnement, Edition. A. Pedone, 3eme édition, Paris.2004, p.42.

(7) https://undocs.org/A/42/427

(8) La constitution Tunisienne du 27 janvier 2014, offre plusieurs dispositions de protection de l’environnement dans le cadre du développement durable, à l’art.12,  et des libertés fondamentales, garantissant le droit à l’eau, art.44, à l’environnement, art.45 ; l’art.49, et en instituant l’instance du développement durable  et de la protection  des droits des générations futures., art.129 de cette constitution.

(9) La majorité des medias ont relaté que la douane Tunisienne a saisi en juillet 2020, un nombre de 282 conteneurs, au port de la ville de Sousse, comprenant des déchets solides, arrivant de l’Italie, une enquête est en cours les concernant.

(10) زاير(ن) قانون البيئة، مجمع الاطرش للكتاب المختص،ص.596.، رشوان( ر)، "الارهاب البيئي في قانون العقوبات، دراسة تحليلية  نقدية مقارنة، دار الجامعة الجديدة للنشر ، 2009،ص.29

(11) Art.20 de la constitution du 27 janvier 2014.

(12) Convention adoptée à New York e  13 avril 2005.

(13) Entrée en vigueur le 7 juillet 2007.

(14) Loi n°2010-31, du 21 juin  2010, portant approbation de l’adhésion de la Tunisie à la convention internationale  pour la répression des actes de terrorisme  nucléaire, JORT n° 51 du 25 juin 2010, p.1763.

(15) Le décret n° 2010-2060 du 23 aout 2010, portant ratification de l’adhésion à la convention précédente, JORT n°  du 31 aout 2010, p.2449.

(16) La loi n°97-82 du 15 décembre 1997 relatif à l’autorisation de la Tunisie a cette convention, JORT n° 101 du 19 décembre 1997, p. 2370,  publiée en  vertu du décret n°98-1543 du 27 juillet 1998, JORT n°64 du 11 aout 1998, p.1738-1743

(17) JORT n° 101, du  19 décembre 1998, p. 2370.

(18) JORT n° 49 du 18 juin 1996, p.1192-1196.

(19) JORT n° 10 du 2 février 2001, p.214-215

(20) Agence Nationale, de Gestion des Déchets.

(21) JORT n°9, du 29 janvier  2019, p.235-242.