News - 16.06.2020

Leila Ouled Ali - L’environnement, le développement durable: de la révolution à la crise Covid-19

Leila Ouled Ali - L’environnement, le développement durable: de la révolution à la crise Covid-19

Par Leila Ouled Ali - Depuis 2011, l’environnement a été le secteur le plus affecté par l’instabilité politique et sociale et aucune avancée sur le terrain n’a abouti. C’est paradoxal car l’étincelle de la révolte de 2008 qui a été déclenchée au bassin minier de Gafsa est due à une crise sociale et environnementale.

Le bassin minier est l’exemple type des conséquences du non-respect de l’environnement et des principes du développement durable de toute activité économique.

Cependant avec la révolution, la Tunisie a connu des acquis importants au niveau législatif en faveur l’environnement et du développement durable.
Dans la nouvelle constitution de 2014, le développement durable a pris une place importante faisant d’elle une exclusivité dans le monde. Une constitution qui insiste sur la préservation de l’environnement et sur la durabilité des ressources naturelles.

En effet dans ses articles 12 et 45, la constitution exige de l’Etat de garantir un environnement sain et équilibré et de fournir tous les moyens nécessaires pour éradiquer la pollution.

Au niveau de son article 129 la constitution a exigé la création d’une instance pour le développement durable et droit des générations futures.

Les articles 13 et 44 ont insisté sur la gestion rationnelle des ressources naturelles en particulier l’eau et l’énergie.

Entre 2014 et 2019, et grâce au réseau parlementaire pour le développement durable que nous avons créé, des dizaines d’amendements en faveur du développement durable touchant des lois et des codes, ont été présentés et votés par le parlement (30 amendements rien que pour le code des collectivités locales). Une loi sur la responsabilité sociétale des entreprises a été proposée et votée en 2018 par le parlement et qui représente une fierté pour la Tunisie.

La Tunisie a certes évolué au niveau législatif et réglementaire en faveur du développement durable, mais sur le plan opérationnel non seulement le pays n’a pas évolué mais est en voie de perte des acquis (négligence des airs protégés, des parcs nationaux, incendies multipliés par quatre des forêts, vols des centaines de semences de la banque de gênes, agression du littoral, absence du suivi des résultats des études d’impact environnementales …etc.).

Depuis la révolution le secteur de l’environnement n’a pas cessé de subir des perturbations et une instabilité institutionnelle.

La Tunisie a signé beaucoup d’accords et conventions internationales mais a peu  concrétisé au niveau des actions prévues. C’est le cas des nouveaux  engagements pris, dont  l’accord signé sur le climat lors de la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques (COP 21) et l’ engagement à atteindre les 17 objectifs de développement durable, et les anciens protocoles et conventions signés depuis des années telles que la Convention sur la diversité biologique , le Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques , la Convention CITES sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction, et la Convention sur la lutte contre la désertification.

Cependant quelques projets ont vu le jour après la révolution dont à titre d’exemple:

1- Le projet sur « le changement du paysage de la région du Nord-Ouest » dans le cadre de l’adaptation aux changements climatiques avec un financement de l’ordre de 270 millions de DT. Ce projet qui compte changer la région et la vie des habitants par la valorisation des ressources naturelles et la création de l’emploi, connait jusqu’à ce jour des difficultés et n’avance pas selon le rythme prévu.

2- Le plan solaire comme projet d’atténuation aux effets des changements climatiques : Il y a eu des tentatives de relance du plan par la promulgation de la loi 2015 et la loi transversale de 2019 afin d’atteindre les objectifs prévus par la Tunisie dans sa contribution prévue déterminée au niveau national (INDC).

En effet dans sa contribution dans le cadre de la convention sur le Climat, la Tunisie se propose de réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs (énergie, procédés industriels, agriculture, forêt et autres utilisations des terres, et déchets) de manière à baisser son intensité carbone de 41% en 2030 par rapport à l’année de base 2010. Cet effort d’atténuation proviendra plus particulièrement du secteur de l’énergie qui représente à lui seul 75% des réductions des émissions, grâce à une baisse prévue de l’intensité carbone en 2030 de 46% par rapport à l’année 2010, dans le cadre de la politique de transition énergétique préconisée par l’Etat.

Le développement des énergies renouvelables constitue l’un des piliers de la baisse de l’intensité Carbone. Via le plan solaire tunisien (PST), la Tunisie prévoit l’évolution de la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité à 14% en 2020 et à 30% en 2030, alors jusqu’à ce jour elle n’a pas dépassé les 4%.

Malgré la relance, aucun projet important n’a pu voir le jour jusqu’à ce jour. Sachant qu’à côté de sa contribution au niveau planétaire dans la réduction des émissions des gaz à effet de serre, les énergies renouvelables ont un rôle primordial dans l’améliorent de la sécurité énergétique du pays, dans la réduction de la dépendance énergétique de la pression de la subvention sur la caisse de l’Etat et dans l’allègement du déficit de la balance commerciale.

Ce secteur, malgré l’amélioration du contexte international (baisse du cout des technologies des énergies renouvelables, évolution du marché, l’abondance des aides financières internationales dédiées,  ….), reste en deca des résultats escomptés.

Ce secteur est victime de l’instabilité politique, de l’absence de visibilité pour les investisseurs et continue surtout à subir les mêmes pressions d’avant la révolution qui neutralisent tout effort ou initiatives de relance du secteur.

L’environnement après le Covid-19 :

La crise sanitaire Covid-19 a été un vrai séisme subi par tous les pays du monde riches ou pauvres, où il était question de survie, de perte des proches, de risque d’approvisionnement en produits alimentaires, d’immobilité totale et perte d’emplois et de revenus.

Elle a montré que la santé animale, humaine et de l’écosystème sont étroitement liés.

Elle a confirmé des thèses et des études, dont celles publiés par l’UICN (Union Internationale de la Conservation de la Nature), sur l’impact du changement climatique sur l’équilibre des écosystèmes et comment l’élévation du niveau de température entraine la disparition et l’apparition de nouvelles espèces.

La pandémie a entrainé une crise économique et sociale et a montré d’une maniéré dramatique la fragilité des modèles de développement économiques et l’inter dépendance des trois piliers du développement durable (économique, sociale et environnementale)

Mais aussi elle a montré pendant le confinement  l’épanouissement de la nature (réduction de la pollution atmosphérique, de la pollution marine, et abondance du phone terrestre et marine).

Ces impacts positifs sont restés dans la mémoire des tunisiens qui ont eu au moins conscience de la nécessité de protéger la nature qui est la source de l’amélioration de leur qualité de vie. Mais ces impacts ne sont malheureusement pas durables.

La crise sanitaire due au COVID19 nous a permis aussi de réaliser l’importance d’un environnement sain, l’importance de la souveraineté alimentaire, sanitaire et énergétique.

Elle a révélé aussi l’état de vieillissement de l’administration et de ses procédures.

Elle a fait reculer la concrétisation des 17 objectifs de développement durable essentiellement l’objectif 1 (pas de pauvreté), l’objectif 2 (faim zéro), l’objectif 3 (santé et bienêtre, l’objectif 4 (éducation de qualité), l’objectif7 (énergie propre) et l’objectif 8 (travail décent).

Mais cette crise a révélé des points positifs et des potentiels sur lesquels on peut se baser pour relancer le pays à savoir :

La richesse et la compétence des ressources humaines ;

L’avenir possible de la recherche et développement à répondre aux besoins en technologies nouvelles ;

L’esprit d’innovation des jeunes ;

Les richesses naturelles permettant à la Tunisie d’être parmi les leaders en économie verte en ayant un avantage comparatif dans quelques filières, ou en se positionnant dans quelques chaines de valeur des produits à forte demande mondiale ;

L’esprit de solidarité des citoyens et la dynamique de la société civile ;

La capacité de résilience du pays

Mais cette crise nous a montré aussi que quel que soit le pays riche ou pauvre, il ne peut pas échapper aux conséquences d’une pandémie, et que la forte croissance économique d’un pays ne peut pas traduire le bien être de son peuple.

Cette crise remet en question les modèles de développement économique en bouleversant les priorités des politiques, où l’être humain devrait être le centre de leurs préoccupations et le développement humain le critère de bien être des nations.

Comme leçon tirée, à côté des obstacles et des défaillances à relever, il faut aller vers un modèle de développement souverain et durable, vers une transition écologique, vers le développant des technologies vertes et les modes de production et de consommation plus rationnels en eau et en énergie, un mode moins polluant et plus respectueux des droits des générations futures.

Un modèle plus équitable basé sur l’économie sociale et sur l’esprit de solidarité entre citoyens et entre régions.

Un modèle ou les entreprises pour garantir la durabilité de leur bénéfice doivent être responsables envers l’environnement et envers la société.
Enfin cette crise a montré que le monde a besoin d’opérateurs économiques responsables, des pays responsables et de partenariats responsables en faveur de la qualité de vie de l’humain et de la préservation de la planète.

Leila Ouled Ali
Ex vice Présidente
De la commission énergie, industrie, environnement et infrastructure à l’ARP