News - 13.07.2020

Les «soft skills» à l’université pour améliorer l’employabilité des diplômés

Les «softs skils» à l’université pour améliorer l’employabilité des diplômés

Par Pr Ridha Bergaoui - Jusqu’à la fin du siècle dernier, on pensait que le savoir était très important. C’était une valeur sûre pour être respecté et bien vu par ses concitoyens et toute la société. Les diplômes étaient très recherchés. Ils permettaient d’occuper un poste important dans l’administration ou dans le privé et représentaient l’ascenseur social qui aidait à progresser au sein de la société. Le travail manuel était mal considéré méprisé même. Le savoir étaient tellement important qu’on avait oublié le savoir faire. On se rend compte de l’importance de ce savoir faire dés qu’on devait faire appel à un professionnel, un plombier, un réparateur télé ou un mécanicien pour arranger les petites choses et nous faciliter la vie. Enfin, depuis quelques années et avec l’invasion du numérique, des NTIC, de l’Internet et des réseaux sociaux on s’est aperçu, qu’à côté du savoir et du savoir-faire, le savoir-être prenait de plus en plus d’importance dans notre quotidien et surtout au niveau professionnel pour trouver un emploi. Ce savoir être c’est ce qu’on appelle également les compétences comportementales ou en anglais le terme à la mode « Softs skils ».

Un monde du travail qui ne cesse de changer

La nature et le monde du travail a complètement changé ces dernières années surtout avec l’arrivée du numérique. Le numérique nous permet de nous libérer du temps et du lieu de travail. On peut travailler tous les jours, à n’importe quelle heure de la journée, à notre rythme, sans être obligé de se rendre au lieu de notre travail habituel. Avec la pandémie Covid-19, le télétravail et l’enseignement à distance ont connu un développement fulgurant.

La robotique, l’intelligence artificielle, les bases de données… ont libéré les fonctionnaires et les salariés des travaux répétitifs, pénibles et sans grand intérêt pour se consacrer à des tâches plus complexes nécessitant un niveau intellectuel plus élevé et l’utilisation d’outils sophistiqués et performants. On estime que plus de 50% des emplois dans le monde risquent d’être grandement automatisés au cours des 10 à 20 prochaines années.

Le travail stable et permanent n’est plus un objectif lors de la recherche d’emploi. Pour diverses raisons liées soit à l’entreprise soit à l’employé, la mobilité au travail est devenue la règle. On estime désormais, qu’une personne évoluera dans au moins cinq métiers différents au cours de sa carrière. Les employés changent de travail soit pour des raisons matérielles (salaire, promotions, rapprochement du conjoint ou du domicile…) soit pour des raisons psychologiques (épanouissement, envie d’apprendre, envie de connaitre d’autres environnements professionnels…).

Le marché du travail se mondialise de plus en plus. Un jeune diplômé sera appelé à travailler dans son pays d’origine, comme il peut être sollicité par une entreprise étrangère ou multinationale. Ces dernières peuvent embaucher des salariés de diverses nationalités et origines ethniques, religieuses… Le jeune diplômé doit s’intégrer facilement et rapidement au sein de cette équipe hétéroclite.

Enfin, des études sérieuses estiment que 85% des emplois en 2030 n’existent pas encore aujourd’hui. Ces emplois vont remplacer une grande partie des emplois actuels qui disparaitront  pour toujours.

Dans cette ambiance d’instabilité professionnelle et  d’évolution rapide et continue des connaissances et des technologies, le diplôme, qui atteste d’un certain savoir et savoir faire, n’est plus le seul critère d’embauche pour le manager et les établissements  de recrutement. Les qualités personnelles du futur employé deviennent très importante pour le recruteur et pour l’avenir de l’entreprise.

Un enseignement supérieur de masse et un effectif pléthorique des diplômés
On sait désormais que, suite aux progrès scientifiques et techniques perpétuels, les compétences techniques deviennent très rapidement obsolètes, dépassées. On peut par ailleurs accéder facilement, grâce à Internet et aux NTIC, aux informations techniques qu’on désire acquérir. Enfin beaucoup d’entreprises sont prêtes à prendre en charge la formation de leurs employés en fonction de leurs besoins spécifiques.

Le diplôme, quel que soit la spécialité, n’est plus la denrée rare que les employeurs cherchent lors  du recrutement. Les entreprises n’embauchent plus des diplômés ou des compétences techniques mais des talents, des personnes qui sauront faire avancer et aider au développement de l’entreprise. Certains n’exigent même plus de diplômes mais des capacités.

L’un des problèmes auxquels sont confrontés les établissements de formation, c’est qu’ils forment aujourd’hui, des cadres de demain dans des domaines dont on a une idée très vague. Le problème est encore plus grave lorsque les formateurs ne font pas l’effort de se recycler et de se mettre à jour et qu’ils se limitent à leurs connaissances apprises dans le passé.

Pour toutes ces raisons le diplôme intervient de moins en moins dans l’évaluation du futur salarié ou employé par les chefs d’entreprises et les établissements de recrutement. Ceux ci exigent plus de garanties, des compétences polyvalentes, un socle de formation sûr sur lequel ils peuvent compter. Ce socle ce sont les qualités personnelles du candidat ou « Softs Skils ».

Les capacités comportementales ou «softs skils»

Les « softs skils » ou compétences douces s’opposent aux « hards skils » ou compétences dures ou compétences techniques ou savoir faire. Ce sont des qualités personnelles, jugées indispensables pour s’intégrer et être productif au travail, et considérées primordiales pour l’employeur.

Ces qualités sont multiples et nombreuses. Certains les estiment à environ 500 qualités différentes. On peut citer quelques unes  comme la créativité, l’adaptabilité, l’empathie, le savoir communiquer et expliquer, prendre des initiatives, échanger et partager, esprit d’équipe, esprit critique, capacité de résoudre des problèmes complexes, savoir gérer son stress, gestion du temps, leadership…
Ces qualités sont innées chez l’être humain. Elles sont plus ou moins développées chez les individus en fonction de leur éducation et de l’environnement dans lequel ils ont évolué. Contrairement aux traits de la personnalité, qui sont étroitement liés à l’identité de la personne (ouverture de l’esprit, ambition, curiosité, autorité…), ou l’état d’esprit de l’individu (état émotionnel à un moment bien déterminé  comme la motivation, l’engagement…), les qualités comportementales peuvent s’acquérir et se développer. Ce sont des compétences qui se travaillent.

Sur le plan professionnel, chaque emploi peut avoir des exigences particulières en matière de capacités comportementales. Le World Economic Forum a listé les 10 compétences les plus demandées :

résolution des problèmes complexes, 

esprit critique,

intelligence émotionnelle,

jugement et prise de décision,

sens du service,

négociation,

management,

esprit d’écoute,

créativité,

flexibilité.

L’importance et la place de chacune de ces compétences varient en fonction de la nature du poste d’emploi ouvert.

Place des «softs skils» dans les systèmes de formation

Jusqu’ici les écoles et les universités accordent très peu d’importance à l’acquisition des « softs skils » par l’apprenant. Ces établissements se préoccupent essentiellement de la transmission du savoir et du savoir faire. C’est le milieu, la présence d’un modèle dans l’environnement de la personne ainsi que ses expériences propres qui forgent ses capacités comportementales.

Connaissant l’intérêt  de ces capacités et leur place de plus en  plus importante dans l’embauche, certaines universités, dans le monde, ont commencé à introduire des formations spécifiques à l’acquisition de ces connaissances. En France certains Etablissements d’Enseignement Supérieur (EES) dispensent des modules centrés sur l’acquisition de certaines compétences comme la capacité d’analyse, la créativité, la capacité à travailler en équipe, la capacité à résoudre des problèmes complexes… S’agissant de connaissances qui ne peuvent s’acquérir que par la pratique, ces EES ont fait évoluer leurs pratiques pédagogiques pour aider l’acquisition par les étudiants de ces « softs skils ». Ecoles de management et écoles d’ingénieurs incluent de plus en plus les « softs skils » dans leurs parcours de formation.

En Tunisie

Avec la réforme LMD, les programmes de formation à l’université consacrent quelques modules à la formation transversale. Il s’agit surtout de l’anglais, de l’informatique et l’Internet et l’entrepreneuriat. Certains modules, ainsi que le projet de fin d’études (PFE), se font sous forme de travaux personnels qui nécessitent de la recherche bibliographique, des efforts de rédaction et un exposé oral. Ces activités permettent à l’étudiant d’apprendre à gérer son temps, de s’initier aux techniques de communication écrites et orales et à la prise de parole en public. Certains travaux se font même en groupe ce qui permet à l’étudiant d’apprendre les techniques du travail en groupe.

Un apport important d’apprentissage et d’acquisition des « softs skils », pour les étudiants  qui le souhaitent,  est fait par les associations des étudiants (comme l’AIESEC, ENACTUS…), les clubs, les concours d’entrepreneuriat…

Certains étudiants ont des opportunités en s’affiliant à des associations actives de la société civile, des associations syndicales estudiantines ou même des clubs privés de musique, de langues, de sport…

Quoique ces actions soient importantes, elles restent néanmoins insuffisantes et réservées à des enfants des classes sociales aisées de la capitale et des grandes villes.

L’université doit accorder beaucoup plus de place à l’enseignement, l’acquisition et le développement des « softs skils » par nos étudiants pour améliorer leur employabilité et leur chance d’accéder à l’emploi. Intégrer officiellement ces formations dans le cursus universitaire de nos étudiants devient une priorité. Il est nécessaire et urgent d’instaurer, selon les filières de formation,  des modules spécifiques à l’acquisition des « softs skils » avec évaluation à la fin du cours. Les formations doivent également être intégrées au sein de chaque module d’enseignement ou matière. L’enseignement des disciplines techniques et fondamentales doivent  constituer une occasion pour mettre en application les connaissances enseignées sur les capacités comportementales comme le travail d’équipe, la communication, la gestion du stress… Ce ci suppose :

la construction de modules d’enseignement des « softs skils »,

la formation des enseignants et des formateurs,

le développement des outils pédagogiques.

On peut également envisager, dans nos EES, la création de « départements des connaissances comportementales » chargés de dispenser cet enseignement et de collaborer avec les collègues pour leur intégration dans l’ensemble des cours de formation. Ces départements pourraient travailler avec le département des stages, ainsi que la profession  et les associations des anciens pour améliorer l’insertion des diplômés dans le monde du travail.

De nos jours, les compétences techniques deviennent une condition nécessaire mais pas suffisante pour l’intégration du marché de l’emploi surtout en présence d’un chômage des diplômés du supérieur qui ne cesse de s’amplifier. D’autres compétences sont devenues indispensables.  ll s’agit des compétences linguistiques, des compétences numériques et des compétences comportementales. Contrairement aux deux premières compétences qui peuvent être facilement mises en place, enseignées et évaluées, les compétences comportementales sont très peu enseignées et plus difficiles à acquérir. Ces dernières sont toutefois de plus en plus indispensables pour être productif et pour s’épanouir dans son travail.

Les compétences comportementales peuvent s’enseigner et se développer. Notre université est appelée à faire évoluer ses méthodes pédagogiques et intégrer ces compétences pour offrir plus de chance à ses diplômés de trouver de l’emploi.

La compétence la plus importante serait certainement la confiance en soi qui représente pour le jeune diplômé une des principales clés du succès. « Le manque de confiance en soi n’est pas une fatalité. La confiance en soi peut être apprise, pratiquée et maîtrisée, comme n’importe quelle autre compétence. Une fois que vous la maîtrisez, tout dans votre vie changera pour le meilleur », Barrie Davenport.

Pr Ridha Bergaoui