News - 29.11.2020

Habib Touhami : C’est déjà demain

Habib Touhami : C’est déjà demain

Par Habib Touhami - Selon certaines projections des Nations unies effectuées à partir des résultats du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2014, la population de Tunisie atteindrait 11,8 millions en 2029 (hypothèse basse) ; 12,5 millions (hypothèse moyenne) et 13,2 millions (hypothèse haute). En 2044, la population tunisienne atteindrait 11,726 millions (hypothèse basse) ; 13,085 millions (hypothèse moyenne) et 14,487 millions (hypothèse haute). Le temps où la population du pays doublait d’effectifs en à peine un quart de siècle et triplait en un demi-siècle est donc révolu. Toutefois, le pays aura à faire face malgré tout à des évolutions démographiques dont les conséquences socioéconomiques et environnementales seront lourdes pour le milieu, la santé, la protection sociale et l’économie.

Pourtant, aucun débat national sérieux n’a été initié à ce sujet révélant, si besoin est, l’incapacité du politique à préparer l’avenir. Il est vrai que la confusion des termes entre l’économique et le démographique perdure encore bien qu’elle ait conduit le pays par le passé à très mal gérer les problématiques de l’emploi, du chômage et des équilibres financiers de la sécurité sociale.

En effet, 2029 ce n’est pas du long terme démographique qu’il s’agit mais bien du court terme. Certes, aucun «standard» reconnu ne définit précisément la durée du court, du moyen et du long terme en démographie. Le fait est qu’elle diffère sensiblement de la durée du court, du moyen et du long terme en économie. Si l’on prend l’exemple du court terme en économie, six mois à un an, cela pourrait avoir un sens (surtout en finances), mais ce n’est nullement le cas en démographie. Que la population d’un pays augmente ou diminue en un an, trois ou même cinq, mérite que l’on s’y attarde, mais aucune conclusion pertinente ne peut en être tirée. Ainsi, l’augmentation de l’ISF entre 2004 et 2014 est-elle palpable, mais elle n’a pas signifié pour autant un retournement définitif des tendances de la fécondité dans le long terme démographique. Treize ans après, l’ISF est revenu à son niveau de 2004-2005.
L’INS note à ce sujet, avec juste raison, que la hausse de l’ISF entre 2004 et 2014 ne résulte pas d’une modification significative des normes et des comportements sociaux, déterminant capital de la natalité à long terme,  mais de la pyramide des âges, d’un changement du calendrier de la nuptialité et aussi de l’augmentation du nombre de mariages suite à l’entrée en nombre des cohortes nées il y a trente ou quarante ans.

Projection des Nations unies (population en 1000)

ISF et naissances

Quoi qu’il en soit, la population tunisienne a été estimée au 1er Juillet 2019 à 11.658.341, ce qui situe l’estimation plus près des résultats des projections de l’hypothèse moyenne que celles des hypothèses basse ou haute. Et pour remettre les choses dans leur contexte, on notera que la population de Tunisie a continué à s’accroître depuis le recensement de 1921, passant de 2,094 millions à 2,411 millions en 1931 et à 3,231 millions en 1946 (10% d’étrangers en moyenne). En 1956, date de l’Indépendance, la Tunisie comptait déjà 3,783 millions d’habitants (9% d’étrangers). Malgré le départ massif de la population étrangère entre 1956 et 1966 et la première vague d’immigration, la population de Tunisie a continué à s’accroître pour atteindre 4,533 millions en 1966 (1,5% d’étrangers), 5,588 millions en 1984, enregistrant lors de la période 1975-1984 le taux d’accroissement le plus élevé jamais enregistré (2,5%) dans le pays. Or ce taux n’a été que de 1,03% au cours de 2004-2014 contre 1,21% au cours de la période 1994-2004, annonçant ainsi le déclin relatif du croît démographique comme l’indique le tableau ci-dessous.

Evolution de la population de Tunisie depuis 1966 en 1000

S’agit-il d’une tendance qui pourrait s’inverser dans le long terme démographique, c’est-à-dire au-delà de 15 ans et plus, à l’horizon 2029 ou 2044 par exemple? La réponse est non, et quoique pensent les tenants irréductibles d’une natalité « dirigeable » ou retournable, le croît démographique annuel moyen sur une longue période de la population tunisienne ne pourra pas revenir à son niveau moyen de 1956-1994 et ce en dépit de la hausse de l’ISF à certaines périodes.

Avec le vieillissement de la population, le nombre annuel de décès a fini par peser sur le croît démographique annuel pendant que le nombre annuel de naissances a vu son influence diminuer relativement. D’autres constats viennent réconforter cette analyse.

1- Dans la société tunisienne telle qu’elle est, le mariage reste le seul cadre légal, accepté socialement et culturellement pour la procréation. Même dans les milieux sociaux les plus « évolués », les mentalités et les réflexes sociaux n’ont pas évolué au point d’accepter le concubinage et les enfants nés hors mariage. De ce fait, l’âge au premier mariage reste le déterminant fondamental du niveau de la fécondité. Plus il augmente, moins est la fécondité.

Evolution de l’âge moyen au premier mariage (en années)

2 - L’âge au premier mariage des femmes est dépendant essentiellement de leur niveau d’instruction.
Une différence subsiste encore par milieu, certes, mais plus le niveau d’instruction s’élève, moins importante est cette différence.

Age moyen au premier mariage des femmes en 2014 selon le niveau d’instruction et le milieu 

Sur quoi faut-il conclure à ce stade ?

1 - La natalité et la fécondité sont des phénomènes démographiques dont l’évolution doit être regardée dans le long terme. Elles sont en effet multidimensionnelles et multifactorielles par nature et complexes à analyser dans le court et le moyen terme. Croire comme certains le pensent qu’on peut les influencer durablement par des mesures de nature matérielle ou doctrinale est une hérésie. A moins d’interdire aux Tunisiennes l’accès libre à l’enseignement et au travail, l’ISF ne pourra pas revenir à son niveau de 1966 (7,2), ni à son niveau de 1975 (5,8), 1984 (4,7) ou 1994 (2,9).

2- Il existe une relation solide entre la fécondité et le niveau d’instruction des femmes. Certes, le nombre moyen d’enfants augmente en fonction de l’âge de la mère, mais on constate que le niveau d’instruction de la femme interfère sur son rythme d’évolution. Au total, plus élevé est le niveau d’instruction, moins élevée est la descendance finale. Toutefois, on constate qu’entre 2004 et 2014, la descendance finale des femmes a baissé partout mais c’est dans le gouvernorat de Kébili qu’elle a baissé le plus. Ceci n’est pas sans rapport avec le célibat et l’âge du premier mariage à Kébili.

3 - Les migrations intérieures jouent un certain rôle dans le vieillissement prématuré de la population dans certaines régions en manque de développement socioéconomique et le maintien de la fécondité à un certain niveau dans certaines régions plus développées et ce en raison de la composition par âge et du niveau d’instruction des migrants.

4 - Les polémiques qui perdurent depuis une dizaine d’années sur le célibat, l’âge du premier mariage et la polygamie apparaissent d’autant plus irrationnelles et nocives qu’elles empêchent de se pencher avec sérieux sur des problématiques plus déterminantes pour l’avenir du pays : la répartition spatiale de la population, le vieillissement, le taux de dépendance, etc.