News - 10.11.2020

Commerce: De grandes initiatives nécessaires pour une profonde transformation

Commerce: De grandes initiatives nécessaires pour une profonde transformation

Tant qu’il n’aura pas rempli le panier de la ménagère à bon prix, le gouvernement Mechichi peinera à aspirer à la confiance des Tunisiens. Le parasitage des circuits de distribution, la flambée des prix, l’inflation galopante et l’érosion du pouvoir d’achat, avec la multiplication des licenciements et l’aggravation du chômage compliquent la tâche. S’y ajoute l’augmentation sensible des coûts de production, agricole et industrielle. Comment s’y prend alors le ministère du Commerce et du Développement des exportations ? Continuer à gérer une situation encore plus critique, avec les mêmes approches résolument désuètes et les mêmes leviers de plus en plus impuissants ? Changer d’options et de pratiques ? Refonte totale en profondeur?

Mohamed Boussaid, promu à la tête d’un ministère dont il a gravi tous les échelons, a été choisi pour certes gérer au mieux le quotidien, c’est-à-dire garantir l’approvisionnement sans rupture du marché et contribuer à la défense du consommateur, mais aussi et surtout réussir la nécessaire transition. D’acteur central opérationnel, l’État se doit de se convertir en régulateur, stratège, porteur d’une vision et conducteur d’une politique publique. A très court terme. Le panier de la ménagère n’attend pas.

Création d’un organe de contrôle économique, traque des circuits de distribution informels et lutte contre la spéculation, accélération de l’implantation de la première zone franche commerciale à Ben Guerdane, distinction des emballages des produits alimentaires compensés, défense commerciale au profit des entreprises et des produits tunisiens, développement des exportations, mise en place d’un système d’information intégré et autres mesures urgentes : les initiatives se multiplient. Tout comme la restructuration des organismes et entités sous tutelle. Dans une réflexion globale, participative.

Analyse

Sollicitant le 2 septembre dernier l’investiture du Parlement, Hichem Mechichi s’était engagé sur cinq points essentiels constituant son programme pour le commerce. Approvisionnement du marché, réforme de la compensation, soutien aux entreprises par un dispositif de défense commerciale et de gestion des importations, développement et non simple promotion des exportations et restructuration des établissements sous tutelle du département: telles sont ses priorités annoncées.

Indépendamment de sa gestion, les indicateurs du commerce extérieur pour les neuf premiers mois 2020 publiés fin septembre confirment une baisse tant à l’importation qu’à l’exportation, avec cependant une légère amélioration du taux de couverture. La décroissance des exportations se poursuit, affectant des secteurs clés comme les produits agricoles et alimentaires, le textile ou les industries alimentaires. La Chine et la Turquie continuent à accaparer respectivement 23% et 9% du déficit de la balance commerciale. Le legs est difficile.

Moins de deux mois après l’entrée en fonction du gouvernement, de premiers signes sont donnés par le ministère du Commerce. Deux communiqués publiés méritent attention. Les chambres frigorifiques non déclarées doivent être régularisées avant la fin du mois d’octobre dernier. Cette déclaration ne sera en fait qu’un premier pas pour le suivi des produits gérés, pour appréhender les quantités stockées et tracer leur mise sur le marché, afin de lutter contre la spéculation. La non-conformité exposera les propriétaires des chambres frigorifiques à la confiscation des produits et à des poursuites judiciaires.

Le deuxième communiqué rappelle l’interdiction formelle de l’abattage du cheptel sur la voie publique et en dehors des abattoirs, mais aussi l’utilisation par les bouchers et les restaurateurs de viandes ne provenant pas de circuits autorisés. En plus de l’aspect hygiène, c’est une atteinte au cheptel. Confiscation de bétail se trouvant dans des zones d’habitation, fermeture de boucheries et restaurants, poursuites judiciaires et autres actions. Une action commune sera menée dès début novembre avec le concours de cinq ministères concernés pour déterminer les points noirs et y agir efficacement, promet-on au ministère.

Ce ne sont là que de premiers signaux qui soulignent une volonté de renforcement du contrôle économique et des prix. Il est vrai cependant que les effectifs actuels des agents de contrôle restent très réduits et leurs moyens peu fournis. L’une des idées qui fait son chemin est d’ériger ce corps d’inspecteurs en un appareil de contrôle, dotés de ressources humaines en nombre, spécialisés, bénéficiant d’équipements et de moyens appropriés, et agissant à deux niveaux : l’inspection et les enquêtes et vérification.
La réforme de la compensation passe par la numérisation des circuits de distribution des produits compensés, afin de réduire les utilisations abusives, comme par exemple le sucre, la distinction des emballages selon la nature de l’utilisation (professionnelle, consommateur final), et autres. Sans omettre la nécessité d’opérer une transition entre soutien des prix à celui des revenus, pour mieux cibler les vrais nécessiteux.

La défense commerciale pour sauvegarder les entreprises via les accords de l’OMC et préserver le produit tunisien exige la mise en place d’un système d’alerte pour le suivi des importations de produits ayant leurs similaires locaux. Mais aussi, une plus grande vigilance quant aux importations massives et aux pratiques déloyales. D’ailleurs, cette nouvelle notion de défense commerciale gagnerait à faire l’objet de mastères pour former les spécialistes requis.

Simple touche cosmétique ou nouvelle orientation, la conversion de l’approche de l’exportation de promotion (quantitative) à développement, comme accolé à la dénomination du ministère ? Difficile de s’y prononcer pour le moment. Mais, la stratégie porte sur la révision des accords commerciaux conclus, la refonte du dispositif d’appui à l’export (Cepex, Foprodex, Tasdir, etc.), le redéploiement des représentations commerciales à l’étranger, avec la réouverture de celles en Libye et la réactivation du Conseil national du commerce extérieur.

L’une des nouvelles pièces maîtresses sera sans doute la nouvelle zone franche commerciale de Ben Guerdane. Aménagée sur une superficie de 150 ha (l’ancien camp de Choucha qui avait accueilli des réfugiés fuyant la Libye en 2011), elle enregistre une avancée rapide tant au niveau de l’élaboration de son business plan que de ses cahiers des charges mais aussi son implantation. D’ores et déjà, l’aménagement extra-muros a été réalisé et les raccordements aux réseaux Steg et Sonede ont été effectués. La route relie directement la zone d’un côté au poste frontalier tuniso-libyen de Ras Jedir et, de l’autre, au port de Zarzis. Le projet, actuellement conduit par l’Office du commerce, sera géré par une société concessionnaire en cours de constitution.

L’avantage de cette zone franche, obéissant aux normes de ses similaires dans le monde, est de permettre aux opérateurs de maintenir à disposition immédiate du marché libyen les produits à exporter, garantissant ainsi une disponibilité immédiate. L’objectif est en fait plus ambitieux : il s’agit de favoriser une triangularisation des échanges avec d’autres marchés voisins de la Libye et subsahariens. Avec l’adhésion de la Tunisie au Comesa et à la Zone de libre-échange de l’Union africaine, les barrières douanières sont tombées, ce qui offre de bonnes opportunités à saisir par les opérateurs tunisiens et libyens.

La réussite de la zone franche de Ben Guerdane servira de pilote à décliner. Sur la frontière avec l’Algérie, la Tunisie envisage en effet l’implantation d’une grande zone similaire.