News - 26.05.2020

Saadeddine Zmerli : La Ligue Tunisienne pour la Défense des droits de l'Homme (LTDH) a 50 ans

Saadeddine Zmerli : La Ligue Tunisienne pour la Défense des droits de  l'Homme (LTDH) a 50 ans

La Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme  fêtera bientôt son cinquantième anniversaire. C’est la première organisation des droits de l’Homme en Tunisie, le monde arabe et en Afrique.

Dès sa naissance, la  LTDH a diffusé les droits de l’Homme inconnus des Tunisiens jusqu’à l’arrivée à Tunis en 1974 de James Baker qui a été le premier à en parler quand il a déclaré qu’il n’apporterait son soutien financier qu’aux organisations soucieuses de diffuser les droits de l'Homme.

Ses débuts allaient connaître de sérieuses difficultés majorées par l’incompréhension du rôle de la LTDH par l’opinion publique et surtout par la crainte des autorités officielles de la voir prendre une place importante dans la société civile.

Nombre de citoyens la confondant avec une association de juristes lui adressaient leurs affaires litigieuses relevant d’un cabinet d’avocats ou d’un tribunal. Considérée comme un parti d’opposition ou un parti d’opposants, la LTDH a mis du temps à effacer cette étiquette politique malgré la composition variée de son comité.

Dès notre demande d’affiliation pour la création de notre association, Bourguiba et nombre de ceux qui l’entouraient étaient hostiles à son existence et ont finalement exigé, pour nous octroyer l’autorisation, que notre groupe de 15 soit complété par 7 personnes proches du pouvoir que nous avons choisies de concert. Ces 22 membres ont alors constitué le comité directeur fondateur de la LTDH.

La Ligue a gagné ses premiers galons d’association humanitaire en apportant son assistance juridique à la défense des prévenus au procès de militants du M.U.P. en 1977, de syndicalistes en 1978, d’étudiants et d’islamistes en 1981, et à l’ occasion de ce dernier procès, une première : l’enregistrement par la Cour d’un mémorandum de la Ligue, concernant les sévices subis par les détenus. La défense des libertés syndicales et le plaidoyer en faveur d’un syndicat fort, attaché à améliorer les conditions de travail, loin de toute considération politique, explique les liens privilégiés qu’entretenaient l’UGTT et la Ligue.

Nos communiqués, étaient publiés par intermittence dans les journaux de la place. La radio et la télévision tunisienne, monopole de l’Etat, étaient pratiquement fermées à la Ligue ainsi qu’à tous les mouvements  d’opposition.

Bourguiba, contrarié par notre indépendance, a commandité la création d’une Association tunisienne pour les droits de l’Homme et les libertés, présidée par un ancien ministre de l’Intérieur, le Dr Dhaoui Hannablia. De stricte obédience gouvernementale, elle est rapidement tombée en désuétude.

Dans la même lignée, Ben Ali a multiplié les menaces et les procédures pour empêcher la Ligue de poursuivre ses activités.

Ministre de l’Intérieur, le 8 avril 1987 dans une lettre adressés à la Ligue, il tente la modification des modalités d’adhésions à la Ligue pour permette une adhésion automatique

Président de la République, il modifie en 1992 la loi sur les associations, qui introduisant le « gel des cumuls » et l’adhésion d’office vise tout spécialement la Ligue, et entraîne sa première dissolution.

Après les interventions de Daniel Jacoby (président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) et d’Adama Dieng (secrétaire général de la Commission internationale des juristes), la Ligue reprend ses activités.

En 1993, des militants et des responsables sont accusés d’être des « suppôts de l’étranger ».

En 2000, lors du Congrès de la Ligue, le comité directeur issu de l’élection démocratique n’est pas reconnu par des congressistes proches du pouvoir, dirigés par l’un d’eux, Chedly Ben Younes. Commencent alors une série d’attaques, de procès (30 en tout), sous des prétextes fabriqués et honteux. La LTDH est traitée comme une société commerciale. Elle est mise sous séquestre et son comité élu dissous! Appuyé par quatorze anciens dirigeants dont quatre anciens présidents, le Comité refuse de se soumettre à ce jugement.

Le Congrès qui devait avoir lieu en septembre 2005 est interdit, la Ligue, chassée de son siège, n’avait plus aucune activité.

Depuis, toutes les tentatives de réconciliation ont été infructueuses, notamment celle de la Commission des bons offices (mai-août 2006) composée de S. Zmerli, M. Charfi, T. Bouderbala, M. Naceur, A. Ounaïes et A. Fourati qui garantissait aux plaignants, à la condition de retirer leur plainte, leur participation au Congrès et leur accès à la tribune pour défendre leur thèse.

Avec le recul, on est en droit de penser que le problème est ailleurs. C’est la prise en main pure et simple de la Ligue qui est envisagée. Néanmoins, sa réalisation s’avère difficile.

D’abord parce que la Ligue, qui s’est imposée par ses activités, occupe une place importante dans l’imaginaire du Tunisien.

Ensuite parce que la Ligue connaît sur le plan international une réputation continuellement ascendante, couronnée par l’élection récente de Souheir Belhassen à la présidence de la FIDH, Pour la première fois la FIDH est présidée par une femme non européenne une tunisienne.

La Ligue doit ces acquis au courage et à la détermination de ses militants dont l’action et le comportement ont établi la crédibilité de notre association en préservant son indépendance. Leur action et leur comportement étaient d’autant plus méritoire que l’époque était dominée par le silence et les interdits imposés à tous ceux qui ne vantaient pas le pouvoir.
Les événements des années 80 que la LTDH a affrontés avec lucidité traduisent le rôle de notre association: La création d’une commission d’enquête indépendante après les émeutes du pain en 1984 qui ont constitué l’événement le plus dramatique de l’époque tranchait par la composition pluridisciplinaire de ses membres, responsables d’associations professionnelles, par les qualités de son rapporteur M. Charfi et par l’analyse sérieuse des causes politiques, économiques et sociales de ces émeutes. Son rapport a fait autorité tant en Tunisie qu’à l’étranger.

L’amendement du Code du statut personnel en cas de stérilité de l’épouse réclamé par les islamistes publiquement, à la presse, à la radio et au parlement n’a entraîné aucune réaction gouvernementale, partisane ou associative. L’association des femmes tunisiennes s’est distinguée par son mutisme. Seuls nos militants, toutes catégories confondues, comité directeur, sections locales, ont dénoncé ce projet qui vidait le Code de son essence. Ils en  ont réclamé l’inscription dans la Constitution tunisienne. Le Code du statut personnel figure depuis dans la charte de notre association. J’ai interpelé à la chambre des députés Chadli Naifar pour condamner cet amendement  contraire au protocole facultatif de  discrimination à l’égard des femmes, agréé par le gouvernement tunisien le 23 septembre 2008.

Avec le repli des islamistes, la Ligue a gagné en considération, même les officiels du pouvoir et du parti qui n’admettaient pas son existence ont applaudi son action.

La dénonciation publique, en 1987, malgré les risques majeurs de la situation, des cas de torture et de morts suspectes dans les locaux de la police constituait une première en Tunisie.

La Ligue a dès sa création, mis l’accent sur la nécessité de lier son action avec les mouvements des Droits de l’Homme dans le monde et auprès des pays colonisés.

En 1979, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme FIDH nous adresse une invitation à son Congrès à Florence. Prenant la parole j’ai souligné les difficultés qui ont marqué notre action à ses débuts, l’antagonisme des pouvoirs publiques, le harcèlement de ses militants. J’ai fait également état de notre volonté d’avoir créé une Ligue forte de ses 4000 membres et de ses 20 filiales provinciales et souligné notre attachement à la lutte du peuple palestinien et de Nelson Mandela. J’ai terminé mon intervention sous une salve d’applaudissements d’un public debout en standing ovation. Je fus élu à la vice-présidence de la Fédération dont le bureau ne comptait que 5 membres tous européens. Quelle émotion ! Pour moi, mes amis et mes parents. Ce fut le début de l’internationalisation de la FIDH.

En 1980, après l’élargissement du nombre des vices présidents à 15 membres en majorité africains et asiatiques, la FIDH, avec mon soutien, sera présidée pour la première fois de son histoire par un non européen Sediki Kaba, un sénégalais, une première et une révolution!!

En 1987 la FIDH sera présidée pour la première fois de son histoire par une femme, souheir Belhassen, une femme musulmane, une Tunisienne.   La FIDH est devenue une grande organisation internationale capable de rivaliser avec Amnistie Internationale. 

En 2019, pendant le 40e congrès de TAIPAI, 16 nouvelles organisations ont rejoint la FIDH, devenue une Fédération de 192 organisations membres. Le terme d’universalisation de la FIDH a été dés lors évoqué. Le Bureau international est désormais composé de 22 militants des droits humains, provenant de 21 pays différents.

Le 14 janvier 2011, la Ligue Tunisienne pour la défense des Droits de l’Homme (LTDH) en  récupérant  d’un coup ses droits a pu désormais s’exprimer et agir dans un climat marqué par la liberté d’expression, la multiplicité des partis qui se proclament tous défenseurs des droits de l’Homme. Lors de son congrès dans les prochains jours elle définira son nouveau rôle, en lui préservant ses acquis et son indépendance.

Le quartet du dialogue national, l'association de quatre organisations tunisiennes dont celle de la Ligue tunisienne des droits de l'homme1 ayant réussi la transition la transition politique, économique sociale et sécuritaire du pays se verra attribuer en 2015 le prix Nobel de la Paix, le premier Nobel attribué à un ressortissant ou organisation de la Tunisie après son indépendance.

En conclusion, je voudrais remercier tous ceux qui, avec leur foi et leur enthousiasme, nous ont accueillis dans tous les coins de la Tunisie où nous nous sommes rendus pour leur ouvrir les portes de notre Ligue, pour les féliciter de leurs actions souvent dans des conditions difficiles.

Ils ont continué malgré les menaces. Des jeunes ont été formés que nous retrouvons aujourd’hui. Que tous poursuivent leur œuvre avec vigilance, pour la défense de nos libertés conquises, de nos droits inaliénables. Je pense à ceux qui ont été emprisonnés : Sihem Ben Sedrine, Khémais Chammari et Moncef Marzouki, à celles et à ceux qui ont été violentés : Khédija Chérif, Sihem Ben Sédrine, Belkhir Mechri et Souheir Belhassen, Moktar Trifi, Abderrhamene Hedhili, Hatem Chaabouni, Adel Arfaoui. J’ai toujours une pensée émue pour ceux qui nous ont quittés: Hachemi Ayari, Fadhel Ghedamsi, Dali Jazi, Mohamed Charfi et Hichem Gribaa. Tous souhaitaient que la LTDH poursuive, avec constance et liberté, la protection et le respect des droits. Tous ont su préserver l’indépendance de la Ligue.

Comité directeur fondateur Du 7 mai 1977 au 14 février 1982

Président

M. Saadeddine Zmerli, professeur à la faculté de Médecine de Tunis

Vice-président

M. Taïeb Miladi, avocat à la Cour de cassation

M. Abderrahmane El Hila, avocat à la Cour de cassation

M Sadok Allouche, fonctionnaire, syndicaliste

Secrétaire général

M. Abdelwahab Bouhdiba, professeur à la faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Tunis

Secrétaire général adjoint

M. Chérif El Matri, avocat à la Cour de cassation Trésorier

M. Dali Jazi, avocat à la Cour de cassation

Membres

Mme Aziza El Ouahchi, pharmacienne

M. Hachemi El Ayari, médecin

M. Hamouda Ben Slama, médecin

M. Mongi Chemli, professeur à la faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Tunis

M. Midani Ben Salah, professeur

M. Fethi Hafsia, médecin

M. Mounir El Beji, avocat

M. Hichem Bougamra, maître de recherches au C.E.R.E.S

M. Farouk Ben Milad, architecte

M. Abdelhamid Lamouri, avocat

Mme Aïcha Bellagha, professeur

M. Béchir Ben Zineb, ingénieur

M. Mustapha Ayed, agriculteur

M. Mohamed Ben Abdallah, industriel

M. Ahmed Khaled, professeur

Saadeddine Zmerli