News - 15.11.2020

Contrôle général des services publics: Ces super-contrôleurs à qui rien n’échappe

Contrôle général des services publics: Ces super-contrôleurs à qui rien n’échappe

Il avait failli vaciller sous le coup des récentes interférences politiques. Mais, faisant bloc et fort de sa doctrine, le Contrôle général des services publics (Cgsp) a tenu bon. Se retrouver tiraillé sous une cotutelle au sommet du gouvernement, comme ce fut récemment le cas, a été fort perturbant. Rattaché directement au Chef du gouvernement, et agissant sous ses ordres, c’est de lui, et lui seul, que le Cgsp est habilité à recevoir ses ordres de mission dûment signés. Aucune délégation de signature totale ou limitée en la matière (par Elyès Fakhfakh) n’est légalement autorisée, même pas en faveur d’un ministre d’Etat chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la malversation (Mohamed Abbou). Première grande mise en difficulté. Et se voir confier par le ministre d’Etat une mission d’investigation dans un dossier de présomption de conflit d’intérêts impliquant un Chef de gouvernement en exercice ne peut que s’ajouter à ce qui est déjà kafkaïen. Pas pour le Cgsp.

Ce grand corps est resté fidèle à sa vocation fondatrice d’organe central chargé sous l’autorité directe du Chef du gouvernement de l’audit, indépendant, professionnel et éthique, de l’ensemble des services de l’Etat. Qu’il s’agisse d’enquêter sur les présomptions de conflit d’intérêts d’un des plus hauts dirigeants, de mener des missions de contrôle approfondie sur les services de la présidence de la République, du gouvernement ou de l’ARP, ou encore d’auditer le dossier de l’exploitation du champ pétrolifère de Halk El Mnezel ou celui des actions confisquées détenues dans Orange Tunisie et des conditions de leur cession et autres, la même démarche est appliquée. Sans états d’âme, sans parti pris. Quitte à subir tant de pression et d’influence parfois. Voire des récriminations... Impassiblement.

Assermentés, protégés par la loi, tenus par une obligation de réserve et de secret et un code d’éthique, et munis d’une carte professionnelle réglementaire, les contrôleurs, tous grades confondus, se dédient avec abnégation à leur mission. Le manuel de procédures établi du temps de leur ancien chef de corps, Mohamed Rachid Kechiche, leur reste très instructif. Ils ne sont pas nombreux : 87 au total, mais  52 seulement sont en exercice. Les autres sont souvent détachés pour des missions extérieures ou à l’étranger. C’est le cas notamment de l’actuel Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, ou encore du secrétaire général du gouvernement, Oualid Dhehibi, qui était jusqu’à récemment (avec sept de ses autres collègues) détaché auprès de la Cour des comptes de l’Etat du Qatar. D’autres exercent actuellement (ou ont exercé) en tant que gouverneurs, contrôleurs d’Etat, à la tête ou au sein de cabinets ministériel, d’organismes et d’entreprises publiques. Le moule est bon et le profil prisé. Pour la plupart issus du cycle supérieur de l’ENA, ils forment un maillon solide et précieux des corps d’élite au sein de la haute administration.

Les pouvoirs du Contrôle général des services (publics) sont étendus : tout ce qui émane de l’Etat, tout ce qui a un rapport avec les deniers publics, en Tunisie et à l’étranger. Un ministère, un organisme public, une entreprise nationale, une association bénéficiant d’un financement public, une entreprise privée ayant accédé à des avantages publics, une collectivité locale, un projet de coopération internationale, et autres : tout fait partie de son périmètre de contrôle. Plus encore, l’audit des politiques publiques, l’évaluation des performances et le rating des municipalités pour l’éligibilité au soutien financier sur le budget de l’Etat et des dons provenant de la coopération étrangère.

En soixante ans depuis son institution le 11 août 1959 par le décret 1959-221, sous forme d’instance d’inspection générale des services administratifs, le Cgsp a fait montre de sa pertinence et de son efficience. Renommé Inspection en 1979, et converti en corps de contrôle général des services publics en 1982, avec élargissement de ses prérogatives, il prendra sa pleine dimension avec le décret n° 2013-3232 du 12 août 2013, portant organisation du corps de contrôle général des services publics et fixant ses attributions et le statut particulier de ses membres. Venu à point nommé, ce texte a consacré le Cgsp à la position la plus élevée par rapport aux autres corps de contrôle, soulignant sa contribution à l’instauration de la bonne gouvernance, à la traque de la malversation et à l’ancrage de la régularité des comptes et leur transparence. Il faut dire qu’à sa tête se sont succédé d’illustres chefs de corps dont le nom et l’empreinte restent indélébiles. Il s’agit notamment des Abdelmajid Chadli, Mohamed Chatti, Mohamed Rachid Kechiche, Abderrahmane Jatlaoui, Ridha Abdelhafidh et Khaled Laadhari. Ils ont fait école et pavé la voie à leurs disciples, conduits actuellement par Slim Hentati, contrôleur général en poste depuis 2014.

Parmi les faits d’armes remarquables, l’affectation au lendemain même de la révolution, en janvier 2011, de 4 contrôleurs du Cgsp au sein de la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malversation, présidée par le doyen Abdelfattah Amor. Il s’agissait de Hichem Mechichi, Anouar Ben Khelifa, Moufida Aloui et Oualid Dhahbi. Quasiment tous les grands dossiers découverts ou devant être investigués leur ont été confiés.  Ils s’y sont investis en collaboration avec le CGF et les inspections dans les ministères concernés.
Par ailleurs, ladite commission a assuré le suivi de plusieurs rapports d’audit élaborés par le CGSP et joints à son rapport final, et ce dans divers secteurs ( immobilier, prises de participations financières, Tunisair, Tunisie Telecom, AFH, ATCE, SPLT et autres…)

Aujourd’hui encore, sur le même élan, de grands dossiers sont en cours de contrôle. D’autres seront bientôt ouverts. Les surprises ne manqueront pas.
Reportage.