News - 03.08.2020

Malek Ben Salah: Ecoutez nos campagnes, retournez à la terre !

Malek Ben Salah: Ecoutez nos campagnes ! Le clairon sonne, jeunes gens ! Passons de l’état de somnolence à l’état d’éveil !

Par Malek Ben Salah - Compatissant avec une patrie en faillite,  face à une patrie en faillite, face à ce que ‘’l’élite’’ qui ne semble pas beaucoup l’être, ni au sens propre ni au sens figuré et qui, durant une dizaine d’années a tenu les rênes du pays le laissant couler sous ses yeux, on est en droit de se demander «en est-on arrivé là ? » Notre histoire contemporaine nous dit tout simplement que la cause ‘’apparente‘’ remonterait à cette année 2011 durant laquelle des jeunes se sont révoltés contre l’indigence, le marasme, le chômage et l’oubli des gouvernants qui régnait dans des régions entières du pays suite à une mauvaise approche adoptée pour développer soi-disant le pays ! Approche par laquelle on avait poursuivi la préparation de Plans de développement, comme dans les années 1960, alors que ceux-ci se sont soldés en 1969 par l’échec de collectivisation… !

Pire encore, et après quelques années de transition, les Plans qu’on continuait à préparer, par des commissions ad hoc d’ingénieurs et de cadres en poste prévoyaient bien des objectifs à atteindre… Mais, si ces objectifs étaient retenus, les moyens (financiers et autres…) prévus qui permettaient leur réalisation n’étaient accordées qu’au compte-gouttes. L'exemple que je n’ai cessé d’évoquer était celui de l’agriculture pour laquelle des objectifs ambitieux étaient fixés dans les commissions, très peu des crédits publics suivaient pour des secteurs aussi importants que la recherche, l’enseignement, la vulgarisation, la production ou l’organisation de la profession … alors qu’une rigidité énorme était suivie quant il s’agit d’adopter de réformes des aspects fonciers… laissant un funeste statuquo régner jusqu’aujourd’hui ! Et, bien sûr d’autres exemples peuvent être cités par d’autres fonctionnaires de l’époque, dont notamment l’Enseignement que j’évoquerai plus loin.

Le résultat, ce fut 2011 lorsque des jeunes se sont révoltés contre l’indigence, le marasme, le chômage et l’oubli de régions entières … Les cris de certains jeunes de Kasserine dans leurs manifestations « نحبُ نُوكلٌو » me résonnent encore dans l’oreille ; cris qui ne semblent pas beaucoup avoir impressionnés les gouvernants qui ont profité pour prendre le pouvoir alors. Aucun savoir-faire ou savoir-être nouveau n’est alors apparu depuis, ni les mannes pétrolières ou minières, ni les bonnes années agricoles n’ont amené nos gouvernants à prendre des initiatives plus énergiques ni au niveau des réponses immédiates à apporter, ni au niveau d’une révision à la base de l’approche globale et leur dangereux surplace qui n’innovait en rien. Les réformes dont on nous a rabattues les oreilles durant ces 10 années de révolution ne se rapportaient qu’au domaine financier ; cela ne veut pas dire qu’elles ne valent rien. Mais des réformes dans les domaines de l’agriculture, des forêts, de l’industrie… ou du système éducatif des jeunes générations … Auquel cas on aurait eu, au moins, des réformes bienvenues, en mesure d’arrêter tout ce qui ne pouvait plus répondre aux attentes des jeunes. Pour le système éducatif, le calife Ali Ibn Abi Taleb ne disait-il pas :
 "لا تربوا أولادكم كما رباكم آباؤكم، فقد خُلقُوا لزمان غير زمانكُم" … !

L’héritage d’une situation pluri-décennale décadente

Après cet aperçu relatif à des années de tergiversations de gouvernements décadents et leurs faibles et si voyantes mailles, nous nous trouvons en présence d’un pays pour lequel les plus prudents disent que nous sommes proches de la faillite. Sachant qu’on dispose d’un million de chômeurs sans compter les 75% des 600.000 agriculteurs qu’on qualifie de petits agriculteurs (pour occulter leur pauvreté) qu’on dispose également 5.000 ‘’docteurs’’ en chômage de diplômés de l’université en grand nombre…, qui, tous, revendiquent du gouvernement du travail d’une part, alors que, d’autre part, des gouvernements sans programmes se succèdent, des partis politiques qui passent leur temps à se chamailler…sans comprendre qu’ils séloignent du Tunisien lambda !  Ceci nous rappelant ce que disait cet empereur-philosophe romain Marc Aurèle : ‘’Chacun vaut ce que valent les objectifs de son effort’’ ou encore ce que disait le laboureur des fables de La fontaine  à ses enfants : ‘’Travaillez, prenez de la peine c'est le fonds qui manque le moins…’’.

On voit ainsi que de la base au sommet de la société, les esprits se rejoignent… d’où ce questionnement du citoyen Tunisien, en dehors de ces sit-in - : Est-ce que ‘’l’effort fourni par nos jeunes’’ est de nature à permettre d’atteindre les objectifs de cet effort ? À l’image de la sentence de Marc Aurèle… ; ou bien Est-ce que ‘’nos jeunes ont travaillé et pris de la peine…’’ ? Selon le simpliste conseil du laboureur à ses enfants pour trouver la cache du trésor qui va permettre de bâtir une forteresse imprenable contre ‘’l’oisiveté’’ et faire découvrir aux jeunes les véritables richesses que comporte ‘’le vrai bon travail’’ en commençant par le mental … ! Enfin, et pour tous nos éducateurs, avaient-t-il eu au moins la présence d’esprit de suivre dans l’enseignement, qu’ils prodiguaient, ce bon conseil de notre 4ème Calife Ali Ibn Abi Taleb… :  "لا تربوا أولادكم كما رباكم آباؤكم، فقد خُلقُوا لزمان غير زمانكُم"

Dans un pays qui doit assurer sa sécurité par une formation de ses enseignants et chercheurs qui leur permet de suivre l’évolution des mentalités et d’adapter leurs enseignements aux jeunes en fonction des difficultés existantes ou potentielles du pays. Qu’il s’agisse donc des gouvernants ou des jeunes, comment se jouent les rôles respectifs ?

Jeunes gens, à vos marques, prêts, prenez vos responsabilités ?

A nos jeunes donc, je propose de laisser les pouvoirs publics préparer leurs programmes d’avenir de quelque niveau que ce soit ! Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas le droit de les discuter, de les améliorer, de les rectifier… ! Mais, d’un autre côté, et sans parti pris quant au bien-fondé des revendications de nos docteurs, chercheurs, professeurs, professeurs-adjoints, nouveaux ou anciens diplômés et autres catégories de sit-inneurs… de tous les jours…; je ne cesse de me poser la question, si c’était eux qui tenait la bourse…, est-ce qu’ils se seraient permis d’accéder à ces incessantes demandes de recrutements, promotions , titularisations … et s’ils auraient considéré qu’une fonction publique, comme la nôtre, pléthorique, aux moyens financiers limités, et des moyens humains dans l’incapacité de répondre au moindre objectif auquel aspire le Tunisien … aurait permis à de pareilles demandes d’aboutir … ?

En attendant que le gouvernement – quel qu’il soit - mette au point ses solutions, ce qui demandera quelques années…, je m’adresse en particulier à chacun de nos jeunes – après tous ses sit-in - de regarder en profondeur dans son entourage immédiat, ce qu’avaient fait ses parents quand ils avaient affronté le marché du travail, même si le monde a changé et qu’on parle davantage de fracture numérique, de digitalisation…que d’un métier manuel ? Pour lui dire «Votre formation secondaire ou universitaire, n’est-elle pas censée vous avoir donné ‘’une tête’’ faite pour réfléchir et voir les avantages et les inconvénients de toute solution éventuelle» et vous rappeler que votre père qui était menuisier, forgeron, fonctionnaire, agriculteur, maçon…a vécu sa vie …et vous fait comprendre que le diplôme et la fonction publique ne sont pas tout dans la vie, à chacun d’entreprendre et de savoir utiliser ses bras quand il le faut… et que c’est le moment d’y recourir !».

A mon avis, et en parlant avec beaucoup d’amertume, il ne faudra pas s’attendre à des solutions miracle ; il n’y en a pas. C’est à vous de savoir comment vous reconvertir avant qu’il ne soit trop tard. Le cas est fréquent dans de nombreux pays développés qui ont compris que, parfois savoir souder un tuyau, installer une ampoule électrique ou trouver une place dans nos belles campagnes… peut permettre de vivre beaucoup mieux qu’une accumulation de connaissances universitaires et de théories les plus révolutionnaires, qui n’ont rien à voir avec la réalité du terrain …! Plus tard, et si vous êtes tenace, vous pouvez aller plus loin en utilisant la formation que vous avez reçue dans les écoles de la République au lieu de rester à attendre ce que feraient les autres pour vous…!

Mon message d’ami à nos jeunes diplômés est donc ‘’d’arrêter de suivre le sentier des pas perdus et de retrousser les manches‘’ pour employer au mieux leurs bras et leur temps et prouver que travailler avec ses bras n’est ni une honte ni une dépréciation dans la société ! « أخدم بقفصي و حاسب البطال » disait un vieux proverbe Tunisien. A ce titre, je vous rappelle cet article que vous pouvez retrouver sur Leaders du 26 Janvier 2016 ‘’De la noblesse du métier d’agriculteur et des métiers de l’agriculture’’ que j’avais écrit à la suite d’une émission où le journaliste a invité une jeune fille, mathématicienne de formation mais qui a adopté le métier de bergère comme si notre mathématicienne s’était rétrogradée dans l’échelle sociale en cessant de courir derrière l’Etat pour quémander un emploi de fonctionnaire alors qu’il s’agissait plutôt de la féliciter et qu’on comprenne que l’essentiel est de compter sur soi.

Prenez la clef des champs : retournez à la terre, il y a plein d’emplois de temps utiles !

Chers jeunes,

Loin de moi l’idée de me poser en défenseur des gouvernants, ou encore moins, de partis politiques qui ont usé leur audience auprès de la population. J’aimerai, en réfléchissant avec vous, contribuer  à travers ma petite expérience - à lever devant vous un pan du rideau et vous laisser palper par vous-mêmes ce que créer de la richesse veut dire… pour avoir de l’argent. Nos voisins italiens ont une locution qui en dit long ‘’cesser de prendre des lucioles pour des lanternes - per smettere di scambiare lucciole per lanterne’’ … Après une dizaine d’années de révolution, vous avez certainement pris conscience qu’il faut ‘’cesser de prendre les lucioles pour des lanternes’’ et qu’il est temps de faire la part des choses. Sachant bien ce que vaut notre monde politique et ce que vaut une situation financière, si proche de la faillite où il nous a mené… d’où mon message ci-haut. Votre Devoir le plus urgent, en m’excusant de dire tout haut ce que pensent beaucoup de Tunisiens tout bas, est de vous trouver immédiatement un emploi transitoire avec vos bras. Pensez avant tout à produire quelque chose avec vos mains, à contribuer à ‘’une création de richesse’’ aussi petite soit-elle … dans ce pays !
Le célèbre poète arabe El Moutanabi ne disait-il pas :
« ما كل ما يتمناه المرء يُدركُهُ ... تجري الرياحُ بما لا تشتهي السٌفُن »

Certes, ces arguments ne sont pas pour vous plaire ! Ils peuvent vous choquer mais les occulter serait criminel de ma part ! Notre réalité ne cesse de nous rappeler que nous sommes dans un monde où ‘’le savoir-faire’’ vaut parfois même plus qu’un diplôme’’ ; et ce ne sont pas là ‘’des lapalissades‘’. Notre religion ne cessant de nous rappeler que « الدين النصيحة ».

L’espace rural vous invite à prendre le flambeau, même si l’année va commencer par la fermeture de 2 usines d’engrais!

Le monde rural, malgré ses difficultés, regorge de jeunes qui ne voient pas ‘’des emplois qui sont à leur portée’’, souvent ils ne cessent de réclamer la création de ‘’zones industrielles’’ dans leurs patelins croyant que ce sont ces zones-là qui vont leur amener de l’emploi. Le modèle de l’agriculture qui règne dans le pays ne les ayant pas encouragés à suivre le chemin des parents. Par ailleurs, les cafés pullulant dans la moindre de nos bourgades, forment pour eux un refuge, et la télévision y est installée pour leur apprendre surtout comment réclamer… et réclamer encore plus… ou mieux encore : ‘’comment gagner une voiture…sans peine ni effort… ! La citation du suisse Victor Cherbuliez ‘’J'ai commencé avec rien, et… à force de peines et de sueurs, j'ai amassé quelques biens’’… n’ayant pas l’air de les convaincre pour ‘’commencer avec ce rien…’’! De plus et là où le bât blesse encore plus fort, et où réside l’un de nos problèmes majeurs s’il faut-il le rappeler : c’est que (statistiques de 2004-2005) 46% de notre superficie agricole est détenue par des parents/exploitants agricoles de plus de 60 ans ; c’est-à-dire en âge de se laisser remplacer par la génération plus jeune, si elle sait bien s’y prendre ! Soit des exploitations familiales sur lesquelles l’un ou l’autre des enfants de l’exploitation, un peu imaginatif, a des possibilités d’engager sur ces terres, en liaison avec ‘’le paternel’’, une amélioration de l’une des ressources naturelles (sol, eau, matériel animal ou végétal…), une modernisation de la gestion, une intensification de la production…., se créant par là un emploi pour lui –même ou même plusieurs emplois …! Les difficultés souvent évoquées, dans ces cas, résidant dans les moyens financiers, le recours à la banque, l’endettement… ; c’est pourquoi qu’il y a lieu de penser à des possibilités d’investissements en ‘’nature’’. En Tunisie, on connaissait depuis longtemps les investissements en nature tels l’apprentissage, la mogharsa, la maouna…. Rien n’empêche de les remettre à la mode (rappelons à titre d’ex. qu’un jeune, creusant un seul trou de plantation/jour, peut préparer selon le cas d’1 à plusieurs Ha à planter l’hiver suivant).

De même que dans des expériences étrangères, on trouve chez les sociétés rurales, des habitudes de mobilisations de plusieurs  voisins, parents ou alliés pour une participation à des travaux à échanger entre eux, soit des investissements par la force des bras ou par utilisation de machines.

Ce sont donc là des opportunités à nos jeunes fils d’agriculteurs ‘’de prendre le leadership‘’ auprès de leurs parents et voisins pour la création d’associations d’entraide agricole, de coups de mains bénévoles, de prêts de salariés entre entreprises… ou encore pour la création de sociétés, de coopératives agricoles, de coopératives de consommateurs, de CUMA, de coopératives d’installation ou de gestion de laiteries, de fromageries …. ; autant d’initiatives que peut prendre plus d’un jeune ou moins jeune de notre monde rural s’il veut bien convaincre parents et voisins de l’exploitation familiale et prendre le flambeau dans sa région… il aura à s’occuper de la constitution des dossiers, à amener plus d’adhérents à s’y joindre et relayer l’Etat dans des activités qu’il a abandonné depuis longtemps. Un grand nombre d’emplois peut être ainsi créé avec création d’une nouvelle société civile dont est dépourvu malheureusement notre monde rural. Ne pourra-t-on pas réveiller un volontariat chez nos jeunes pour une année de ‘’travail gratis’’, alors qu’ils ont vécu 10 ans d’expectative, de sit-in… qui ne leur ont rien rapporté. Bien sûr nos jeunes peuvent se faire aider et conseiller par des compétences ou des agents de l’Etat qui maîtrisent ces questions.

Forçons donc un peu notre imaginaire, employons nos bras quand c’est nécessaire, réveillons le volontariat dans nos régions… que de progrès nous pouvons réaliser alors en l’absence de moyens financiers et de temps nous pouvons gagner nous-mêmes et le faire gagner au pays ! N’est-ce pas là une alternative – au moins partielle – à certains sit-in… qui voudraient bien l’adopter !

A bon entendeur salut !

Malek Ben Salah