News - 02.11.2020

Dr Sofiane Zribi: Criez en silence ! Covid-19 et Folies collectives !

Dr Sofiane Zribi: Criez en silence ! Covid-19 et Folies collectives !

Naima, parle à voix basse, le souffle coupé, entre deux quintes de toux et une bouffée d’oxygène. Cela fait quinze jours qu’elle a été diagnostiquée positive au terrible virus qui fait trembler l’humanité. Ses mains tremblantes tiennent à peine le mince tuyau d’où diffuse le précieux gaz qui la tient en vie et éveillée. Les urgences l’ont renvoyée, elle n’est plus contagieuse et a reçu le traitement adéquat : Antibiotiques et anticoagulants ! Et puis, les médecins ont mieux à faire que de s’occuper de cette grand-mère de soixante-quinze ans qui n’a dorénavant besoin que d’oxygène et qui a de la famille pour s’occuper d’elle.

Malgré la maladie, la souffrance, elle reste digne. Elle me regardait droit dans les yeux comme pour réclamer quelque chose à laquelle elle a droit et qu’elle ne trouve pas. Ses yeux, rougis par les larmes provoquées par la toux incessante, semblaient implorer ma mansuétude et ma pitié comme si elle avait peur de moi. Peur de toutes ces blouses blanches, gantées, enveloppées, masquées qui sesont relayées pour la soigner, peur de cette maladie qui terrifie son entourageet dont elle n’a jamais entendu parler, peur de continuer à souffrir alors que plus personne ne l’embrasse ni l’enlace. Peur de ce vide qui soudain a pris place autour d’elle. Qu’a-t-elle fait pour mériter tout cela ? D’habitude ; quand elle tombe malade ; c’est la famille en entier qui accourt pour la soulager. Aujourd’hui, mis à part son ainé qui a pris son courage à deux mains, tous ses proches se sont emmurés dans un profond silence et une insoutenable absence.

Je demande à son fils pourquoi il l’amène chez le psychiatre ? « Elle ne dort plus docteur, elle pleure tout le temps et plus aucun médecin ne veut la recevoir. Ses tests sont maintenant négatifs, mais elle continue à mal respirer et à avoir besoin d’oxygène. Je ne sais plus que faire. J’ai envoyé ma femme et mes enfants chez mes beaux parents et je suis seul avec elle à la maison. Je n’ai pas les moyens de la mettre en clinique, c’est à peine que je peux payer les charges quotidiennes du concentrateur d’oxygène, il lui faut quelque chose pour qu’elle s’apaise et s’endorme, sinon elle va s’épuiser d’avantage… »

L’INSOMNIE d‘abord, le premier visage de la souffrance

Comme Naima, la principale plainte des malades du Covid-19 en dehors des symptômes de la maladie, est l’insomnie. Ce manque terrible de sommeil qui épuise et vide le corps de toutes ses forces. Les patients covid-19 ont plus d’une raison pour ne pas dormir, l’anxiété et la peur d’abord, la perplexité devant la soudaineté du mal qu’ils n’ont pas vu venir, la panique devant le sentiment d’abandon et de solitude et puis et surtout, cette sensation affreuse qu’on devient soudain un pestiféré que personne ne veut approcher et que les hôpitaux rejettent. Plus de place à ce qu’on a été ou à ce qu’on est, plus de place à la dignité, en une fraction de seconde on devient un objet repulsant, menaçant pour les autres. Cette peur, fait monter l’adrénaline dans le corps, elle enserre les poumons et ajoute son lot de peines à ce que le virus provoque déjà. On ne dort plus car on ne respire plus ! On ne dort plus car le cerveau est en alerte maximale et l’instinct de survie à la peine. On ne dort plus car la peur étrangle et on s’épuise à petit feu.

La Dépression, le stress et la dissociation mentale ensuite

La chercheuse danoise Nina Vindegaard(i) a étudié l’impact des infections Covid-19 au travers d’une revue détaillée de la littérature médicale. Le fait saillant est que les patients atteints de Covid-19ont révélé un niveau élevé de symptômes de stress post-traumatique (ESPT) (96,2 %) et un niveau significativement plus élevé de symptômes dépressifs. Les patients présentant des désordres psychiatriques préexistants ont rapporté quant à eux, l’aggravation des symptômes psychiatriques.

Les Symptômes de l’ESPT s’installent en général un mois après la maladie souvent même après sa guérison et sont extrêmement invalidants, ils associent des cauchemars et des répétitions de souvenirs angoissants qui peuvent prendre la forme de flash-backs de la période de réanimation ou de soins, ainsi qu’un état de vigilance permanente avec des sursauts à la moindre stimulation. Tous ce qui a trait à la médecine et aux soins est activement évité et la vue d’une simple blouse blanche peut déclencher un immense malaise.

Ce qui est frappant chez les patients à la phase aigue de la maladie c’est la présence de symptômes dissociatifs : sentiment de dépersonnalisation et sentiment de déréalisation qui accompagnent la peur d’être atteint de la Covid-19 alors que les symptômes physiques peuvent être bénins ou légers. Ils peuvent s’accompagner de symptômes comportementaux imprévisibles comme l’agitation, l’errance ou les déambulations.

L’américaine Emily Troyer(ii) de l’Université de San Diego (Californie) rapporte qu’en plus de la détresse psychologique associée à une pandémie, les effets directs du virus lui-même (plusieurs coronavirus du syndrome respiratoire aigu ; Le SRAS-CoV-2), et la réponse immunologique subséquente de l’hôte, sur le système nerveux central humain et les résultats connexes sont inconnus.

En réalité, nous ne savons que peu de choses sur l’état mental et psychologique futur des personnes qui sont atteintes par le virus, surtout à moyen et à long terme. Pour mémoire, les effets de la grippe espagnole qui a frappé le monde après la première guerre mondiale sont restés perceptibles chez les rescapés plusieurs dizaines d’années plus tard et bien de maladies neuropsychiatriques invalidantes ont été observées, notamment des maladies auto-immunes et des inflammations du cerveau (Encéphalites).

De la Nécessité de l’intervention psychologique en première ligne

La désorganisation perceptible du système de santé Tunisien face à l’afflux des malades, le peu de temps laissé aux médecins en premières lignes pour parler, rassurer et humaniser la relation médecin-patient, l’importance de la détresse psychologique des personnes contaminées, comme d’ailleurs celle de la population en général impose de ne pas laisser de côté un aspect essentiel de la santé qui est la dimension psychologique. Une maladie n’est pas une agression mécanique sur un corps organique mais un désordre qui perturbe tous les équilibres de la personne dont l’équilibre psychologique. Le rétablissement de ce dernier et sa prise en compte dans le programme de soin est facteur non négligeable de la réussite de ces derniers et de l’adhésion du patient à ses ordonnances.

Le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que l’épidémie de Covid-19était une urgence de santé publique d’intérêt international. Le virus a déjà eu un impact direct sur la santé physique de millions de personnes, et en outre, il est censé représenter une menace pour la santé mentale d’une grande ampleur à l’échelle mondiale dans les mois et les années à venir.

Tous les experts soulignent la nécessité d’accorder une attention particulière à la fourniture des premiers soins psychologiques aux patients infectés. Ceci représente un élément de soins essentiel et incontournable en même temps que les soins vitaux.

Dans le but de mieux faire face aux problèmes psychologiques urgents des personnes impliquées dans la pandémie de Covid-19, un nouveau modèle d’intervention en cas de crise psychologique est nécessaire. Beaucoup de pays cherchent à le définir et le mettre en forme. En Tunisie nous ne devons pas rester à la marge et nos psychiatres, psychologues et autres travailleurs de la santé mentale doivent s’y impliquer davantage.

Naïma, la patiente qui nous a servi pour introduire cet article, souffrait certes des conséquences du virus, mais souffrait plus d’être seule, abandonnée, incomprise. Il aurait suffi de quelques précieuses minutes d’écoute, d’une attitude empathique et compréhensive, d’une dédramatisation de la situation, d’une remise dans le contexte et d’une information claire et précise pour qu’elle se détente et se sente mieux. Le fardeau de la maladie, à ce stade aurait certainement été moins lourd pour cette digne grand-mère.

Dr Sofiane Zribi

i) Brain Behav Immun. 2020 Oct; 89: 531–542
ii) Brain Behav Immun2020 Juil; 87:34-39