News - 26.04.2020

Mohamed Larbi Bouguerra: Les politiciens profitent des désastres naturels pour accroitre leur pouvoir

Mohamed Larbi Bouguerra: Les politiciens profitent des désastres naturels pour accroitre leur pouvoir

Ce titre est dû à l’écrivaine et journaliste américano-canadienne bien connue Naomi Klein qui travaille régulièrement sur les défaillances du capitalisme, du néolibéralisme et de la mondialisation. Klein a été déclarée, en 2007, « la femme de gauche la plus influente au monde » après la publication de son fameux opus « No logo » qui mit à nu la culture d’entreprise et devint la référence principale du mouvement anti- globalisation.

La pandémie du coronavirus n’échappe pas à cette loi et donne l’occasion aux politiciens d’accaparer encore plus de pouvoir. Cela est vrai aux Etats Unis et même chez nous, ici, en Tunisie, quand on regarde les incessants et fiévreux grenouillages d’Ennahda par exemple.

Tout d’abord, le confinement imposé par le virus bâillonne les mouvements de résistance populaires. Mais Klein relève qu’à la fin de la pandémie : « Il n’y aura pas de retour à la normale. Nous devons nous méfier de quiconque se pose en homme fort, d’abord et particulièrement parmi ces leaders qui ont rendu  nos sociétés si vulnérables. Ce sont les derniers auxquels des pouvoirs supplémentaires devraient être concédés au nom de notre protection parce qu’ils nous ont réellement déçus, profondément et mortellement déçus. »

Ceci s’applique au gouvernement de la Troïka en Tunisie et aux efforts assidus de M. Rached Ghannouchi qui tente - avec l’aide suspecte de M. Erdogan, ce grand démocrate qu’est le nouveau sultan de la Sublime Porte - par tous les moyens de se poser en challenger du Président de la République, exploitant toutes les occasions dans ce but, jusques et y compris l’annonce du croissant du mois de Ramadan.  

Exploiter les désastres

Klein affirme dans son livre « Le choc du désastre : Montée d’un capitalisme du désastre » (Acte Sud, 2007) que depuis 2007, les politiciens et les affairistes ont opéré la main dans la main pour exploiter à leur profit les périodes de crise, pour renforcer leur pouvoir et s’enrichir aux dépens de leurs concitoyens et du grand public.

Ainsi, aux Etats Unis, lors de l’ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans en 2005, l’actuel vice-président Pence - un politicien professionnel chargé alors d’un comité d’étude républicain - a mis tout en œuvre pour monter des politiques qui profitent aux élites : écoles privées à la place des écoles publiques, élimination des HLM au profit d’immeubles de rapport, fermeture des hôpitaux publics, mise au rebut des diverses réglementations en faveur des salariés et diminution des taxes frappant les entreprises.

De même, le Secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin est devenu « le roi des faillites » suite à la crise financière de 2008. Il avait alors acheté une banque spécialisée dans les faillites. Aujourd’hui, par la grâce du coronavirus, le Président Donald Trump lui a confié la distribution, à sa discrétion, de la bagatelle de 500 milliards de dollars au big business yankee et notamment les industries les plus polluantes : aviation, pétrole et gaz, bateaux de croisière….

En Israël, Benjamin Netanyahou, poursuivi dans trois affaires de corruption, d’abus de confiance, de fraude et de détournement de fonds publics, exploite la pandémie pour son propre avantage politique et pour échapper à un procès qui signerait sa mort politique. Netanyahou, au nom de la santé et de la sécurité publiques, veut imposer une surveillance électronique agressive à tous les habitants d’Israël. Il surveillerait ainsi ses adversaires politiques – pour ne rien dire des Palestiniens- et ferait les choux gras de l’industrie de la surveillance électronique israélienne déjà au service de l’occupation sioniste illégale, de nombreux potentats et de dictateurs de par le monde.

Au ministère de la sante aussi on profite de la pandémie…

Pour nommer les copains !

C’est ainsi qu’un nouveau directeur général des soins de santé de base a été nommé… sans tambour ni trompette.
Il faut espérer que ce médecin n’est pas un émule du célèbre Sganarelle de Molière dans « le Médecin malgré lui », pièce de théâtre où le charlatanisme de ce « toubib » côtoie l’hypocrisie religieuse et trahit la confiance du bon peuple.

De fait, malgré le serment d’Hippocrate, le nouveau DG est partisan du « sahl » -charmante technique de mise à mort héritée des gladiateurs de la Rome antique et apparentée aux corridas tauromachiques ibériques- et un défenseur fort en gueule des énergumènes qui ont attaqué l’exposition artistique d’el Abdellia. Il voue aussi aux gémonies Mme Bochra Bel Hadj Hamida, coupable à ses yeux d’avoir été en charge du COLIBE et partisan d’une Tunisie civile. Notre médecin lui réserve le sort d’Abou Lahab et par conséquent la même place aux Enfers. Trop aimable ! (Lire « N’est pas médecin qui veut », Leaders, 23 avril 2020).

Avec un tel pedigree et en temps de pandémie, il faut espérer que ce nouveau haut fonctionnaire ne nous mette pas tous à la médecine prophétique qui a été enseignée sous la Troïka par des « spécialistes » saoudiens, au Sahel notamment. (Lire Leaders, 16 juin 2013) Il faudrait alors lui rappeler le jugement d’Ibn Khaldoun à ce sujet - même si notre illustre savant n’est pas bien en odeur de sainteté chez les takfiristes et autres ultra -: « Mohammed a été envoyé pour nous enseigner la loi religieuse et non la médecine, ou toute autre profession profane. Lorsqu’il donna des conseils pour féconder les palmiers, il avoua à ses compagnons : « Vous vous y entendez bien mieux que moi en ce genre de choses. » On ne doit donc donner force de loi à aucune des indications médicales de la Tradition authentique, car rien n’indique qu’il faille le faire. Tout ce que l’on peut dire, c’est que ce genre de médecine s’emploie pour obtenir la bénédiction divine, dans un véritable esprit de foi : il peut être utile dans ces limites. Mais cela n’a rien à voir avec la médecine humorale [al-tibb al-mijazi] … » (« Histoire des sciences arabes », tome 3, sous la direction de Rochdi Rashed, Le Seuil, Paris, 1997, p. 55).

Notre nouveau DG de la santé de base souhaitait couper la langue aux partisans de la Tunisie civile et implorait le Ciel de les frapper de surdité et de cécité.  En ces temps troublés de pandémie, pourvu qu’il ne les accuse pas d’avoir propagé le coronavirus comme jadis quand on cherchait à expliquer les épidémies ! Lors de la peste noire de 1348 qui vit « des accès de superstition de diverses sortes et en divers endroits » écrit le grand rationaliste Bertrand Russell - Prix Nobel de littérature 1950 et grand pacifiste : « L’une des méthodes favorites pour apaiser la colère de Dieu était de massacrer les Juifs. En Bavière, on en tua environ douze mille ; à Erfurt, trois mille ; à Strasbourg, on en brûla deux mille… » (« Science et religion », Idées NRF, Paris, 1971, p. 66).

En guise de conclusion

L’historien arabisant François Clément signe dans le Monde un article sous le titre : « A voir la légèreté de certains, on douterait des progrès accomplis depuis la peste noire » où il nous rapporte les débats sur la contagion à Grenade en 1348. Un hadith affirme en effet l’inexistence de la contagion, de la superstition, de la nocivité du mois de safar…. Le médecin Ibn Khatima (1324-1369) d’Almeria, défend « la légitimité des soins lorsque survient la maladie » mais reste convaincu que l’épidémie est le signe de la colère de Dieu. Mais à Grenade, un autre médecin, Ibn Al-Khatib (1313-1374), insiste sur la prophylaxie et la nécessité de casser la chaîne de transmission** mais affirme en substance : « Pensez ce que vous voulez, mais laissez travailler le médecin, n’empiétez pas sur son domaine, la maladie relève de lui, et de lui seul. » (Le Monde, 22-23 mars 2020, p. 26)

Puisse Ibn Al-Khatib injecter un peu de rationalité dans l’esprit de notre nouveau promu à la santé de base des Tunisiens…dans le cadre de l’accaparement rampant et incessant du pouvoir par Ennahda et ses affidés. Ils auraient intérêt à penser « au jour d’après », quand le coronavirus disparaîtra…car « Rien ne sera comme avant » et la société civile sera là pour demander des comptes !

Mohamed Larbi Bouguerra

** Bien entendu, au XIVème siècle, le Dr Alexandre Yersin n’était pas né (1863-1943) et le rôle du rat et de la puce dans la transmission de la peste était inconnu.