News - 28.04.2020

Salma Zouari: La gestion de la crise sanitaire a-t-elle été efficace ?

Salma Zouari: La gestion de la crise sanitaire a-t-elle été efficace ?

Officiellement, le premier cas Covid+ a été identifié en Tunisie le 2 Mars. Dès le 4 Mars, des mesures préventives et proactives ont été introduites par les pouvoirs publics pour limiter la progression du virus. Au fil du temps, elles ont été intensifiées et elles ont abouti à un couvre-feu décrété le 17 Mars et à un confinement général décidé le 20 mars (https://covid-19.tn/fr/mesures-preventives/). Parallèlement, des mesures de soutien aux familles et aux entreprises ont été introduites pour limiter les incidences économiques et sociales du confinement et de la pandémie. http://www.finances.gov.tn/sites/default/files/2020-03/com_coronavirus_01.pdf ; https://covid-19.tn/fr/blog/banque-centrale-de-tunisie-nouvelles-mesures-pour-la-limitation-des-retombees-economiques-et-sociales-de-la-propagation-de-la-pandemie-du-covid-19/

Le 19 Avril, le chef du gouvernement a annoncé qu’un dé-confinement progressif et ciblé sera mis en œuvre à partir du 4 mai. Pour éclairer les mesures correspondantes, il convient de faire le point sur la progression de la pandémie en Tunisie et d’étudier l’efficacité des mesures jusque-là mises en œuvre pour la contenir.

Les observations

On se réfère dans cette note à deux principaux indicateurs : le nombre cumulé des cas officiellement identifiés Covid+ et le nombre de cas actifs.  Celui-ci est égal au nombre des Covid+ diminué du nombre des guéris et du nombre des décédés. Ce dernier indicateur est important, parce que ce sont les cas actifs qui sont potentiellement source de propagation du virus.

Sur la figure1, la courbe représentant le nombre de cas identifiés positifs (courbe bleu) continue à croitre montrant que la propagation du virus se poursuit.  En revanche, la courbe représentant le nombre des cas actifs (courbe orange), décroit laissant entrevoir une fin prochaine de la pandémie.

Source des données traitées: Communiqués du Ministère de la santé.

Comment expliquer cette divergence des évolutions ? Peut-on parler, malgré tout, d’une fin proche de l’épidémie ou bien décèle-t-on des indices d’une évolution moins réjouissante ?

Méthode

Pour répondre à ces questions, nous simulerons une courbe théorique de cas Covid+ (courbe rouge sur la fig2) basée sur un coefficient de transmission constant égal à 2,3 sur toute la période. Dans ce cas, le nombre de Covid+ simulé est une suite géométrique de raison 1,23 (1,23 sera désigné comme le coefficient de propagation théorique). Le coefficient de transmission 2,3 a caractérisé l’évolution du nombre des malades lors de la première phase de l’épidémie en Tunisie, c’est-à-dire avant la décision du confinement. Il importe de remarquer que ce coefficient est modéré notamment en raison des diverses mesures prises de façon proactive pendant cette période pour limiter la propagation du virus. Dans certains pays, ce coefficient a atteint 7.

Ce coefficient est à appliquer aux cas actifs, c’est-à-dire à ceux qui sont susceptibles de contaminer d’autres personnes. Nous comparerons cette courbe simulée (courbe rouge) aux cas observés (courbe bleu).

Si la courbe simulée se superpose à la courbe observée (courbe bleue), le coefficient de propagation théorique (1,23) est égal à celui observé.

Si la courbe simulée surclasse la courbe observée, la vitesse effective de propagation du virus est inférieure à 1,23. Dans ce cas, les mesures prises s’avèrent efficaces, leur impact est d’autant plus important que l’écart entre les deux courbes est important.

Par contre, lorsque la courbe simulée se trouve au-dessous de à la courbe observée, la vitesse effective de propagation du virus augmente et devient supérieure à 1,23. Les mesures s’avèrent d’efficacité limitée.

Résultats

Source : la courbe Covid+ (bleu) représente les données publiées par le Ministère de la santé.

La courbe rouge représente les cas que l’on aurait observés avec un coefficient de propagation
constant depuis le début de la pandémie

La figure  révèle

Une première phase où les deux courbes sont quasiment confondues; cette phase correspond au mois de mars et rend compte de la situation avant que la décision du confinement, prise le 20 mars, donne des résultats probants dix jours plus tard. Cette phase capitalise l’effet de l’ensemble des mesures qui ont été introduites progressivement en mars, sans lesquelles le coefficient de propagation du virus aurait été supérieur à 1,23.

Une seconde phase où la courbe observée se situe au-dessous de la courbe simulée ; cette phase commence pendant la dernière semaine de mars et s’achève 4 semaines après l’entrée en vigueur des mesures de confinement. Pendant cette phase, lesdites mesures démontrent une certaine efficacité puisque l’épidémie progresse moins vite que la situation simulée.

Une troisième phase où la courbe observée se situe au-dessus de la courbe ; cette phase est amorcée le 16 avril.  Elle montre qu’à coefficient de propagation constant (1,23), nous aurions dû observer pendant cette période, moins de cas positifs. A titre d’exemple, selon la dernière observation, le nombre de Covid + effectivement constaté est de 967 cas alors que théoriquement, avec un coefficient de 1,23, on aurait dû avoir 855 cas uniquement.

Pendant cette phase, la vitesse effective de propagation du virus a donc été supérieure à 1,23. L’augmentation de la vitesse de propagation du virus pourrait s’expliquer par un relâchement général du respect des mesures de confinement et de distanciation sociale. Elle pourrait aussi résulter de dérives observées au moment de la distribution des aides sociales le 5 avril dont l’impact se ressent 10 jours plus tard.

Conclusion

Le vécu des tunisiens en période de confinement a donné lieu à des innovations qui ont permis à ceux qui en ont bénéficié, de s’accommoder un tant soit peu de la situation (télétravail, enseignement à distance, paiements en ligne, commerce en ligne, livraison à domicile…). Mais, ces innovations n’ont concerné qu’une frange limitée de la population. Par ailleurs, à défaut de procédures publiques digitalisées de cash-in / cash out, le paiement des aides sociales à la population ou bien l’acquittement des obligations fiscales et sociales par les entreprises auraient été des occasions de promiscuité et des sources probables d’une accélération de la propagation du virus. Il en est de même pour divers autres évènements politiques, ayant drainé des foules.

Par ailleurs, avec le temps, le degré de compliance de la population aux mesures qui lui sont dictées, a probablement baissé. Pour certains, le confinement est une limitation de leur liberté qu’ils ne peuvent supporter trop longtemps. Pour d’autres, le confinement les empêche de « gagner leur vie » et ils sont obligés de le briser pour pouvoir nourrir leur famille.

Au moment où les autorités envisagent un dé-confinement progressif de la population, elles doivent garder à l’esprit que tant qu’il existe encore des cas actifs parmi la population, une augmentation du coefficient de propagation du virus similaire à celle que l’on soupçonne les derniers jours, pourrait engendrer une progression de l’épidémie plus rapide que ce qui a été jusque-là observé. Le dé-confinement doit donc nécessairement s’accompagner d’une généralisation des mesures de protection et de distanciation dans les moyens de transport, dans les espaces de formation et sur les lieux du travail.

Salma Zouari